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Attaques en Libye et en Egypte: Romney n'est pas prêt à être président

Si Obama et Clinton ont une tâche compliquée à gérer après la mort de l'ambassadeur américain à Benghazi, la réaction du candidat républicain montre qu'il ne comprend quasiment rien au rôle du président.

Mitt Romney donne une conférence de presse à Jacksonville (Floride), le 12 septembre, sur les évènements en Egypte et en Libye. REUTERS/Jim Young.
Mitt Romney donne une conférence de presse à Jacksonville (Floride), le 12 septembre, sur les évènements en Egypte et en Libye. REUTERS/Jim Young.

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L'histoire ne fait que commencer. Nous n'en connaissons pas encore les contours —qu'il s'agisse d'une tragédie ponctuelle ou de la première salve d'une crise monumentale. Mais moins de vingt-quatre heures après le violent assaut contre l’ambassade américaine en Egypte, et l'assassinat de l'ambassadeur et de trois fonctionnaires consulaires en Libye, quelques leçons peuvent d'ores et déjà être tirées.

Tout d'abord, et peut-être avant tout, que la diplomatie est encore une notion primordiale. Ce matin, dans sa conférence de presse la plus éloquente depuis son arrivée au Secrétariat d’État, Hillary Clinton a fait remarquer que les citoyens libyens et les forces de sécurité avaient tenté de repousser la petite  bande d'émeutiers responsables de l'incendie du consulat américain de Benghazi, avant de secourir de nombreux blessés et d'emmener l'ambassadeur J. Christopher Stevens vers l'hôpital le plus proche.

En bonne partie, c'est parce qu'ils connaissaient Stevens. Il y a un an, lorsqu'il était émissaire des États-Unis, il avait aidé les rebelles –qui forment aujourd'hui le jeune gouvernement démocratique libyen– dans leur combat pour renverser Mouammar Kadhafi. Depuis, il avait toujours été accueilli en ami lors de tous ses déplacements à travers le pays.

De même, a souligné Clinton, les forces de sécurité égyptiennes ont prêté main force aux gardes américains pour faire reculer les assaillants de l'ambassade américaine du Caire et empêcher qu'ils ne fassent des dégâts trop importants. Même si elle n'en a pas parlé, le nouveau président égyptien, Mohamed Morsi, sait parfaitement que la prospérité de son pays, et donc son avenir politique, dépendent de l'aide et des investissements étrangers.

Il y a quelques jours, Morsi s'était entretenu avec des hommes d'affaires américains et avait tenté de les convaincre que le climat de son pays était propice aux investissements. Personne n'entendra son message s'il est incapable de garantir la sécurité des ambassades étrangères sur le sol égyptien –ou de poursuivre en justice ceux qui violent leur statut souverain.

Ensuite, la situation actuelle est potentiellement porteuse, non seulement d'un conflit entre l'Occident et l'Islam radical, mais entre plusieurs éléments au sein-même de l’Islam. Obama a envoyé 200 Marines en renfort pour assurer la sécurité des ambassades de la région, la manœuvre est judicieuse.

Mais fondamentalement, ce qu'il sait pertinemment, et ce que ses conseillers savent aussi, c'est qu'à long terme, il faudra faire en sorte que le président Morsi, les dirigeants libyens et quelques autres dignitaires musulmans locaux, a minima, condamnent les franges les plus violentes de ces émeutiers –et désavouent en particulier les attaques d'ambassades et les assassinats de diplomates comme une pratique archaïque qui viole leurs principes et n'a pas sa place dans la politique actuelle du Moyen-Orient. 

La tâche sera délicate et requerra un mélange équilibré de pressions (plus aucun prêt du FMI ou d'investissements commerciaux si vous ne maîtrisez pas la violence –pas de menace, simplement la prévision de ce qui se passera) et d'encouragements (l'argent, entre autres, coulera à flot si vous passez du bon côté).  

Morsi est dans une impasse

Ici, un obstacle majeur, c'est que la politique intérieure de ces pays infuse jusqu'aux moindres recoins du tableau. Morsi, comme d'autres dirigeants musulmans, est un peu dans une impasse. Les émeutiers représentent une partie de ses concitoyens; si leur action peut paraître condamnable à certains, le film américain et islamophobe qui a provoqué les émeutes est encore plus scandaleux à leurs yeux.

Dans un communiqué, Morsi a demandé aux États-Unis de traduire en justice ceux qui sont à l'origine de ce film. A l'évidence, cela n'arrivera pas. Il est très difficile de faire comprendre aux étrangers, surtout ceux qui ont grandi sous des régimes autoritaires, que l'Amérique n'est pas une société monolithique. L'idée que quelques abrutis et autres idéologues puissent faire un film sans qu'il reçoive pour autant l'aval officiel du gouvernement leur est littéralement inconcevable.

Il faudra donc expliquer à ces dirigeants que c'est véritablement ainsi que les choses fonctionnent aux Etats-Unis, que nous valorisons la liberté d'expression, même stupide –mais que nous comprenons aussi leurs préoccupations (et le fait qu'ils n'ont pas forcément envie d'adopter ce système). C'est un travail de longue haleine qui exigera –et évoluera parallèlement à– l'intégration de ces sociétés au reste du monde: économiquement, socialement et, dans une certaine mesure, culturellement parlant.

Le problème principal, c'est que cette intégration est précisément ce que les émeutiers combattent le plus violemment. Si les événements des vingt-quatre dernières heures se révèlent décisifs, c'est parce qu'ils obligeront les dirigeants musulmans à choisir le chemin qu'il veulent emprunter.

Romney n'a pas saisi la chronologie des évènements

Enfin, ces événements ont révélé combien Mitt Romney n'était pas prêt pour la fonction suprême –qu'il ne comprend quasiment rien au rôle du président ou, d'ailleurs, à n'importe quel poste gouvernemental d'envergure nationale.

Ce matin, Romney a publié un communiqué qui condamnait non seulement les assaillants des ambassades, mais aussi l'administration Obama pour s'être montrée bienveillante à leur égard. Ni Obama, ni un seul membre de son cabinet n'a fait ce genre de choses.

Pendant un petit moment, on a eu l'impression que Romney n'avait fondamentalement pas saisi la chronologie des événements. Il a tancé l'ambassade du Caire pour son communiqué déplorant «les efforts continus déployés par des individus malintentionnés pour blesser les sentiments religieux des musulmans». Pour Romney, ce communiqué donnait un «piètre exemple» des «principes américains» de liberté d'expression et  représentait un acte de capitulation face à une attaque sur le territoire souverain américain.

Ce que Romney ou son équipe ne savait visiblement pas, c'est que ce communiqué avait été publié six heures avant que les émeutiers ne s'en prennent à l'ambassade. Dès les premières dégradations, l'ambassade publia un autre communiqué qui les condamnait (ce second communiqué réaffirmait néanmoins l'esprit du communiqué original –ce qu'a réfuté le porte-parole d'Obama, expliquant qu'il n'avait pas été rédigé en concertation avec Washington).

Quand les choses se sont éclaircies (et que la nouvelle de la mort de Stevens s'est répandue, ce qu'il ne savait pas), Romney aurait pu faire marche arrière. Mais au contraire, le candidat républicain a préféré appuyer sur le champignon.

Il a tenu une conférence de presse –quelques minutes avant l'intervention du président Obama– et a réitéré ses attaques. Pire, il l'a fait avec un petit sourire en coin, comme s'il était visiblement heureux de marquer des points contre son adversaire politique. Quand un journaliste lui a demandé ce qu'il aurait fait de différent s'il avait été président, il n'a pas su répondre. Mais il a répété que l'ambassade d'Obama s'était «excusée pour des valeurs américaines» et qu'il fallait s'y opposer «fermement».

Les autres Républicains n'ont pas attaqué le président

Aucun autre Républicain de premier plan, même parmi ceux qui ont vigoureusement critiqué Obama par le passé, ne s'est aujourd'hui opposé au président. Les sénateurs John McCain et Mitch McConnell, tout comme le président de la chambre des représentants John Boehner, se sont postés devant des micros pour condamner les attaques, pleurer les morts et en appeler à l'unité américaine pour que justice soit faite. Ces élus savent, et ce n'est apparemment pas le cas de Romney, que pendant ce genre de crises, il faut avant tout se rassembler autour du drapeau.

Ironiquement, c'est aussi la meilleure stratégie politique à adopter. Imaginez que Romney ait appelé le président Obama pour lui demander comment il pouvait se rendre utile et lui proposer de tenir une conférence de presse conjointe afin de démontrer que, lorsque des vies américaines sont en jeu, les politiques savent faire cesser leurs querelles –et que son équipe de campagne ait bien insisté sur son initiative. Il aurait pu avoir le beau rôle, et Obama aurait même pu en sortir diminué s'il avait refusé ses propositions.

Mais non, Romney n'est pas du tout comme ça. Il a vu une entaille dans l'armure d'Obama et a saisi l'opportunité d'attaquer politiquement la force et l'autorité du président. Il s'est jeté bille en tête sur les barricades sans réfléchir, sans penser un moment à la bienséance, ni même au bien-fondé de sa stratégie.

Fred Kaplan

Traduit par Peggy Sastre

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