Sciences / Life

Mon génome est-il une info comme les autres?

Aux Etats-Unis, une bataille oppose l'Etat à une société de tests génétiques, 23andMe, sur le sujet des données personnelles de santé.

Matériel génétique humain dans un laboratoire à Munich Michael Dalder / Reuters
Matériel génétique humain dans un laboratoire à Munich Michael Dalder / Reuters

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En novembre, la FDA, l'administration centrale de la santé américaine, demandait à 23andMe d'arrêter la commercialisation de ses kits de génomique personnelle. La FDA veut obtenir, de la part de l'entreprise de biotechnologie qui propose pour 99 dollars (un peu moins de 75 euros) une analyse du code génétique des clients, des garanties qu'elle possède bien une «validation clinique ou analytique» des données génétiques fournies à ses clients. Du côté de 23andMe, l'entreprise a d'abord affirmé qu'elle ne fournissait que des données et des informations, sans conseils médicaux, avant d'annoncer qu'elle ne vendrait désormais plus que des informations généalogiques et des données génétiques «brutes», sans interprétations médicales.

Deux camps se sont rapidement formés chez les observateurs, chacun essayant de voir quelle partie pourrait, et devrait, l'emporter. Si l'affaire est susceptible d'avoir de lourdes conséquences sur le secteur, naissant, de la génomique personnelle, cette prise de bec entre la FDA et 23andMe a tout d'un match nul.

Fondamentalement, le bras de fer concerne des divergences culturelles sur l'usage que fait le secteur privé de données médicales et sur ce que différentes personnes peuvent attendre de ces données. Le terme même de données invoque sans doute une image d'objectivité, mais la manière dont nous les utilisons importe autant, sinon plus, que les chiffres en eux-mêmes. Si les cliniciens, patients et start-ups (sans oublier les administrations hospitalières, les chercheurs en biomédecine et les compagnies d'assurance) ont tous besoin de ces données, c'est à chaque fois pour en faire quelque chose de spécifique.

Ce décalage relève d'un véritable choc culturel entre le secteur médical et le secteur technologique sur la manière d'appréhender nos données. Pour un médecin, le plus n'est pas forcément le mieux. Dans son cas, les données d'un patient sont liées à des questions de temps et de main-d’œuvre et n'ont un intérêt qu'en termes de décisions et d'actions cliniques. Trop de données peut, par exemple, engendrer des traitements inutiles ou diminuer le temps alloué aux soins. En revanche, pour les start-ups, les données personnelles ont tout d'un «nouvel or noir» à collecter et à monétiser le plus rapidement possible. Pour la plupart d'entre elles, leur business model repose sur les données générées par leurs utilisateurs. Mais en fin de compte, pour les médecins, les données patients ne sont qu'un sous-produit de leurs services qui, eux, importent le plus.

Du côté des patients, on chérit ses données –qu'elles proviennent d'applications ou de services comme 23andMe– car ce sont des chiffres qui reflètent une histoire personnelle et qui permettent des connexions et des conversations avec, par exemple, des prestataires médicaux. Face à la plupart de ses patients, un généraliste n'aura que faire des données générées par un podomètre numérique. Mais, d'un autre côté, bon nombre de médecins s'intéressent de près à tout ce qui peut encourager l’activité physique de patients trop sédentaires. Ce type de données peut être très utile en termes d'analyse et de changement du mode de vie, et ce même sans expertise ni évaluation médicale.

C'est un élément qu'admet la FDA. Dans ses recommandations publiées cet automne, l'agence a opéré un distinguo entre les applications mobiles qui fournissent des données permettant à leurs utilisateurs de surveiller leur propre santé et celles qui transforment nos smartphones en appareils médicaux ou qui proposent des diagnostics.

Ce qui nous ramène à 23andMe. Actuellement, pour les médecins, les données générées par les tests de génomique personnelle n'ont qu'un intérêt réduit, si ce n'est inexistant. Les informations génétiques n'aident que rarement les médecins et leurs patients à prendre des décisions et, dans le cas contraire, ce sont des informations issues de tests bien plus complexes que ceux fournis par 23andMe. Pour autant, les données de 23andMe peuvent être une motivation à vivre plus sainement ou à se rapprocher de son médecin pour en parler. Dans ce cas, 23andMe est sur le fil de notre capacité à imaginer que des données puissent avoir des effets différents selon les contextes, en répondant peut-être aux désirs des patients, sans pour autant répondre aux besoins des médecins. 

Le problème étant que les informations médicales fournies par 23andMe n'ont, pour la grande majorité de ses utilisateurs, aucun intérêt sans interprétation. En continuant, après la décision de la FDA, à permettre à ses clients d'obtenir des données génétiques «brutes», 23andMe semble démontrer que les données de santé peuvent être un produit distinct de leur interprétation. Mais pour la FDA, à juste titre, la démarche est risquée tant elle peut s'ouvrir sur un exercice illégal de la médecine ou permettre à tout un chacun d'accéder à des données potentiellement incomplètes ou erronées. Pour 23andMe, sur un plan purement statistique, cette décision relève sans doute d'une excellente stratégie, mais elle est exécrable en termes de santé publique.

Pour autant, à notre époque d’obsession factuelle, dire aux gens qu'ils n'ont pas le droit d'obtenir des données issues de leur propre corps ou de leur histoire génétique personnelle a tout d'une initiative caduque et paternaliste. La réalité du système de santé américain veut que, du moins sur la question des données, nous soyons tous autant patients que clients. Et c'est une réalité complexe qui ne cadre ni avec les règles de Washington, ni avec la rhétorique de la Silicon Valley.

Gina Neff 
Maître de conférences à l'université de Washington et auteure de Venture Labor: Work & the Burden of Risk in Innovative Industries. Les recherches du Dr. Gina Neff relatives aux données de santé ont été financées par Intel et la National Science Foundation.

Traduit par Peggy Sastre

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