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Boston comme Columbine?

Les frères Tsarnaev étaient-ils une «dyade», comme Eric Harris et Dylan Klebold, un chef charismatique et un adepte soumis?

Columbine le 20 avril 1999 / Reuters
Columbine le 20 avril 1999 / Reuters

Temps de lecture: 5 minutes

• Pour un récapitulatif des événements, et de leur déroulement, lisez le compte-rendu en direct de la nuit de vendredi à samedi, pendant laquelle le suspect vivant a été repéré et arrêté.

Mon fil Twitter a été littéralement envahi par ce thème aujourd’hui: les frères Tarnaev ressemblent plus aux tueurs de Columbine qu’à al-Qaïda.

Peut-être. Ou peut-être pas, ou carrément, ou bien un peu des deux. Il est de toutes manières bien trop tôt pour se prononcer. La première chose que j’ai apprise en couvrant Columbine toutes ces années c’est que la plupart des théories qui vont fleurir cette semaine vont se révéler fausses.

Mais la situation telle qu’elle apparaît est intéressante, avec ces deux frères suspects: potentiellement, une sorte de scénario classique de la «dyade.» Parmi les exemples les plus célèbres, citons Bonnie et Clyde, Léopold et Loeb et les snippers de Washington D.C. Les dyades sont souvent des duos pervers, des relations particulières qui fonctionnent d’une manière bien différente de celle du tueur solitaire ou de l’équipe de terroristes.

Cette idée était manifestement dans tous les esprits: essayons d’explorer ce phénomène des dyades et la manière dont elles fonctionnent. Nous ne saurons que bien plus tard si ce modèle d’analyse est pertinent.

Dyade typique

Il pourrait s’agir d’une relation fusionnelle, dans laquelle Tamerlan Tsarnaev, entraîné comme un terroriste traditionnel, a suivi le modèle typique de la dyade dans la manière qu’il a  eu d’intégrer son frère.

Nous ne savons même pas s’il s’agit d’une authentique dyade au sens de la planification conjointe. Tout ce que nous savons, c’est que Dzhokhar (ou Tamerlan?) n’a appris le contenu des sacs que 20 minutes avant l’attentat. Son frère aîné lui a peut-être demandé de transporter le sac et de le déposer à tel endroit. Dzhohkar s’est peut-être douté de quelque chose, de rien ou avait tout compris. Tout ce que nous savons c’est qu’ils se trouvaient tous les deux sur les lieux et qu’ils se sont enfuis ensemble. Ce qui s’est passé avant est encore un mystère.

Bonne nouvelle: c’est un modèle typique de dyade. Cela contraste avec le modèle des tueurs solitaires, qui, généralement, ont des profils psychologiques d’une immense variété. Toutes les études ont montré qu’il n’y a pas de tueur de masse typique. Les tueurs de masse ne sont généralement pas des solitaires ni des déclassés – les deux tueurs de Columbine n’étaient ni l’un ni l’autre.

Dominant, dominé

Les tueurs de dyade sont plus faciles à cerner (si l’on peut dire). Il y a cette idée répandue du dominant, du chef charismatique qui parvient à entraîner son adepte soumis dans son plan diabolique – et étonnamment, cette vision est généralement la bonne. Le chef est la plupart du temps un sadique, un psychopathe déshumanisé – pas toujours, mais plus souvent que dans le cas des tueurs solitaires, chez lesquels ce type de personnalité est rare. L’adepte est généralement dépressif, soumis ou dépendant d’une manière ou d’une autre.

Quand il existe une différence d’âge substantielle – comme lorsque l’un des deux tueurs vient juste de sortir du lycée – même si ce schéma ne se vérifie pas à 100%, c’est la plupart du temps le plus âgé qui est le chef.

Les dyades sont généralement composées de personnalités contrastées. Un tueur psychopathe ne s’allie généralement pas à un autre tueur psychopathe. Les dépressifs ne font pas alliance. Les psychopathes adeptes de sensations fortes peuvent s’associer, mais la plupart cherchent dans l’autre les qualités qui leur manquent.

L’exemple de Columbine est, en l’espèce particulièrement éclairant. C’est un exemple assez mauvais pour tenter de comprendre les tueries de campus et d’écoles, car il est très atypique: cela n’aurait même pas dû être une fusillade. Les deux tueurs voulaient faire sauter des bombes au départ, mais elles n’ont pas sauté. Columbine est malgré tout l’exemple parfait de la dyade: Eric Harris voulait qu’un larbin le suive; Dylan Klebold se cherchait un chef pour le mener à la baguette.

Des psychopathes comme Eric Harris sont en perpétuelle recherche d’excitation et ont du mal à être satisfaits. Un tueur ambitieux peut se chercher un assistant facile à manipuler et à exciter. Il n’est pas recruté pour argumenter, critiquer ou pour que la gloire rejaillisse sur lui: il est là pour servir de Fan numéro 1.

Dylan ne risquait guère de se retrouver associé avec un autre gamin en détresse. Eric irradiait la confiance en soi, le charisme et une vision grandiose de la meilleure manière de finir en beauté et dans le sang.

Je me suis souvent demandé pourquoi Eric avait recruté un partenaire. Leurs écrits indiquent que Eric a acheté les armes, réuni les munitions, effectué les recherches pour les bombes, les a fabriquées, a conçu le plan et dessiné les diagrammes, effectué les reconnaissance de terrain, calculé la meilleure manière de faire le plus de morts possible, et a conçu toute l’opération. Pourquoi avait-il donc besoin de Dylan ?

Maximiser le plaisir

Pour transporter un des sacs et tuer plus de monde? Mouais. Eric aurait-il pu demander à son ami de déposer le sac contenant la bombe au propane dans la cafétéria sans lui dire ce qu’il contenait? N’avait-il pas assez de munitions et de puissance de feu avec ses deux armes pour tuer des centaines de personnes? Il aurait pu tuer bien plus que 13 personnes qu’il n’avait pas passé son temps à rire de cette tuerie avec son partenaire tandis qu’ils s’y adonnaient.

C’est le nœud du problème. La fusillade était en fait superflue – ce sont les bombes qui devaient tuer le plus de monde. La fusillade était censé être récréative. «On s’amuse.» Voilà ce qu’ils ont écrit sur le planning de leur tuerie, à la ligne consacrée à la fusillade.

Quatorze ans après Columbine, je dirais que pour Eric,  l’objectif premier de la présence de Dylan dans cet histoire était de s’amuser. C’est pas très drôle de tirer dans le tas tout seul! Et surtout, comment passer une année entière à préparer un coup pareil si on sait qu’on ne va pas s’amuser?

Les tueurs en série n’espacent pas leurs meurtres pour être plus efficaces. Ils le font pour maximiser leur plaisir. La mort et la torture sont la partie amusante. Ils veulent se repaître des hurlements. Ils veulent être reconnus. Il leur arrive même d’assister l’enquête policière, non pour se faire prendre, mais pour se jouer des flics et se moquer d’eux.

Complicité

Les tueurs sadiques qui passent à l’acte, comme ceux de Columbine, doivent planifier leurs actions durant des mois et, durant cette période, sont en attente de satisfaction. Il n’y a qu’une seule explosion de bombe, mais la véritable excitation, c’est de la planifier. Dylan a offert à Eric un public intelligent se résumant à une seule personne. Ils ont ri  et joui pendant des mois en constatant que leur entourage ne comprenait pas ce qui se préparait sous leurs yeux.

Les deux jeunes garçons se sont filmés un après-midi alors qu’ils s’entraînaient au tir avec plusieurs de leurs amis quelques six semaines avant le drame. Ils ont tiré sur une quille de bowling et un tronc d’arbre. «Imagine, c’est le putain de cerveau de quelqu’un!» a dit Eric. Tout le monde a rigolé. Mais seuls Eric et Dylan ont compris la blague dans toute sa dimension.

Ca a duré des mois. Une année entière de jouissance. Et cette jouissance n’aurait pas été possible si un adepte soumis n’avait pas été dans la confidence.

Voilà comment les dyades opèrent généralement. Ce modèle s’applique-t-il à la tuerie de Boston? Nous allons peut-être le savoir prochainement.

Dave Cullen

Traduit par Antoine Bourguilleau

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