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Pourquoi la Russie a envoyé des forces «non-identifiées» en Crimée

La pratique de «désilhouettage» adoptée par la Russie présente plusieurs avantages dans une telle situation.

Des hommes armés patrouillent à l'aéroport de Simferopol en Crimée le 28 février 2014, REUTERS/Baz Ratner
Des hommes armés patrouillent à l'aéroport de Simferopol en Crimée le 28 février 2014, REUTERS/Baz Ratner

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Ce texte a d'abord été publié sur le blog «Guerres et Influences». Il est reproduit ici avec l'autorisation de son auteur Romain Mielcarek, contributeur régulier de Slate.fr.

Je ne sais pas vous, mais moi, les photos des «soldats russes» présents en Crimée m’interpellent. Cagoules et autres écharpes sur le visage, peu d’écussons et d’insignes d’unités visibles, ils incarnent tout le mystère que l’on trouve habituellement chez les forces spéciales. Après un rapide échange sur Twitter avec les camarades d’Alliance géostratégique, je compris qu’il s’agissait de «désilhouetter» les personnels déployés.

Le premier intérêt du désilhouettage, c’est évidemment de préserver l’identité des individus. C’est un grand classique dans les unités dont la discrétion est le cœur de métier. On ne peut ainsi pas savoir qui sont les hommes présents en différents points de la région ukrainienne qui commence à être inondée de Russes armés.

Des forces spéciales donc, mais aussi potentiellement des civils armés, qu’ils soient des «contractors» privés ou des locaux soutenant les forces russes. On préserve également l’identité d’agents de renseignements, plusieurs médias ayant évoqué des hommes du FSB et même des Spetsnaz du GRU, service action du renseignement militaire russe.

De plus, cela complique la tâche des services de renseignement et des chancelleries diplomatiques adverses. Le ministre russe des Affaires étrangères s’est ainsi permis d’assurer, alors que l’aéroport de Simferopol était tombé entre les mains de combattants russes, que l’armée n’était pas présente.

De simples contractors qui travaillent en toute légalité à la demande de Moscou. Allez donc vérifier qui sont ces personnels. La réponse à apporter n’est pourtant pas la même si les acteurs de cette crise sont des civils armés sous contrat, ou non, des soldats conventionnels, des forces spéciales ou des agents de renseignement.

Pour les médias, enfin, la tâche est tout aussi compliquée. Rares sont ceux qui parviennent à comprendre le déroulement de la situation et les retours d’Ukraine restent particulièrement flous. Après avoir évoqué des soldats russes, puis des mercenaires, la plupart des journalistes évoquent désormais plus sobrement des «soldats non identifiés». Cette incapacité à identifier les belligérants complique d’autant la grille de lecture d’un conflit dont les enjeux continuent d’échapper à beaucoup d’Européens.

Autre intérêt de la démarche: elle empêche les observateurs de décompter les soldats présents. Faute de reconnaissance faciale, une même unité peut en effet être déplacée d’un point A à un point B pour donner une impression de volume humain plus importante que dans la réalité. En particulier sur les images relayées par les médias.

On notera d’ailleurs que les soldats se laissent photographier sans la moindre hésitation. Au contraire! Dans la perception collective, locale comme internationale, les Russes sont ainsi massivement présents sur le terrain... quand officiellement, ils sont toujours à la frontière!

Pendant ce temps, la chaîne publique Russia Today insiste et relaie massivement les manifestations pro-Russes et les défections d’unités de l’armée ukrainienne.

La démarche n’est pas exclusivement russe. Quelques jours/semaines plus tôt, plusieurs groupes faisaient de même parmi les manifestations de la place Meidan, à Kiev, qui réclamaient le départ du gouvernement.

Parmi les Ukrainiens en colère, des mouvements radicaux... et même des commandos à la nature curieuse. Comme le commando des «casques bleus de Maidan» du soldat «Delta», un vétéran des forces de défense israéliennes qui dirigeait une trentaine d’hommes et de femmes dans des combats contre les autorités.

Romain Mielcarek

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