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Pourquoi la campagne des présidentielles américaines n'a lieu que dans 15 Etats

50 Etats vont voter le 6 novembre, mais la plupart n’auront pas droit à une visite des candidats, qui privilégient les «swing states», ceux qui balancent entre les deux camps.

Mitt Romney en campagne dans l'Ohio, le 17 juin 2012. REUTERS/Larry Downing
Mitt Romney en campagne dans l'Ohio, le 17 juin 2012. REUTERS/Larry Downing

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Le Kansas, son Magicien d'Oz, sa rivière éponyme et ses presque 3 millions d'habitants ne verront sans doute pas le bout du nez de Mitt Romney ou de Barack Obama d’ici au 6 novembre. Cinquante Etats –et Washington D.C.– ont beau participer à la désignation du président, les campagnes ne font pas le tour des Etats-Unis.

Comme on vous le rappelait à propos des sondages nationaux, ce qui compte dans les présidentielles américaines, ce sont avant tous les Etats. Pour gagner l’élection, il faut gagner autant d’Etats que possible, et les grands électeurs qui vont avec.

Mais tous les Etats ne sont pas égaux pour les candidats: la grande majorité d’entre eux sont déjà acquis à la cause de l’un ou de l’autre. La Californie votera forcément en majorité pour les Démocrates, comme elle le fait depuis 1992, et l’Alabama et l’Alaska pour les Républicains, comme depuis 1980 et 1968 respectivement. Et le Montana, donc, est Républicain depuis 1968 –avec une petite infidélité en 1992– et compte à 52% revoter républicain cette année, contre 40% pour les Démocrates.

Les Etats qui ne sont pas garantis pour un camp ou l'autre, dont l’électorat oscille à chaque élection présidentielle et où le résultat est souvent relativement serré, sont surnommés swing states ou battleground states. Cette année encore, ces 10 à 15 Etats, selon les observateurs, sont ceux sur lesquels les candidats concentrent leurs efforts.

Faire campagne intelligemment

Pourquoi, en effet, Barack Obama irait-il s’embêter à faire campagne dans un Etat perdu d’avance? Et pourquoi Mitt Romney perdrait-il du temps à soulever des foules déjà soulevées?

D’autant que cela ne lui rapportera rien de plus de remporter le Montana par 90% plutôt que 52%: tous les grands électeurs de cet Etat lui reviendront de toute façon. Un candidat qui gagnerait les 50 Etats avec seulement 51% des voix dans chacun d’entre eux obtiendrait la quasi-totalité ou la totalité du collège électoral (deux Etats, le Maine et le Nebraska, font bande à part car ils peuvent «panacher» leurs grands électeurs), et avec, l’élection.

Les candidats ont un budget de campagne limité (même si beaucoup moins limité que celui des nôtres), rappelle Marc Hetherington, professeur de sciences politiques à l'université de Vanderbilt, dans le Tennessee:

«Si vous avez 500 millions de dollars à dépenser en publicités et que vous êtes un Démocrate, vous savez que la dernière fois, même avec l’état horrible de l’économie, McCain a gagné le Tennessee sans problème. Vous savez qu’il n’y a aucune chance pour que cet Etat passe de votre côté, alors pourquoi dépenser votre argent là si vous pouvez le dépenser et changer le résultat de l’élection avec le Colorado ou l’Arizona?»

De plus, un grand nombre de ces Etats qui peuvent basculer sont petits (le Texas, New York ou la Californie, et leurs dizaines de grands électeurs, ne changeront pas de bord), «et vous pouvez donc acheter beaucoup plus de publicités que dans les gros Etats, où ça coûte plus cher», ajoute Marc Hetherington.

Suivez l’argent et le candidat

Il suffit de jeter un œil aux différentes cartes traquant les déplacements des candidats pour se rendre compte des Etats-clés de cette campagne: la Floride (15 déplacements entre le 1er juin et le 1er septembre), la Caroline du Nord (7 déplacements), la Virginie (9), le New Hampshire (6), l’Iowa (14), le Colorado (7), le Nevada (5), l’Ohio (15)…

Certains Etats, même s’ils sont acquis d’avance à la cause d’un candidat, ont quand même le droit à des visites. La Californie par exemple, où Obama va lever des fonds auprès d’Hollywood et de la Silicon Valley. Ou Washington D.C., qui votera démocrate, mais où Obama habite et qui accueille des leaders d’opinion.

Une autre façon de déceler quels Etats sont les swing states de cette élection est de se concentrer sur les dépenses des partis ou de leurs soutiens en publicités télévisées. Début août, le blog Constitution Daily constatait ainsi que les deux partis dépensaient le plus en Floride (29 grands électeurs) et dans l’Ohio (18 grands électeurs) et soulignait que, si au niveau national, Romney écrase Obama en fonds alloués à la campagne, au niveau de ces Etats clés les deux candidats sont très proches.

Vie et mort du swing state

Mais pourquoi certains Etats oscillent et pas d’autres? «Principalement parce qu’ils sont un peu plus hétérogènes que les autres Etats», explique Marc Hetherington. La Caroline du Nord et la Virginie étaient solidement républicains, «puis ils sont devenus plus high-tech dans leur production», et plus démocrates dans le même temps. Le Sud-Ouest américain est une région en pleine transition, avec une grosse augmentation de sa population immigrée, faisant lentement passer le Colorado, le Nevada, ou le Nouveau-Mexique (et peut-être, un jour, le Texas?) de la colonne républicaine à la colonne démocrate.

D’autres Etats sont divisés entre des ruraux républicains et des urbains démocrates, ajoute le chercheur:

«En Pennsylvanie, Philadelphie et Pittsburgh sont très démocrates et cosmopolites, mais entre les deux, on se croirait en Alabama, c’est très rural.»

Parce que leur tendance à osciller dépend de leur évolution démographique et économique, ces Etats-clés changent au fil des élections. La Pennsylvanie, par exemple, qui était l’un des champs de bataille de 2008, ne semble plus intéresser les candidats.

L’Etat compte 18 grands électeurs, mais Mitt Romney n’y a diffusé aucune publicité télévisée entre mai et juillet tellement il est persuadé qu'ils reviendront à son adversaire (qui y a lui a dépensé 5 millions de dollars, contre 26 millions dans l’Ohio). Pourtant, Obama a beau l’avoir gagné avec dix points d’avance en 2008, toutes les victoires démocrates présidentielles précédentes se sont jouées à quelques points près, rappelle USA Today.

Tous les swing states ne se valent pas

Si cette douzaine d’Etats-clés valent plus pour un candidat que les autres, il existe une hiérarchie au sein même des swing states: un candidat qui gagnerait ses bastions et tous les swing states dépasserait en effet largement la barre des 270 grands électeurs nécessaires pour remporter la présidence.

En 2008, la Caroline du Nord était devenue un swing state puisque Barack Obama était, avec seulement 14.000 voix d'avance, devenu le premier candidat démocrate à la remporter depuis 1976. Mais les victoires plus larges remportées dans 27 autres Etats lui avaient déjà assuré 350 grands électeurs, et la Caroline du Nord lui importait finalement moins que l'Etat qui lui avait permis de franchir la barre des 270.

Selon le statisticien du New York Times Nate Silver, qui a classé tous les Etats de 2008 selon l'écart entre les deux candidats, l'Etat critique (tipping-point state) de l'élection cette année-là était donc le Colorado. Et l'actuel président l'aurait emporté même sans la Floride et l'Ohio, les deux swing states emblématiques de 2000 et 2004.

Dans la même optique, plusieurs médias tentent actuellement de trouver l’Etat qui permettra à Obama ou Romney de remporter l’élection, en s'appuyant sur les sondages au niveau des Etats. Pour The American Prospect par exemple, c’est la Virginie qui est l’Etat critique, amenant le nombre total de grands électeurs de 265 à 278 pour Obama, ou de 260 à 273 pour Romney. Pour Nate Silver, c'est l'Ohio qui a la plus grande probabilité de l'être. Pour l'instant, dans ces swingiest states, Obama est donné gagnant par les sondages avec deux ou trois points d'avance, comme au niveau national.

Cécile Dehesdin

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