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Bienvenue dans Anaïs regarde la télé. Le principe de cette chronique hebdomadaire est simple: son autrice s'appelle Anaïs Bordages et parfois, elle regarde la télé.
Ça arrive à tout le monde de faire des mauvais choix de vie. Moi, par exemple, le dimanche 14 novembre, j'ai décidé de regarder le débat de la droite. Un débat qui a vraisemblablement duré trois heures, soit la longueur d'un film de Paul Thomas Anderson. En trois heures, j'avais le temps de me faire un cinoche, de nettoyer dix-huit fois les plinthes de mon appart, de faire rôtir un poulet entier, ou même d'aller à Marseille. Mais non, au lieu de ça, j'ai choisi la souffrance.
Le débat, diffusé sur BFMTV, est sous-titré «2022: le choix des Français», mais peut-on vraiment parler d'un choix? Je dirais plutôt plutôt «2022: le truc que les Français n'ont aucune envie de se taper, mais il faut bien éviter que la démocratie ne tombe un peu plus en ruine, et on n'a pas encore trouvé comment arrêter le temps, alors on va essayer de faire un effort».
Pour ce débat, cinq candidats: Valérie Pécresse (fromage lover), Xavier Bertrand (le moins pire?), Philippe Juvin (c'est qui?), Éric Ciotti (pourquoi?), et Michel Barn –AAAAH ok, c'est lui Michel Barnier. Je me disais aussi, que vient faire cette actrice rigolote dans un débat Les Républicains. Bref.
Avant que le débat ne commence, on nous rappelle qu'Éric Ciotti n'a QUE 56 ans et est donc plus jeune que Brad Pitt. Mais c'est surtout l'occasion de bien se poiler devant les slogans respectifs des candidats. Mon cœur balance entre l'exaltant «je veux être le candidat qui coupe le robinet d'eau tiède» (Ciotti) et l'hilarant «je suis plus réformatrice qu'Emmanuel Macron et j'ai plus d'autorité que Marine Le Pen» (Pécresse). Parce que ce que craignent vraiment les gens, c'est que Marine Le Pen n'ait pas assez d'autorité? Et que Macron n'ait pas assez fait de réformes? Et vous, quel serait votre slogan? Moi, ça serait sans doute «je veux être la candidate qui se fait couler un bon bain chaud», ou «je n'ai pas de contrat stable mais je fais un excellent tiramisu».
Niveau looks, on est sur un petit cinquante nuances de Voldemort: teints blafards, regards lugubres et tenues sombres identiques. Seule Valérie Pécresse, qui n'a pas peur de bousculer les codes, a décidé de se démarquer avec une veste rouge.
Pourquoi sont-ils tous... si gris?
Le débat commence, et on attaque fort avec une première partie consacrée à l'immigration: chouette. J'en peux déjà plus. Au bout de quelques minutes seulement, on atteint le point «construire un mur pour empêcher les migrants de rentrer», suscitant de violents flashbacks de 2016. Tout va bien.
Regard rapide sur l'heure: ça ne fait que douze minutes, et j'ai déjà envie de mourir. J'ai l'impression d'absorber un somnifère à libération prolongée, mais le genre bien violent, qui te file des cauchemars et des sueurs nocturnes. Le pire, c'est qu'on a le sentiment d'assister à une compétition d'écho entre tous les candidats, qui proposent grosso modo la même chose –avec juste quelques variations allant de «très intolérant» à «subtilement facho». Sur la question des réfugiés en Biélorussie, Ciotti affirme que «seule la fermeté sera gage d'humanité», Bertrand qu'«il faut de l'humanité, il faut de la fermeté» et Juvin qu'«il faut être très ferme». J'ai rarement vu des gens autant obsédés par la fermeté. On est dans un débat ou dans une pub pour matelas?
Un mécanisme récurrent
Michèle, pardon Michel Barnier, qui refuse de s'arrêter de parler comme moi quand j'ai trop bu, propose de freiner le regroupement familial, et de «stopper les régularisations massives de sans-papiers». Ce à quoi Valérie Pécresse répond: «Moi, ce que je souhaite, c'est aller plus vite, plus fort, et être plus efficace.» Ah oui, donc on est vraiment dans un 2 Fast 2 Xénophobe, c'est génial. Et Pécresse de surenchérir: «Oui, il y a un lien entre immigration, islamisme et terrorisme.» Ébé Valoche, je te préférais quand tu parlais de camembert chez Karine Le Marchand.
Très vite, un mécanisme récurrent se met en place. Tout le monde fait une proposition de droite et, à la fin, Éric Ciotti trouve le moyen d'aller tellement plus à droite qu'il risque de faire un tonneau –lui, il veut carrément supprimer le regroupement familial, et mettre un terme au droit du sol «partout, naturellement». Naturellement. En seulement trente minutes de débat, j'ai déjà perdu huit ans d'espérance de vie. Où est l'option x1.5 sur ma télécommande? Comment on sort de ce programme? Le seul moment un peu funky, c'est quand Philippe Juvin fait une petite dédicace aux «fast checkeurs» qui le regardent. En fait c'est FACT checking, Philippe. Le fast checking, c'est quand tu checkes que ton ex est en ligne sur WhatsApp et que tu te déconnectes dès qu'il arrive.
À un moment, la phrase «quand on vit en France, on vit comme les Français» est prononcée. C'est quoi vivre comme les Français? Traverser la rue en dehors des passages cloutés en payant beaucoup d'impôts et en disant «du coup» à chaque phrase? Ça fait désormais quarante minutes, et ça y est, je regarde des photos de chat sur Instagram pour oublier. Sauvez-moi.
À un moment, je relève rapidement la tête de mon téléphone pour entendre Valérie Pécresse déclarer, solennellement: «Moi, j'ai un combat, l'interdiction du port du burkini dans les piscines.» Mais sérieusement, on en est encore là? C'est ÇA le combat politique qui surpasse tous les autres? Comme dirait mon grand-oncle sexiste, y a pas des combats plus importants dans la vie??
Alors que le temps passe plus lentement que dans un film de Sofia Coppola, on abandonne enfin la thématique de l'immigration pour embrayer sur un autre sujet. Pas le pouvoir d'achat, qui serait en fait la préoccupation majoritaire des Français, mais la sécurité. Et c'est ainsi qu'un peu après la première heure de ce débat, j'ai lâché l'affaire pour aller nettoyer mes plinthes, car même cette chronique ne mérite pas de s'infliger deux heures supplémentaires d'une telle purge. En plus, y avait La Mort aux trousses sur Arte, et niveau visionnages stressants, je préfère nettement regarder Cary Grant être poursuivi par un avion.