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Syrie: l'attaque chimique de Bachar el-Assad, un «coup magistral»

Et si l'attaque au gaz neurologique de Bachar el-Assad était un calcul politique purement cynique?

Un expert de l’ONU en armes chimiques près de Damas le 29 août 2013, REUTERS/Mohamed Abdullah
Un expert de l’ONU en armes chimiques près de Damas le 29 août 2013, REUTERS/Mohamed Abdullah

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Au cours des deux semaines qui se sont écoulées depuis les attaques au gaz dans la banlieue de Damas qui ont tué plus de 1.000 personnes et pourraient entraîner une réponse militaire occidentale, beaucoup de gens se sont demandé ce qui avait bien pu passer par la tête de Bachar el-Assad. Sachant que Barack Obama avait clairement fait comprendre que le gouvernement syrien pouvait faire ce qu’il voulait sans déclencher d’intervention américaine sauf utiliser des armes chimiques, pourquoi a-t-il tenté le diable?

La question de la motivation a même poussé certains commentateurs à se demander si le gouvernement syrien avait vraiment perpétré l’attaque, ou si les rebelles eux-mêmes n’avaient pas essayé de déclencher une intervention internationale.

Pour mieux comprendre ce qui peut avoir motivé Assad, j’ai parlé avec le spécialiste des sciences politiques Alastair Smith, de la NYU, co-auteur avec Bruce Bueno de Mesquita de The Dictator’s Handbook. Ce livre de 2011 est une analyse brutalement cynique des raisons pour lesquelles les autocrates agissent comme ils le font.

Selon Smith et Bueno de Mesquita, les dirigeants sont motivés quasi-uniquement par le désir de rester au pouvoir. Pour comprendre leur comportement, il faut regarder leur «coalition gagnante», la petite équipe de soutiens qui leur permet de rester à leur poste.

Les dictateurs perdent le pouvoir quand leurs soutiens clés les abandonnent (regardez comment l’armée égyptienne s’est détournée d’Hosni Moubarak puis de Mohammed Morsi), et non quand leur peuple se soulève contre eux. Dans le cas syrien, Smith pense que l’utilisation d’armes chimiques était un pari risqué mais rusé dont le but n’était pas tant de punir les rebelles que d’envoyer un signal à ses soutiens (majoritairement des membres de la secte religieuse alaouite) et à ses alliés internationaux les plus importants:

«D’abord, utiliser des armes chimiques a complètement cimenté le fait qu’il n’y aura pas de fin en douceur pour Assad. Cela a deux conséquences. En Syrie, cela a envoyé un signal à sa coalition qu’elle ferait bien de rester avec lui. Il est là pour durer et il n’a pas de porte de sortie facile, ils savent donc qu’il ne va pas les abandonner. Ces crimes contre l’humanité signifient aussi clairement que la vie sera très dure pour les alaouites en cas de transition politique, ce qui les rend encore plus loyaux envers lui. Ils ne peuvent aller nulle part ailleurs.

C’est aussi un coup international magistral. L’étendue de l’utilisation d’armes chimiques n’a pas été suffisante pour qu’Obama se décide à envoyer des troupes au sol. Les frappes aériennes débattues ne seront probablement pas un facteur militaire décisif.

Et la Russie et l’Iran seraient ravis de faire un pied de nez aux Etats-Unis, et c’est la meilleure manière de s’y prendre. Les Américains vont devoir y aller seuls s’ils y vont, et cela est un bon moyen pour la Russie et l’Iran de les faire passer pour des impotents pathétiques. La Russie va continuer à fournir des armes [à Assad] et l’Iran va continuer à lui fournir de l’argent. C’était donc un très joli coup de sa part.»

Si l’on accepte cette hypothèse sur les motivations d’Assad, cela ne présage rien de bon pour l’impact des potentielles frappes aériennes sur la dynamique du conflit ou sur la future utilisation d’armes chimiques. Pour Smith, Assad est «probablement terrifié à l’idée de perdre certains de ses avions de chasse, mais il y a des limites à ce que les Etats-Unis peuvent faire. Plus ils essayent de faire exploser de choses, plus les iraniens lui donneront de l’argent et les Russes du matériel.»

Le point de vue sur la politique développé dans le Dictator’s Handbook est souvent éclairant, mais rarement encourageant. Quand j’ai demandé à Smith quelles leçons les autres dirigeants autocratiques allaient tirer de la manière dont Assad gère la guerre civile, il a répondu:

«Soyez brutaux. Utilisez tous les moyens à votre disposition pour trouver de l’argent, trouvez des alliés internationaux pour vous financer, et utilisez des techniques de répression brutales parce que cela va marcher. S’il n’avait pas été brutal, il ne serait plus là.»

Joshua Keating

Traduit et adapté par Grégoire Fleurot

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