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USA 2012: la bataille des lois «anti-vote»

Depuis des mois, des Républicains tentent de durcir les procédures d'identification dans les bureaux de vote, avec des lois qui touchent d'abord l'électorat démocrate.

Un électeur arrive au bureau de vote à Hawaii, le 4 novembre 2008. REUTERS/Hugh Gentry.
Un électeur arrive au bureau de vote à Hawaii, le 4 novembre 2008. REUTERS/Hugh Gentry.

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Au Texas, en septembre, des milliers d’électeurs ont reçu une lettre officielle leur expliquant qu’ils étaient morts, et que leur nom serait donc rayé des listes électorales. Parmi les centaines d’êtres vivants ayant reçu ce courrier, une infirmière de 52 ans a dû passer plusieurs heures d'attente au téléphone pour enfin confirmer qu’elle était en vie et qu’elle comptait bien voter.

En Floride, des élus républicains en guerre contre la fraude ont décidé de purger les listes électorales de tous ceux qui n’avaient pas la nationalité américaine. Ils n’ont trouvé qu’un seul fraudeur, mais dans leur enthousiasme, ils ont aussi rayé des listes 2.625 citoyens américains, dont beaucoup avaient un nom hispanique. Un procès a permis de rectifier la situation.

Les Républicains de l'Etat ont également engagé une société chargée d'inscrire le plus de gens possible sur les listes électorales, avant que l'on constate une tentative de création de faux électeurs par l'entreprise, Strategic Allied Consulting. Le parti a rompu son contrat, et l'antenne républicaine de Caroline du Nord, qui avait également engagé Strategic Allied Consulting, compte enquêter.

En Pennsylvanie, le fils d’une retraitée de 87 ans expliquait lui récemment à ABC News qu’il avait passé environ 20 heures en coup de fils, déplacements et queues dans plusieurs bureaux pour que sa mère puisse enfin obtenir une carte valide.

Ces quelques anecdotes illustrent le tumulte créé par la gestion, au niveau de chaque Etat, des listes électorales aux Etats-Unis, et la crainte d'une restriction du droit de vote (voter suppression). «Nos élections sont prises en charges par des élus locaux souvent incompétents et partisans. Il n’y a pas de règles au niveau national et le système est irrationnel», explique Richard Hasen, professeur de droit à l’University of California à Irvine.

Les conditions nécessaires pour pouvoir voter sont en effet définies au niveau de chaque Etat, même si neuf d'entre eux dans le Sud, ainsi que plusieurs comtés ou villes, ne peuvent changer leurs règles électorales sans que le ministère de la Justice ne donne son feu vert, depuis le Voting Rights Act de 1965. Ces Etats tentaient en effet d'empêcher les Noirs de voter, par la violence, l'intimidation ou des lois sur mesure (taxe à payer avant de voter, tests d'alphabétisation...).

Cette année, le Texas a ainsi tenté de passer une loi sur les pièces d’identité obligatoires, mais elle a été jugée racialement discriminatoire par une cour fédérale. En revanche, depuis 2003, une vingtaine d’Etats ont passé des lois de ce type.

Fraude quasiment inexistante

Le problème, c’est que le type de fraude visé par ces lois —se faire passer pour quelqu’un d’autre au bureau de vote— est quasiment inexistant. Des journalistes du site d’investigation News21 n’ont en effet trouvé que 10 cas sur un total de 146 millions de votes dans les onze dernières années. The Newsroom, la nouvelle série de Aaron Sorkin, le créateur de A la Maison Blanche, a d'ailleurs consacré une scène au sujet où un personnage évalue la fraude à... 0,00004% des votes.

«S’ils voulaient sérieusement combattre la fraude électorale, ils essayeraient de réformer le vote par correspondance, explique Richard Hasen. Chaque année, il y a des problèmes avec le vote par correspondance, et pourtant il n’y a aucune proposition pour lutter contre ce type de fraude.»

Lee Rowland, avocate au Brennan Center for Justice, un institut de recherche de la New York University, souligne qu’en Pennsylvanie, cet été, 750.000 électeurs ne possédaient toujours pas de pièce d’identité requise pour le vote.

Pourtant, «le procureur de Pennsylvanie n’a pas trouvé un seul cas de fraude qui aurait pu être évité par ces nouvelles lois», ce qui fait que, pour elle, «la motivation partisane est claire». Un élu local républicain avait laissé échapper en public que la nouvelle loi sur les cartes d’identité «allait permettre au gouverneur Romney de gagner l’Etat».

Motivation partisane

Avec ces lois, les Républicains de certains Etats comptent rendre le vote moins accessible pour certaines catégories de la population qui ont particulièrement tendance à voter démocrate. «Les hommes politiques locaux peuvent choisir quelle pièce d’identité est acceptable, ce qui leur permet de tenter d’exclure certains groupes», affirme Lee Rowland.

25% des électeurs afro-américains n’ont pas de pièce d’identité acceptable au vu de ces lois, et c’est aussi le cas pour 15% des pauvres et 18% des seniors, selon une étude menée par son institut.

Autre exemple: dans le Tennessee, une carte d’étudiant ne comptera pas comme pièce d’identité valide, mais un permis de port d’armes sera acceptable. Or, les étudiants ont plus tendance à voter démocrate que les propriétaires de fusils…

Une situation résumée par l'humoriste Sarah Silverman dans cette vidéo:

Demander une pièce d’identité au bureau de vote paraît évident vu de France, mais il faut rappeler qu’il n’y pas de carte nationale d’identité aux Etats-Unis. Le seul équivalent est le permis de conduire ou encore le numéro de Sécurité sociale, indispensable pour travailler ou ouvrir un compte en banque.

Les lois varient selon les Etats, mais pour s’inscrire sur les listes électorales américaines, ce numéro est la plupart du temps suffisant. Une fois au bureau de vote, il faut juste donner son nom.

Lois retoquées dans l'Ohio et en Floride

A la suite de ces lois (les plus strictes sont actuellement en place dans le Kansas, l’Indiana, le Tennessee et la Géorgie), la procédure s’est donc nettement compliquée. Mais pas sûr qu'elles s'appliquent, car de nombreux recours ont été déposés.

Ainsi, dans l'Ohio et en Floride, où les élus républicains voulaient éliminer la possibilité de voter le week-end avant l’élection, les opposants ont rétorqué que comme par hasard, en 2008, les Eglises noires et hispaniques avaient mobilisé grand nombre de leurs fidèles pour aller voter le dimanche. Et ils sont parvenus à obtenir en justice le maintien des dates supplémentaires.

En Pennsylvanie, un juge a suspendu la loi sur l'identification des électeurs, ordonnant qu'elle ne soit pas mise en pratique pour ces présidentielles-ci –même si sa décision peut encore être annulée par la cour suprême de l'Etat.

En plus de ces démarches judiciaires, de nombreux groupes de défense des droits civiques se mobilisent pour aider les gens à faire les démarches administratives nécessaires pour s’inscrire et obtenir les pièces d’identité requises. Il y a plusieurs numéros d’urgence à appeler pour ceux qui ont besoin d’aide, ainsi que pour faire part d’éventuels problèmes le jour du vote.

Mais pour ceux qui réussiront à accéder au bureau de vote, le plus dur ne sera pas forcément fait tant, au-delà des cartes d’identité, mille et un détails locaux peuvent faire des jours de vote un véritable casse-tête. La Floride, qui s’était déjà illustrée en 2000 avec des bulletins de vote si incompréhensibles qu’ils avaient été mal compostés par trente mille électeurs dont le vote n’avait tout simplement pas compté, lance ainsi cette année un bulletin de vote qui fera dix pages de long.

Outre le match Obama-Romney, le votant devra faire son choix pour une douzaine d’élections locales, référendums et amendements à la constitution de l’Etat. En 2008, les files d’attente pour voter y avaient par endroit dépassé les trois heures et, avec ce bulletin à digérer, l’attente risque d’être longue.

Claire Levenson

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