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Comment Twitter devrait être utilisé par les médias lors d'événements comme le marathon de Boston

REUTERS/Dominick Reuter
REUTERS/Dominick Reuter

Temps de lecture: 6 minutes

Si vous avez suivi les attaques du 11 septembre à la télévision, vous vous souvenez sans doute que les premiers éléments diffusés (et qui se sont révélés faux) faisaient état de l’explosion d’une voiture devant le Département d’Etat (le ministère des Affaires étrangères américain, NdT). Cette information erronée, qui en ce jour de chaos s’est répandue partout, fut ensuite utilisée comme une «preuve» par ceux qui accusent le gouvernement et les médias de complicité dans les attaques qui provoquèrent l’effondrement des tours du World Trade Center.

Ce travail consistant à glaner des informations et à les diffuser est devenu encore plus périlleux avec l’arrivée de Twitter. Si comme l’a un jour dit un journaliste respecté, le journalisme, c’est le premier jet de l’histoire, alors Twitter est le premier jet du journalisme.

Lors d’événements cauchemardesques comme les attentats à la bombe qui viennent de se dérouler à l’arrivée du marathon de Boston, le célèbre service de microblogging est à la fois la cause de et la solution à bien des problèmes journalistiques.

Peu après que des détails ont commencé à filtrer à propos des attentats, l’ancien attaché de presse de George Bush, Ari Fleischer, a évoqué cette question délicate en édictant quelques règles de bon sens à suivre en tant que journaliste, lecteur et porte-parole gouvernemental:

(1: Evitez les suppositions. 2: Le flux d’informations va exploser. Des éléments que personne ne prenait la peine de mentionner vont à présent être diffusés. 3: Les premiers bulletins d’informations vont changer. 4: Ne retweetez pas les tweets sensationnalistes/extrémistes. 5: Pour les porte-parole: évitez de trop parler, officiellement ou officieusement. Attendez de savoir de quoi il retourne.)

Les conseils de Fleischer sont avisés, mais en tant que petite voix derrière le compte Twitter de Slate.com, je me permets de livrer quelques réflexions supplémentaires sur ce que les journalistes, les organes de presse et toute personne pourvue d’un compte Twitter devraient faire lors d’une tragédie nationale comme celle qui s’est produite ce lundi à Boston.

A faire

1. Premièrement, les organes de presse devraient couper leurs feeds automatiques afin de s’assurer que des nouvelles frivoles ou hors sujets ne soient pas diffusées par erreur. Il n’est pas forcément très bien vu de tweeter sur les impôts au Texas pendant que des gens se font amputer à Boston, que vous soyez le gouverneur Perry ou –hum, c’est embarrassant– que vous soyez Slate, avec la dernière chronique en date de Dear Prudence, par exemple:

(Le sujet de Dear Prudence: Le ménage à trois...)

2. Deuxièmement, il est préférable de n’utiliser que des sources officielles et des récits de témoins oculaires, comme le compte Twitter du Département de la Police de Boston ou des conférences de presse officielles.

Citez toujours ces sources directement et ne vous fiez pas à ces gens qui ont entendu quelque chose sur le canal de la police –une source notoirement connue pour son manque de fiabilité et sur laquelle il ne faut donc pas compter pour récupérer des informations solides et vérifiées.

Si les agences de presse sont typiquement les plus fiables et les premières informées, elle se trompent elles aussi bien souvent dans les premières heures qui suivent un événement d’importance.

A titre d’exemple, l’Associated Press (AP) a annoncé lundi en fin d’après-midi (aux Etats-Unis) une fausse information, reprise par Slate et par d’autres et qui indiquait que les autorités avaient coupé le réseau de téléphonie mobile de Boston afin d’empêcher que l’on ne fasse sauter d’autres bombes à distance.

Intéressez-vous aussi aux sources locales. Le Boston Globe a été une des meilleures sources d’informations vérifiées et de témoignages sur Twitter et sur la Toile dans les minutes et les heures qui ont suivi les attentats.

3. Enfin, essayez de conserver le ton le plus sérieux possible pour l’occasion, quand bien même vous êtes un éditorialiste à la plume acérée. Je m’occupe quotidiennement du fil Twitter de Slate et j’essaie d’avoir un ton un peu léger et badin. Mais quand quelque chose du genre des attentats de Boston se produit, vos followers veulent avant tout que vous leur délivriez les infos valables et précises dont vous disposez, pas des blagues sur la manière dont les Républicains vont tenter de mettre ça sur le dos d’Obama.

A ne pas faire

Et maintenant, la liste, bien plus longue, de ce qu’il ne faut pas faire.

1. Premièrement, ne vous faites pas l’écho de spéculations. Pendant une bonne partie de la journée de lundi, le New York Post a diffusé des informations non vérifiées, qui se sont révélées finalement fausses et faisaient état de douze morts dans les explosions. J’ai, de fait, personnellement retweeté les posts d’Andrew Kaczinski de BuzzFeed, un des journalistes les plus brillants et les plus consciencieux sur Twitter et j’ai commis la même erreur sur le compte officiel de Slate.com. Avec le recul, nous aurions sans doute mieux fait de diffuser ces informations en des termes plus mesurés et sceptiques.

A plusieurs reprises, j’ai succombé au désir qui était le mien d’être le premier à diffuser une nouvelle et, malheureusement, je me suis planté. L’an dernier, Slate.com a été un des premiers à tweeter que l’on avait découvert la page Facebook de l’homme que l’on tenait alors pour le tireur de la tuerie de Newton, Ryan Lanza. Peu après, il a été découvert –ironie de l’histoire, c’était entre autres par le New York Post– que le tireur n’était pas Ryan mais son frère, Adam. En rapportant que Susan Candiotti de CNN avait déclaré que Ryan était le tireur suspecté, j’avais pris soin de citer une source reconnue. Il s’est finalement avéré que l’information était fausse, ce qui constitua une des erreurs des plus embarrassantes de ma carrière de journaliste.

2. Ce qui nous conduit au point numéro deux: ne vous acharnez pas sur les gens qui, sur Twitter, diffusent des informations erronées. Quand un événement de ce genre se produit, il y a toujours des erreurs factuelles, tout le monde en fait.

Que celui qui n’a jamais péché me lance le premier tweet. On peut se retrouver à moquer le NewYork Post pour son erreur et, une minute plus tard, diffuser une fausse nouvelle tombée sur le fil de Reuters. Dans le même ordre d’idée, il est également préférable d’éviter les sermons et les grandes déclarations visant à montrer votre hauteur de vue. Elles sonnent faux et désinvoltes.

3. Troisièmement: n’utilisez pas une tragédie à des fins politiques avant même que le déroulement des faits ne soit connu. Peu après les explosions, l’éditorialiste Nicholas Kristof, du New York Times, a ainsi tweeté cette inanité: «L’explosion nous rappelle que l’ATF a besoin d’un directeur. Honte aux Sénateurs républicains qui ont bloqué la procédure de désignation.» (ATF: Le bureau fédéral chargé, entre autres, de faire appliquer la loi sur les armes à feu et les explosifs, NdT.)

Réalisant sans doute à quel point ses propos étaient déplacés en de pareilles circonstances, Kristof a rapidement effacé son tweet et s’en est excusé en le qualifiant de «coup bas». A droite, l’éditorialiste Jennifer Rubin, du Washington Post, a également fait très fort en comparant la couverture médiatique des attentats de Boston à ce qu’elle considère comme la non-couverture de l’affaire Kermit Gosnell, un médecin actuellement accusé de meurtre (l’affaire tourne essentiellement autour de la question de l’avortement):

(«Je n’écris rien sur Boston. Ce n’est qu’un simple fait divers.»)

Ce tweet est en fait une réponse à une collègue de Rubin. Sarah Kliff avait en effet tweeté la semaine dernière qu’elle ne parlait pas de Gosnell pour la raison suivante: «Au Washington Post, je m’occupe de politique, pas de faits divers.»

Une autre version de cette tentation twitterienne de régler politiquement des comptes consiste à donner une analyse politique des faits avant même de disposer d’une information tangible sur le sujet.

Sur son blog, David Weigel, qui travaille pour Slate, a publié un bon petit post sur le sujet. Les heures qui suivent un tel événement devraient être celles de la couverture journalistique par les médias locaux et de la collecte et de la diffusion d’informations par les médias nationaux. Point.

Enfin, ne retweetez pas les trolls. Ce dernier conseil peut apparaître superflu, mais il est parfois difficile de se contrôler. Ce que Alex Jones (animateur de radio, adepte des théories du complot, NDE) balance sur Twitter n’a rien à voir avec de l’information. Son boulot consiste à diffuser, sans discernement, toutes les théories du complot possibles. Et notre travail consiste, aussi, à l’ignorer.

Jeremy Stahl

Traduit par Antoine Bourguilleau

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