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Prism, Snowden, et les guignols de la NSA

Si la NSA a fait confiance à Edward Snowden pour manipuler nos données, pourquoi devrions-nous faire confiance à la NSA sur la sécurité de nos données?

Le siège de la National Security Agency (NSA) à Fort Meade dans le Maryland. REUTERS/NSA/Handout via Reuters
Le siège de la National Security Agency (NSA) à Fort Meade dans le Maryland. REUTERS/NSA/Handout via Reuters

Temps de lecture: 3 minutes

Edward Snowden est visiblement un jeune type tout ce qu'il y a d'aimable et de patriote, et je suis vraiment content qu'il ait fait fuiter le programme de surveillance de la NSA. Mais plus j'en apprends sur sa personne, plus je m'énerve. Lui, non mais pardon, vous rigolez? La NSA a fait confiance à ce gars pour manipuler ses documents les plus sensibles? Et aujourd'hui, alors que sa totale incompétence en matière de protection de ses propres données est étalée en place publique, l'agence voudrait nous faire croire que nos informations sont en sécurité? Misère!

Selon le Guardian, Snowden a 29 ans. Adolescent, il abandonne le lycée et veut rejoindre les forces spéciales américaines, mais doit renoncer à l'armée pour cause de blessure. Sa formation technique se résume à quelques cours d'«informatique» suivis quand il reprend brièvement ses études pour obtenir l'équivalent du bac –un cursus qu'il ne termine pas. Il entre une première fois à la NSA en tant qu'agent de gardiennage.

Et là, miracle, il gravit les échelons de la plus haute infrastructure du renseignement américain. La CIA l'embauche pour s'occuper de sa sécurité informatique. A Genève, il officie sous couverture diplomatique. Puis il se fait embaucher par Booz Allen Hamilton, le sous-traitant du gouvernement, qui le paye 200.000 dollars par an pour travailler sur les ordinateurs de la NSA.

Notez bien tout ce que Snowden n'est pas: ce n'est pas un agent chevronné du FBI ou de la CIA. Ce n'est pas un analyste du Département d’Etat. Ce n'est pas non plus un juriste, spécialiste de sécurité nationale ou de protection de la vie privée.

C'est juste un gars du service technique et qui plus est sans faits d'armes exceptionnels. Si Snowden avait envoyé son CV aux entreprises informatiques qui fournissent des données au programme PRISM de la NSA, je doute qu'on lui ait accordé un entretien. Certes, il peut très bien être un génie de l'informatique – de nombreuses célébrités du milieu ont un parcours scolaire chaotique. Mais il a pu accéder à des informations que même un supergeek n'aurait pas eu le droit d'apercevoir.

Des infrastructures de surveillances détaillées sur un PowerPoint???

Comme il l'explique au Guardian, la NSA lui a permis de «tout» voir. Il obtient de la NSA la plus haute habilitation de sécurité, ce qui lui permet de voir et d'enregistrer les documents les plus sensibles de l'agence. Et il n'a pas seulement connaissance des systèmes de surveillance de la NSA – il déclare avoir eu la capacité de les utiliser. «Moi, assis à mon bureau, j'avais toutes les autorisations pour mettre n'importe qui sur écoute, que ce soit votre comptable ou un juge fédéral, et même le président si j'avais un mail personnel en ma possession», explique-t-il dans l'entretien vidéo qui accompagne l'article.

Parce que Snowden est aujourd'hui à Hong Kong, on ne sait pas trop ce que les Etats-Unis peuvent lui faire. Mais attendez-vous à un tombereau d'insultes de la part des officiels. Ils y verront un traître, un menteur, un ambitieux, quelqu'un manquant de patriotisme, de sens professionnel, j'en passe et des pires. Mais comme dans l'affaire Bradley Manning, plus Snowden sera décrié, plus les arguments du gouvernement en faveur de la surveillance se réduiront comme peau de chagrin.

Après tout, ce sont eux qui l'ont embauché. Eux qui lui ont donné un accès total à leurs systèmes, des ordonnances juridiques aux présentations PowerPoint détaillant la fine fleur de leur infrastructure de surveillance. (Remarquez bien aussi que ce sont eux qui ont fait une horrible présentation PowerPoint détaillant la fine fleur de leur infrastructure de surveillance – non, mais sérieusement, qui fait ça?

Ces derniers temps, j'ai lu beaucoup de romans de John Le Carré, et quand j'ai vu la présentation de PRISM, j'ai tout de suite pensé à George Smiley, le vieil espion qui met un point d'honneur à ne jamais consigner ses secrets par écrit. Et là, que font nos espions? Non seulement ils consignent leurs trucs par écrit, mais ils cherchent à rendre leurs secrets plus facilement présentables devant un large public!)

Ce qu'il y a de pire dans cette histoire de surveillance, ce n'est pas son ampleur. C'est qu'elle se déroule dans le secret le plus total et nous empêche d'évaluer correctement son niveau de sophistication. Tout ce que nous avons à disposition, ce sont les dires de nos politiciens qui soutiennent mordicus avoir minutieusement vérifié ces systèmes, que nos données sont en parfaite sécurité et que nous pouvons leur faire aveuglément confiance.

La fuite de Snowden est donc doublement préjudiciable. Le scandale, ce n'est pas seulement que le gouvernement nous espionne. C'est qu'il donne à des types comme Snowden les clés de ses programmes d'espionnage. On est dans l'un des pires mélanges qui soit, celui de l'orgueil et de l'amateurisme, dans une histoire de pouvoir laissé aux mains d'incompétents. On se fait tous écouter par Dupond et Dupont.

Farhad Manjoo

Traduit par Peggy Sastre

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