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Pourquoi tant d’hommes politiques ont-ils des problèmes avec leur père?

Le père de Paul Ryan est mort jeune. Il est en bonne compagnie. Les hommes politiques ont souvent des pères alcooliques, négligents ou qui sont morts très jeunes.

George W. Bush (à gauche) et son père George H.W. Bush, à Pékin, le 8 août 2008. REUTERS/Larry Downing
George W. Bush (à gauche) et son père George H.W. Bush, à Pékin, le 8 août 2008. REUTERS/Larry Downing

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Aux Etats-Unis, nous n’ignorons rien des circonstances de la mort du père de Paul Ryan: il est décédé d’une crise cardiaque alors que lecolistier de Mitt Romney n’avait que 16 ans. Les biographies citent cet événement comme un traumatisme formateur qui a fait de Ryan «un homme pressé» [...]

Ce qui est étonnant, c’est que Ryan est loin d’être le seul dans ce cas –la politique américaine est pleine de pères absents, de pères alcooliques, de pères négligents et, aussi, de père décédés. En fait la question la plus intéressante que pose la biographie de Paul Ryan est la suivante: comment se fait-il que les pères des candidats se retrouvent souvent mis en avant sur la scène politique américaine?

Les pères alcooliques –et les autres

La liste est en effet très longue. Prenez Ronald Reagan, qui raconte le traumatisme que constitua la découverte de son père alcoolique sur le porche de la maison familiale, «ivre, totalement inconscient», avec de la neige plein de cheveux. Ronald Reagan, qui avait alors 11 ans, dût le traîner à l’intérieur de la maison.

Bill Clinton, dont le père biologique est mort noyé à la suite d'un accident de voiture se rappelait aussi s’être retrouvé face à son beau-père alcoolique en lui demandant de ne plus frapper sa mère. Le père de Gérald Ford, lui aussi alcoolique, a été condamné pour extrême cruauté à l’égard de sa famille et refusa de payer la moindre pension quand la mère de Ford le quitta.

La relation de George W. Bush avec son père fut moins difficile, mais pourtant très douloureuse: il a passé toute sa vie, présidence comprise, à osciller entre le désir de vivre comme son père l’aurait souhaité et celui de le rejeter. Est-il enfin utile de rappeler que le président Obama a construit son personnage politique autour de la recherche d’un père absent?

Tout cela n’a rien d’anecdotique. Voilà un élément représentatif du vernis émotionnel de notre classe politique. Il n’existe que très peu d’études académiques sur le sujet des pères de politiques, mais celles qui existent suggèrent que de très nombreux politiciens de premier plan ont eu des pères absents ou dysfonctionnels.

L’étude la plus crédible sur le plan méthodologique est britannique et s’intitule The Fiery Chariot: A Study of British Prime Ministers and the Search for Love, qui montre, selon les mots d’un critique «que le nombre de Premiers ministres ayant perdu un père avant d’être adultes est exceptionnellement élevé», un peu plus de la moitié des Premiers ministres britanniques.

Ce chiffre est bien plus élevé que la moyenne de la population, un chiffre également élevé au sein des membres du Cabinet. Qu’est-ce que cela peut signifier? Les hommes politiques cherchent-ils à imiter Shakespeare ou existe-t-il une raison qui explique pourquoi tant de personnes ayant connu un problème de quelque ordre que ce soit avec leur père ont atteint les plus hauts sommets de l’Etat?

Des mécanismes d'adaptation supérieurs

Une des explications pourrait être que les enfants ayant subi des traumatismes dans leur plus jeune âge deviennent hypersensibles aux autres et développent des mécanismes d’adaptation qui en font de meilleurs politiciens.

La meilleure biographie de Reagan fait remarquer que les enfants d’alcooliques développent une perception qui leur permet de «pénétrer dans une pièce et, parfois sans même s’en rendre compte, de mesurer le degré de tension, qui est en lutte avec qui, et si la situation est dangereuse ou sûre». C’est peut-être ce même instinct qui a fondé le désir de Reagan de rassurer la nation en organisant régulièrement des communications télévisées au coin du feu, à la manière de Roosevelt.

Bush on the Couch, une analyse psychologique du 43e président, explique le côté fêtard de George W. par la période qui suivit la mort de sa fille, où il eut le sentiment qu’il était de sa responsabilité de faire en sorte que la famille reste joyeuse.

Remplacer le père

Une autre explication pourrait être qu’une paternité dysfonctionnelle force les enfants à prendre, très tôt, un rôle de chef. Bill Clinton s’est montré particulièrement explicite à ce sujet, en expliquant qu’en s’opposant à Roger Clinton, il renversa en quelque sorte les rôles et qu’il devint le père.

La biographie de David Maraniss consacrée à Clinton remarque que les enfants d’alcooliques assument souvent un rôle connu sous le nom de «héros de la famille», qui assume des responsabilités d’adulte et deviennent «le véhicule de l’ambition et le dépositaire de l’espoir» de sa famille en excellant dans le monde extérieur.

Surtout, une étude universitaire montre qu’un «petit garçon dont le père est mort s’en fabrique une idée grandiose; il fait donc d’immenses efforts sur lui-même pour remplacer le parent qu’il a idéalisé.»

Le président Obama a ouvertement discuté de cette question dans Dream of my father. Obama on the Couch, la suite du livre consacré au président Bush Jr., attribue le désir d’Obama d’effectuer des études au sentiment qu’il était effectivement l’héritier du potentiel gâché de son père et des ambitions et des espoirs de sa mère.

Combler le manque d'amour du père

Il faut également prendre en compte le désir d’attention et celui, presque pathologique, d’être aimé. On dit souvent que la politique est si exigeante et déplaisante qu’aucune personne normale ne voudrait supporter les indignités nécessaires pour devenir un politicien de premier plan.

Toute personne prête, des mois durant, à lever des fonds, serrer des mains et se dépêtrer de la plus petite gaffe doit nécessairement trouver quelques bénéfices psychologiques à faire de la politique. Une bonne partie des gens qui se lancent dans une telle carrière sont, d’une manière ou d’une autre, des personnes brisées et portées par le désir de soulager leur douleur en cherchant à gagner le vote des électeurs.

Quelle qu’en soit l’explication, le phénomène est réel et peut sans doute s’expliquer par une combinaison des trois hypothèses. Mais qu’en est-il de Paul Ryan? Selon Justin A. Frank, le psychiatre qui a écrit les deux ouvrages consacrés à Obama et à Bush sur le divan, la mort de son père semble avoir fait de Ryan un homme plus déterminé, plus égocentré et travailleur.

«Face à une mort soudaine, comme celle-là, [les enfants] peuvent devenir, soudain, extrêmement responsables. Ils montent sur le devant de la scène», dit Frank. Selon lui, Ryan fait également preuve d’une forme «d’anti-gratitude» très courante chez ces enfants, particulièrement ceux qui font ensuite de la politique chez les Républicains:

«Cette anti-gratitude a quelque chose à voir avec une haine inconsciente de la part de soi-même qui a besoin des autres. Vous avez tendance à dégrader la part de vous-même qui a besoin d’aide et vous la projetez sur les autres et vous affirmez haut et fort qu’ils n’ont pas besoin d’aide.»

Si Ryan a pu tirer bénéfice de la fortune d’une famille élargie et du soutien de l’Etat, son attitude rappelle celle de George W. Bush qui avait le sentiment que personne ne l’avait aidé à surmonter le traumatisme de la mort de sa sœur, conclut Frank.

Plus concrètement, cette analyse suggère que l’expérience de Ryan reflète cette de très nombreux politiciens. Son histoire est certes émouvante, mais on trouve des histoires similaires au Congrès, au sein de l’exécutif et des livres d’histoires. Il convient également de noter que comparer aux traumatismes que certains de nos anciens présidents, la mort du père de Ryan fut relativement paisible et a sans doute laissé moins de traces psychologiques que les enfances toxiques de Clinton ou de Ford. La question de la mort de son père joue donc un rôle relativement mince dans sa biographie, comparée à celle d’autres présidents. Au vu des effets destructeurs que certains de ces psychodrames ont pu avoir dans l’exercice du pouvoir suprême, ce n’est sans doute pas plus mal.

Barron YoungSmith

Traduit par Antoine Bourguilleau

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