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El Niño, le retour d'un monstre météo

Si les tendances actuelles se confirment, El Niño pourrait même devenir le phénomène météo planétaire le plus monumental de 2014.

La grosse tache rouge, c'est l'énorme nappe d'eau anormalement chaude marquant El Niño en 2010. NOAA
La grosse tache rouge, c'est l'énorme nappe d'eau anormalement chaude marquant El Niño en 2010. NOAA

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Les probabilités sont de plus en plus fortes qu'El Niño soit de retour en 2014 –et selon de nouvelles prévisions météo, le phénomène pourrait même être particulièrement vigoureux. Grâce à Chris Farley, nous savons que les Niños peuvent augmenter les risques de phénomènes météo extrêmes (sécheresses, typhons, canicules) sur quasiment toute la planète. Mais la chose à retenir d'El Niño, c'est qu'il est prévisible, et parfois même six mois à l'avance.

Ces prévisions sont donc un outil incroyablement puissant, surtout si vous faites partie des milliards d'individus vivant là où El Niño tend à être le plus redoutable –en Asie et sur le continent américain. Si les tendances actuelles se confirment, El Niño pourrait même devenir le phénomène météo planétaire le plus monumental de 2014.

Selon la définition la plus communément admise, El Niño est le réchauffement persistant de la zone tropicale de l'Océan Pacifique dite «Niño 3.4», au sud d’Hawaï, et durant au minimum cinq «saisons» consécutives (de trois mois chacune). Dans le Pacifique, depuis un ou deux mois, une inversion des courants alizés semble avoir déclenché ce réchauffement. Une tendance suffisamment préoccupante pour pousser, le mois dernier, des prévisionnistes du gouvernement américain à déclarer officiellement El Niño sous surveillance.

Les météorologues sont de plus en plus convaincus qu'El Niño sera particulièrement fort cette année, car, à plusieurs mètres sous la surface de l'Océan Pacifique, on observe des masses d'eau exceptionnellement chaudes:

La grosse tâche rouge, c'est une énorme nappe d'eau anormalement chaude s'étendant actuellement à près de 100 mètres sous la surface de l'Océan Pacifique et d'une surface assez conséquente pour recouvrir les États-Unis. Autant dire que ça fait beaucoup d'eau chaude.

A mesure que cette masse d'eau est poussée vers l'est par les alizés, eux aussi anormaux, elle remonte à la surface. Et en remontant, elle se mettra à interagir avec l'atmosphère, ce qui suscitera une hausse des températures et un bouleversement de la météo.

Plusieurs signes montrent que cette gigantesque masse d'eau chaude est sur le point d'atteindre la surface de l'océan:

Hausse brutale de la température de Niño 3.4 ces trente derniers jours, de -0,5°C à +0,5°C aujourd'hui. Argh.

Ce qui veut dire qu'avril 2014 pourrait bien signer le début officiel de méga El Niño. Avant de nous précipiter, notons la mise en garde du météorologue Cliff Mass, qui explique que cette période de l'année est connue pour produire des prévisions relativement peu fiables sur El Niños. Mais, globalement, les scientifiques surveillant ces questions s'attendent à un phénomène particulièrement fort.

«Nous suivons de très près une éventuelle progression d'El Niño pour la fin du printemps et l'été», déclare dans un bulletin vidéo le prévisionniste Tony Barnston, de l'International Research Institute for Climate and Society. «Sous la surface de l'eau, nous observons un fort réchauffement qui pourrait remonter et créer un El Niño».

A l'heure actuelle, juste sous la surface de l'océan, la température de l'eau est équivalente avec celle du plus fort El Niño jamais répertorié, celui de l'hiver 1997-98. Le phénomène avait alors occasionné 35 milliards de dollars de dégâts et causé la mort d'environ 23 000 personnes, selon les données de l'Université de Nouvelle-Galles du Sud. Et c'est aussi pendant cet El Niño que les températures d'avril des eaux sub-superficielles du Pacifique avaient atteint des températures aussi élevées qu'aujourd'hui, un record depuis 1980, date à laquelle le phénomène a commencé à être mesuré.

Pour les climato-sceptiques, l'El Niño de 1998 correspond pourtant à l'année où le réchauffement climatique s'est «arrêté». Bien sûr, le réchauffement climatique ne s'est pas arrêté du tout. Les dix années les plus chaudes jamais enregistrées ont toutes eu lieu depuis 1998. Par contre, le rythme du réchauffement s'est en effet ralenti, comparé à l'affolement de la fin du XXe siècle.

L'une des théories avancées par la communauté scientifique pour expliquer un tel ralentissement, c'est que l'Océan Pacifique n'a eu de cesse de stocker de l'eau chaude depuis 1998. Si cette théorie est exacte, et si un El Niño majeur est de fait en préparation, l'accélération du réchauffement climatique pourrait alors reprendre, avec des conséquences dramatiques.

Comme je l'écrivais à l'automne dernier, le prochain El Niño pourrait suffire à faire de 2014 l'année la plus chaude jamais répertoriée, et 2015 pourrait même l'être encore davantage. A cause du super El Niño de 1997-98, les températures mondiales avaient augmenté quasiment d'un quart de degré Celsius. Si ce niveau de réchauffement se réitère, le monde pourrait avoisiner le degré supplémentaire par rapport à l'ère pré-industrielle, et ce dès les premiers mois de 2015. Pour reprendre les mises en garde du climatologue James Hansen, on approche des températures les plus chaudes depuis le début de la civilisation humaine.

Ces prévisions commencent déjà à avoir des effets: en mars, l'index des prix alimentaires a connu son record depuis 10 mois, une augmentation qui s'explique en partie par les pénuries qu'El Niño pourrait exacerber. Et ce n'est pas fini:

  • Une grave sécheresse touche actuellement l'Indonésie et ses voisins, une situation qui pourrait s'empirer avec El Niño.
  • Les pêcheurs d'anchois du Pérou pourraient sérieusement souffrir si un puissant El Niño se matérialise.
  • Les violents incendies qui ravagent actuellement le bush australien pourraient encore s'intensifier avec le retour de la saison sèche d'ici la fin de l'année.

Mais jusqu'à maintenant, l'impact le plus étrange d'El Niño se joue sans doute en Inde, où les prévisions des moussons se retrouvent au cœur des débats politiques nationaux. L'office météorologique indien a même accusé les prévisionnistes américains de vouloir «répandre des rumeurs» et de manigancer la ruine des marchés boursiers indiens en conjecturant un retour d'El Niño.

Mais il n'y a pas que des mauvaises nouvelles: dans un tel contexte météo, la saison des ouragans est en général moins forte dans l'Atlantique. Et les habitants de Californie, affligée par la sécheresse, pourraient être excusés s'ils en viennent à croiser les doigts pour la venue d'un vigoureux El Niño, vu que le phénomène est lié à certains des mois les plus humides de toute l'histoire de l’État.

Pour autant, rien ne dit qu'un El Niño suffise à venir à bout de la sécheresse californienne, ni même génère des précipitations supérieures à la normale. Et si, cet hiver, El Niño est vraiment aussi fort que ce qu'augurent les prévisions actuelles, on pourrait passer sans transition de la sécheresse au déluge, avec crues et coulées de boue dévastatrices. Les deux El Niños les plus forts de ces trente dernières années – ceux des hivers 1982-83 et 1997-98 – ont causé d'importants dégâts en Californie dus aux inondations.

Morale de l'histoire: attention à ce que vous pourriez souhaiter.

Eric Holthaus 

Traduit par Peggy Sastre

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