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Le jour où vous réaliserez qu'aller aux toilettes peut être un vrai plaisir

J’ai testé des toilettes japonaises high-tech et je pense que les Occidentaux devraient radicalement revoir leur manière de se laver le derrière.

Une proposition pour utiliser votre vieille lunette (là, le 11 août 1999, en Belgique, pendant l'éclipse solaire). REUTERS
Une proposition pour utiliser votre vieille lunette (là, le 11 août 1999, en Belgique, pendant l'éclipse solaire). REUTERS

Temps de lecture: 6 minutes

S'il vous est déjà arrivé de voyager en d’autres endroits du globe, vous avez peut-être déjà pu constater qu’en matière de défécation, il n’existe pas qu’une seule façon de «faire». L’humanité a de multiples façons de se soulager.

Certains d’entre nous s’assoient sur des trônes élevés, tandis que d’autres s’accroupissent au-dessus d’un trou. Certains d’entre nous s’essuient avec du papier sec, tandis que d’autres utilisent un pichet d’eau laissé à proximité. Et enfin, certains d’entre nous (appelons-les «les Japonais») ont inventé des toilettes magiques qui transforment l’acte excrémentiel en rituel hédoniste technologiquement assisté.

Vous avez peut-être déjà entendu parler de ces toilettes. Peut-être même les avez-vous essayées personnellement lors d’un voyage à Tokyo, par exemple.

Elles sont équipées de télécommandes, de lunettes chauffantes et de fonctions bidet. Certains modèles diffusent aussi en continu un bruit blanc de chasse d’eau dans le but de masquer d’autres sons plus gênants. Toto, la marque leader du marché, a lancé son Washlet en 1982 et l’on estime aujourd’hui que plus de 70% des foyers nippons possèdent désormais des toilettes aux fonctionnalités avancées (alors que 30% seulement possèdent un lave-vaisselle).

Curieusement, les Etats-Unis n’ont pas encore embarqué à bord du train des toilettes high-tech. Toto affirme que ses ventes de Washlets en Amérique du Nord progressent chaque année et s’élèvent aujourd’hui à «plusieurs milliers» par mois, mais aucun Américain que je connais (y compris les plus friands de gadgets en tous genres) ne possède de toilettes avec lave-fesses automatique. De ma propre expérience, je constate que les toilettes Toto sont rares, même dans les hôtels de luxe.

Compte tenu de la fréquence à laquelle nous utilisons nos toilettes et compte tenu des sommes que nous dépensons joyeusement pour équiper de toutes sortes d’appareils technologiquement avancés les autres coins de nos maisons, le manque d’intérêt pour les toilettes Toto peut sembler curieux.

Je me suis donc posé la question: pourquoi? Que savent les Japonais que nous ignorons? Pour trouver la réponse, j’ai emprunté à Toto un abattant Washlet S350e, le top du top, que j’ai installé sur mes toilettes.

L’installation n’a pas été compliquée. Il suffit de retirer son ancien abattant et de mettre le nouveau à la place. Je l’ai fait moi-même en 20 minutes environ. Certes, je me suis cogné la tête contre la porcelaine à plusieurs reprises, mais j’ai réussi sans problème à fermer l’arrivée d’eau de mes toilettes, à dévisser le flexible relié au robinet dans le mur et à visser la valve adaptatrice fournie par Toto. L’eau pouvait désormais arriver non seulement au réservoir de la chasse d’eau, mais aussi à la buse rétractable de la «douchette» et au système de nettoyage de la cuvette.

J’ai inséré les piles dans la télécommande et, voilà, d’un seul coup, mes toilettes se sont transformées en un véritable palais, plein de surprises et de félicité.

Appuyez sur un bouton et le couvercle des toilettes s’ouvre tout seul. Appuyez à nouveau sur le bouton et la lunette se met silencieusement en place, prête à l’action. Sentant mon approche, le Washlet pulvérise à l’intérieur de la cuvette une bruine d’eau électrolysée afin de s’assurer que la «saleté» (comme la nomme pudiquement le manuel) n’adhère pas à la céramique.

Toto Washlet S350e / Seth Stevenson pour Slate.com

Les lecteurs un peu collet monté sont désormais invités à cesser leur lecture, car nous allons décrire les fonctions plus «intimes» du Washlet, celles dont on ne peut profiter qu’après avoir effectué son bien naturel besoin.

D’abord, il y a le siège chauffant. C’est typiquement le genre de chose dont on ignorait avoir besoin avant de l’essayer et dont on ne peut plus se passer ensuite. Sentir son postérieur accueilli par la chaleur réconfortante de la lunette est un vrai plaisir par rapport à la sensation de froid, frisant le choc thermique, que l’on ressent habituellement. En outre, la télécommande du Washlet vous permet d’ajuster la température du siège à votre gré, pour un confort optimal.

Le moment venu, la fonction douchette est également à votre disposition. C’est, bien entendu, l’atout majeur du Washlet. Le détail qui tue. Ce qui fait toute la différence entre les toilettes Toto et les autres. C’est aussi, semble-t-il, la partie avec laquelle nous, Occidentaux, avons le plus de mal.

D’où nous vient cette gêne que l’on ressent sitôt que l’on évoque un nettoyage des fesses à l’eau? Est-ce parce que nous trouvons que le papier sec est la seule pénitence convenable pour punir l’impureté de nos actes corporels? Est-ce parce que nous trouvons gênant de vouer une attention particulière à cette partie si peu noble de notre corps? Parce que nous trouvons étrange ou bizarre de consacrer un peu de temps, d’argent ou d’efforts à nous occuper de nos derrières? Aurions-nous honte de laisser les autres voir nos lave-fesses parce que cela implique que nous avons, pour tout dire, un anus et que ce dernier n’est pas toujours immaculé?

Il suffit de voir les chiffres de vente décevants du papier hygiénique humide pour comprendre à quel point nous sommes réticents à utiliser autre chose que le bon vieux papier toilette sec.

Aux Etats-Unis, la dernière publicité Cottonelle pour ses lingettes humides que l’on peut jeter dans les toilettes montre une femme britannique qui souhaite «vous parler de votre popotin». D’une certaine manière, son accent étranger et son vocabulaire enfantin offrent assez de distance pour toucher le public auquel elle s’adresse dans la publicité.

En français, on a la version accent québécois.

Mais le fait qu’il soit nécessaire de faire appel à une voix étrangère pour nous faire ne serait-ce qu’envisager l’usage de lingettes humides montre bien la myriade d’obstacles sociétaux inhérents à la mission. Et, à vrai dire, d’après la recherche que j’ai pu trouver, tous les efforts faits pour vendre du papier hygiénique humide aux Etats-Unis se sont conclus par un échec. Le produit ne représente en effet que 3% des ventes de papier hygiénique aux Etats-Unis, avec une croissance qui stagne. Chez les ménages américains qui achètent du papier hygiénique humide, 54% le rangent hors de vue dans un meuble des toilettes ou de la salle de bain (peut-être en raison d’une gêne mal placée), ce qui fait qu’ils l’utilisent beaucoup moins souvent.

Les gens des autres parties du monde nous trouvent fous de n’utiliser que du papier sec.

En Asie du Sud ou de l’Est, régions où les toilettes «à la turque» sont reines, on trouve toujours une petite bassine d’eau ou une douchette (le célèbre «bum gun») pour se nettoyer. Même chez nous, lorsque nous changeons les couches de nos bambins, nous reconnaissons les mérites de l’humidité. Aucun parent n’emploierait du papier sec au lieu d’un linge ou d’un coton mouillé. Mais une fois adultes, nous nous refusons ce confort pourtant basique.

David Krakoff, responsable des ventes chez Toto USA, vante les mérites du liquide par rapport à la simple friction:

«Vous ne considéreriez jamais avoir les mains propres après les avoir simplement frottées sur une serviette en papier, sans eau. Quand vous prenez une douche pour vous laver... c’est avec de l’eau!»

Certes, commencer par utiliser du papier hygiénique humide vous permettrait déjà de vous sentir plus propre et heureux que la majorité de vos compatriotes... mais je trouve tout de même que les toilettes high-tech jouent dans une catégorie nettement supérieure. Pensez plutôt: mains libres, avec un jet régulier... Un nettoyeur haute pression pour votre séant. Et, bien entendu, rien ne vous empêche d’utiliser, si vous le souhaitez, du papier sec à n’importe quelle étape du processus.

La télécommande du Washlet Toto / Seth Stevenson pour Slate.com

Le week-end dernier, j’ai reçu quelques amis à la maison et je leur ai montré le Washlet. Ils ont été intrigués, mais m’ont avoué leur peur de l’inconnu. Le jet d’eau n’est-il pas un peu froid et désagréable? A vrai dire, c’est plutôt le contraire: vous pouvez régler la température à votre gré, que vous préfériez la sensation d’une rafraîchissante averse printanière ou celle de la vapeur s’échappant d’une théière. De même, vous pouvez diriger la buse vers l’avant ou l’arrière afin de viser juste au bon endroit. D’autres boutons sur la télécommande permettent d’activer des fonctions d’oscillation ou de pulsation, et, bien entendu, d’augmenter ou de réduire l’intensité du jet.

Je vous épargnerai le récit enthousiaste de ma propre expérience avec le Washlet. Sachez juste qu’il m’est devenu difficile de me souvenir à quoi ressemblait ma vie sans lui. Et en avoir un à la maison me fait regretter que toutes les toilettes que je visite ailleurs ne soient pas équipées de la même manière.

(Au passage: je vis seul et je n’ai jamais trouvé le moment opportun pour demander à une amie de tester pour moi la fonction bidet du Washlet destinée aux femmes –qualifiée de lavage «avant» et non «arrière» et indiquée sur la télécommande par une silhouette féminine. Je l’ai toutefois essayée moi-même, par curiosité. Il s’avère qu’importe l’endroit où vous pulvérisez de l’eau chaude, la sensation est toujours agréable. La télécommande dispose aussi d’une fonction mémoire qui vous permet d’enregistrer les différents réglages en fonction de l’utilisateur: température de la lunette, pulsation de l’eau, etc.)

Maintenant vient la question du prix. Il dépasse les 900 dollars sur Amazon (sur un site français, on trouve des Toto de 470 euros à 1.700 euros). Cela peut paraître exorbitant pour un abattant de toilettes. Mais je ne pense pas que c’est une folie. J’entends régulièrement des personnes se vanter de leur tout nouveau matelas dernier cri et qui justifient la fortune dépensée en invoquant le temps que l’on passe au lit. Le même schéma logique devrait s’appliquer aux toilettes. Pensez plutôt: combien seriez-vous prêts à dépenser pour une toute nouvelle sensation de bien-être au niveau de vos parties intimes?

Le problème de Toto: vous ne savez pas encore que vous aimerez cette sensation. Vous ne pouvez même pas la concevoir, puisque vous ne l’avez jamais ressentie. Peut-être faudrait-il les essaimer à travers le pays, dans les toilettes des adresses les plus chics, où les gens pourraient goûter aux joies du lavage de fesses? Ou un showroom avec des modèles à l’essai? J’avoue que je n’aimerais pas être à la place du service marketing de Toto. Mais leur cause est juste et je pense que, le temps aidant, nous finirons bien un jour par tirer la chasse sur nos dernières réticences. 

Seth Stevenson

Traduit par Yann Champion

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