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Pourquoi les boîtes noires des avions ne transmettent pas leurs données en direct

Le débat réapparaît dans les médias, cinq ans après le crash du vol Rio-Paris.

Des membres de l'armée de l'air vietnamienne dans le cockpit d'un hélicoptère lors de la mission de recherche du vol MH370 de Malaysia Airlines au large de l'île de Tchi Chu, au Vietnam, le 10 mars 2014, REUTERS/Athit Perawongmetha
Des membres de l'armée de l'air vietnamienne dans le cockpit d'un hélicoptère lors de la mission de recherche du vol MH370 de Malaysia Airlines au large de l'île de Tchi Chu, au Vietnam, le 10 mars 2014, REUTERS/Athit Perawongmetha

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur Business Week, The Wire, ABC News, The Guardian, The Wall Street Journal

Le mystère demeure toujours entier sur ce qui est arrivé au vol MH 370 de Malaysia Airlines, plus de trois jours après sa disparition dans la nuit du vendredi 7 au samedi 8 mars au-dessus du Golfe de Thaïlande.

Alors que des moyens colossaux sont mis en œuvre pour retrouver ne serait-ce qu'un infime débris, une question a fait sa réapparition dans les médias: pourquoi les fameuses boîtes noires qui enregistrent les données du vol et les conversations des pilotes n'envoient-elles pas leurs informations en temps réel au sol? Après tout, il est désormais possible de téléphoner par satellite, d'accéder à Internet ou de regarder la télévision en direct dans les avions, et même les voitures sont connectées à Internet. Serait-il beaucoup plus difficile de transmettre les précieuses données des boîtes noires en temps réel?

Le même débat était apparu en 2009 au moment du crash du vol d'Air France AF447 Rio-Paris, dont les boîtes noires étaient restées au fond de l'océan deux ans avant d'être retrouvées par un robot sous-marin. Et la réponse n'a pas changé en cinq ans: cela coûterait trop cher.

J'avais interrogé à l'époque Gonzalez Perez, responsable des études techniques de communications sécuritaires aéronautiques par satellite au Centre national d'études spatiales (CNES), qui expliquait:

«Aujourd'hui, on sait transférer des données d'un avion au sol en temps réel. En aérospatiale, il existe des systèmes qui permettent d'avoir une visibilité quasiment permanente sur les navettes ou encore la station spatiale internationale (ISS). [...] Techniquement, rien n'est impossible. Mais il y a une différence énorme entre récupérer les données d'une navette spatiale et celles des milliers d'avions actuellement en circulation.»

Coût, bande passante et capacité satellitaire

Il faudrait en effet installer des systèmes dédiés dans chaque avion et une couverture de la quasi-totalité de la planète, sans compter la quantité considérable d'information à traiter en permanence. Une étude réalisée par le fabricant de boîtes noires L-3 Aviation Recorders et un opérateur de satellites citée par Business Week a estimé en 2002 qu'une compagnie aérienne voulant transmettre toutes les données de vol de sa flotte en direct devrait dépenser 300 millions de dollars par an, et ce en tablant sur une baisse future de 50% du coût des transmissions par satellite.

Dans le même temps, la sécurité aérienne ne cesse de s'améliorer, faisant des accidents d'avion des évènements très rares. Selon un rapport de l’Aviation Safety Network, groupe de recherche privé basé aux Pays-Bas, il n'y a eu que 29 accidents d’avions sur un total de 31 millions de vols l'année dernière.

Parmi les autres problèmes que nous évoquions déjà en 2009 figure celui de la masse des informations à transmettre. Avec plus de 50.000 vols par jour dans le monde, la disponibilité des bandes de fréquence et la capacité satellitaire sont des obstacles majeurs.

Le spécialiste de l'aviation de la chaîne américaine ABC explique ainsi:

«Si ne serait-ce que la moitié des vols transmettaient en direct toutes les données du "Flight data recorder", la bande passante serait immense.»

Solutions intermédiaires

Tous ces obstacles signifient-ils qu'il faut abandonner l'idée de transmettre les données des avions en temps réel? Ce n'est pas l'avis de Stephen Trimble, journaliste spécialisé sur l'aviation. Dans une tribune publiée dans le Guardian, il reconnaît que la tâche est loin d'être facile, mais estime qu'il existe des solutions intermédiaires:

 «Même un petit peu de données est mieux que presque rien, comme le montre clairement la disparition du vol 370. Il devrait être assez simple d'installer un processeur connecté à la boîte noire qui pourrait sélectionner un sous-ensemble avec les données les plus pertinentes. Un brevet récemment déposé par Boeing décrit un tel système, qui spécifie un jeu de données limité qui comprend la localisation précise de l'appareil et les commandes de vol entrées par le pilote ou le système automatique.»

Alan Diehl, un ancien enquêteur sur les accidents de vols commerciaux et expert militaire en sécurité américain cité par le Wall Street Journal, abonde:

«Une telle solution aurait dû être adoptée depuis longtemps quand on voit l'état actuel de la technologie et l'importance primordiale de fournir des données rapides aux enquêteurs. On ne peut plus s'en remettre aux caprices de la recherche de boîtes noires à chaque accident.»

Quand on veut, on peut

Certains systèmes existent comme le data link, qui permet de transmettre les données des calculateurs de bord (position, altitude, vitesse, météo) par satellite à intervalles réguliers quand le contact radio n'est pas possible sur les longs courriers. D'autres systèmes alternatifs existent déjà ou sont en phase de test.

Les messages 24 messages d'erreur ACARS envoyés en l'espace de 4 minutes par l'A330 d'Air France avant son accident ont également été transmis par satellite et avaient donné quelques indications dans l'attente des boîtes noires. Mais, comme l'avait rappelé le directeur du Bureau d'enquête et d'analyses, ces signaux ne sont pas «conçus pour les enquêtes», et ne font que donner des indications sur le statut de certains systèmes de l'avion.

La question n'est donc pas de savoir si on peut communiquer les données en temps réel, mais plutôt si on veut vraiment le faire. Après le crash du vol Rio-Paris, l'idée avait fait son chemin dans les médias et l'opinion avant de retomber dans l'oubli avec le temps et le manque d'entrain des compagnies aériennes. Il y a de bonnes chances pour que le scénario se répète dans les prochaines semaines. 

Grégoire Fleurot

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