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Libye: comment les Républicains tentent de profiter de l’autre 11-Septembre

Pour le camp Romney, on ne pouvait pas reprocher à Bush les 3.000 morts causées par al-Qaida. Mais on peut reprocher à Obama les quatre morts de Benghazi. Vraiment?

Le consulat de Benghazi incendié pendant une manifestation armée contre un film produit aux Etats-Unis contre l'islam, le 11 septembre 2012. REUTERS/Esam Al-Fetori.
Le consulat de Benghazi incendié pendant une manifestation armée contre un film produit aux Etats-Unis contre l'islam, le 11 septembre 2012. REUTERS/Esam Al-Fetori.

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La gestion par l'administration Obama de l'attaque du consulat américain de Benghazi (Libye), qui a coûté la vie à l'ambassadeur américain Christopher Stevens le 11 septembre dernier, s'est imposée comme un des thèmes de la campagne présidentielle du côté républicain. Lors du deuxième débat du 16 octobre, Barack Obama a d'ailleurs accusé son adversaire de porter des attaques «insultantes» et «d'essayer de transformer la sécurité nationale en une affaire politique». A l'occasion du troisième et dernier débat du 22 octobre, nous publions un article de Slate.com sur la façon dont les Républicains tentent de jouer la carte Benghazi, publié immédiatement avant le deuxième débat.

***

Le président a été prévenu de la menace imminente d’une attaque terroriste. Il n’a rien fait. L’attaque a eu lieu, des Américains sont mort et le gouvernement tente de dissimuler la vérité.

Voilà le discours des Républicains en 2012. C’est assez drôle, si l’on fait abstraction des mort américains, parce que c’est précisément l’inverse de ce que le parti républicain disait dixans avant. A cette époque, les théories conspirationnistes et l’idée que le président était au courant de tout, mais n’avait rien fait, portaient sur le 11 septembre 2001. Et la ligne du Parti républicain, à l’époque, consistait à dire que toute personne qui accusait le président de négligence ou de tromperie était antipatriotique.

Lundi dernier, le Comité national républicain a posté un véritable acte d’accusation contre Obama et la manière dont il a géré –ou pas du tout géré– l’attaque du consulat américain en Libye. «Moins de deux mois avant l’attaque contre Benghazi, disait le communiqué, le Département d’Etat avait déterminé que le "risque d’une attaque isolée, militaire ou politique contre du personnel de l’administration américaine, des citoyens américains ou des agents commerciaux américains est ÉLEVÉ".»

Par ailleurs, «les responsables de la sécurité des Etats-Unis ont déclaré à plusieurs reprises au Département d’Etat qu’il convenait de déployer davantage de personnel de sécurité en Libye». Au lieu de cela, on en a retiré.

Le Comité se moque même de Joe Biden qui, lors du débat qui l’a opposé à Paul Ryan, a déclaré: «On ne nous a pas dit qu’ils demandaient plus de sécurité». Il dit que cette remarque de Biden «pose des questions sur ce que pouvait contenir le briefing du président relatif aux dispositions prises par l’Amérique avant l’anniversaire du 11-Septembre».

Et il reproche à Jay Carney, responsable des relations presse de la Maison Blanche, d’avoir déclaré à des journalistes que «l’on ne disposait pas d’informations tangibles pouvant indiquer qu’une attaque se préparait contre le bâtiment de Benghazi». Le Comité du Parti républicain maintient que la question principale demeure de savoir si Obama, au cours de son briefing de sécurité, a été ou non averti de ces menaces et de ces demandes de sécurité.

«L’administration tente de dissimuler sa faute»

Dick Cheney, l’ancien vice-président de George W. Bush, n’a de cesse de demander à Obama de répondre à cette question. Le 2 octobre, il a ainsi déclaré:

«Selon les dernières informations dont je dispose… ils ont refusé d’accorder des ressources de sécurité additionnelles qui avaient été demandées par le consulat de Benghazi… on dirait bien que l’administration tente de dissimuler sa faute.»

La fille de Dick Cheney, Liz, analyste politique pour Fox News, énumère les preuves:

«Il y a eu un rapport du Département de la Défense et un autre de la CIA. Le chef d’état-major a déclaré aujourd’hui que des rapports convergents indiquaient un regain de la menace d’al-Qaida en Libye et particulièrement à Benghazi. Il y a sans doute de nombreuses informations que le président auraient dû connaître, et que le Département d’Etat aurait dû connaître aussi.»

L'ancien secrétaire à la défense Donald Rumsfeld va dans le même sens. «Il est clair que la situation a été mal appréciée», a-t-il déclaré sur Fox News le 1er octobre. Le lendemain, Rumsfeld paraphrasait des rapports selon lesquels les représentants américains «ne sont pas parvenus à répondre assez rapidement aux rapports concernant les menaces et les inquiétudes exprimées par les gens en Libye».

Rudy Giuliani, l'ancien maire de New York, s'est montré un peu plus mordant. «C’est une tentative de dissimulation; et du pire genre qui soit, parce que cette manœuvre concerne notre sécurité nationale et qu’elle a eu pour conséquence le massacre de quatre Américains.» Le 9 octobre, il enfonçait le clou:

«Nous n’aurions jamais dû être attaqués en Libye. Les avertissements ne manquaient pas. Au lieu de faire monter la sécurité d’un cran, nous l’avons faite baisser d’un cran. Il est bien possible que l’ambassadeur et les trois autres victimes ne seraient pas mortes si une action appropriée avait été prise.»

Avertissements pré-11-Septembre

Peut-être. Peut-être que si Obama et ses sbires avaient décrypté correctement les signaux de danger, ces quatre Américains seraient aujourd’hui en vie. Mais il est tout de même un peu fort de café d’entendre ces complaintes sur les évènements du 11 septembre 2012 émaner des mêmes personnes qui se trouvaient aux leviers de commande le 11 septembre 2001. Vous vous souvenez? Le jour ou près de 3.000 Américains sont morts?

Le rapport de la commission sur le 11-Septembre, publié en juillet 2004, établit qu’il y eut bon nombre de signaux d’avertissement d’une attaque en préparation auxquels personne ne prêta attention. En juillet 2001, un mémo en provenance du bureau du FBI de Phoenix adressé au QG du FBI évoquait «la possibilité d’un effort coordonné de Ben Laden» pour entraîner des terroristes au sein des écoles de pilotages américaines.

Un autre signal d’alarme est tiré en août 2001: un des conspirateurs du 11 septembre, Zacarias Moussaoui, est arrêté pour comportement suspect au sein d’une école de pilotage, qui est signalé à des représentants de la CIA. Mais le document le plus embarrassant date du 6 août 2001, avec le briefing quotidien du président portant le titre suivant: «Ben Laden est décidé à frapper les Etats-Unis.»

Quand ce document est rendu public en mai 2002, Cheney l’écarte. «Ce rapport ne nous a pas donné de renseignements exploitables», insista-t-il lors d’une interview accordée à Fox News. «Il ne nous a rien appris de neuf ni de précis ni de spécifique.» Quant au reste des signaux d’alerte, Cheney les écartait:

«Il n’y avait rien qui nous permettait de prédire ce qui s’est finalement passé. Depuis le 11-Septembre, nous avons appris que le FBI avait mis Moussaoui sous les verrous dans le Minnesota. Nous ne le savions pas avant le 11-Septembre. Cela n’est pas arrivé au niveau présidentiel. On a depuis entendu parler de ce fameux mémo de Phoenix qui remontait au mois de juillet, mais encore une fois, nous n’en avons pas eu connaissance…

Pour entrer un peu dans la mécanique des choses du renseignement, vous savez, nous n’avons pas vraiment l’habitude de lire les rapports de base du FBI. Il y a 56 bureaux dans tout le pays et on a pas vraiment le temps, dans la journée, de lire tout ça, et il faut donc un système qui permet de traiter ces données.»

Signaux peu clairs et échec du système

Dans cette déclaration comme dans d’autres, Cheney invoque chacune des excuses que lui et ses alliés dénoncent à présent à propos du fiasco libyen. Les signaux n’étaient pas assez clairs. Les analyses générales ne sont pas vraiment exploitables. Les signaux d’alarmes tirés par la base «ne sont pas arrivés au niveau présidentiel». Faire le lien entre toutes ces données n’est pas le travail du président. C’est l’échec du «système».

A cette époque, Cheney disait que la Maison Blanche n’aurait jamais dû fournir au Congrès une copie du mémorandum du 6 août. Déclarant que ce document ne contenait pas la moindre information spécifique, il a trouvé le moyen de préciser, dans deux interviews rapprochées, que ce document contenait des informations sur «Nos opérations les plus secrètes» et qu’il «provenait de sources ultra-sensibles et étalait les méthodes du gouvernement. C’est comme les bijoux de famille».

Giuliani, dont la ville a été victime des attaques, n’a pas fait preuve de la moindre indignation à propos des signaux d’alerte qui auraient été négligés. En mai 2002, il pouvait ainsi déclarer que «rien ne me permet pour l’instant de dire que le gouvernement aurait eu des informations qui suggéraient une attaque de ce genre».

Et Rumsfeld, qui a perdu 125 personnes au Pentagone, défendait au même moment l’administration tant dans sa gestion des informations d’avant le 11-Septembre que dans ses échecs du renseignement en Irak. En avril 2004, il déclarait ainsi à des journalistes:

«Si vous m’aviez dit, il y a un an, "Décrivez-moi la situation dans laquelle vous vous trouverez dans un an", je ne vous aurai pas du tout décrit la situation actuelle.»

«Attaques politiques ignobles contre le chef des armées»

Mais les différences entre le 11 septembre 2001 et le 11 septembre 2012 ne se limitent pas à 2.996 morts. Il y a aussi la férocité avec laquelle les Républicains, quand ils étaient à la Maison blanche, taxaient leurs accusateurs d’antipatriotisme.

«Les insinuations des Démocrates selon lesquelles le président et son administration auraient eu connaissance de la préparation de la tragédie du 11-Septembre sont des attaques politiques ignobles contre le chef des armées en temps de guerre», affirmait ainsi le Comité du Parti républicain en 2002. Dans un reproche adressé à celle qui était alors la sénatrice démocrate de New York, Hillary Clinton, Dick Cheney ajoutait:

«Ce que je voudrais dire à mes amis démocrates du Congrès, c’est qu’ils seraient bien inspirés de ne pas chercher à tirer quelque avantage politique en suggérant honteusement, comme certains le font aujourd’hui, que la Maison Blanche avait eu en sa possession des informations qui auraient pu empêcher les tragiques attentats du 11-Septembre. De telles suggestions sont totalement irresponsables et indignes de représentants du peuple en période de guerre.»

Je suis donc persuadé que nous pouvons compter sur des individus de ce genre pour s’appliquer à eux mêmes ces recommandations, à présent que le président est démocrate et que la tragédie en question s’est produite à l’étranger et a provoqué la mort de quatre personnes.

William Saletan

Traduit par Antoine Bourguilleau

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