Life / Parents & enfants

Laissez votre bébé prendre le contrôle de son alimentation. Et faites une croix sur le reste

Une infirmière britannique en est persuadée: la cuillère et la purée sont les pires ennemis de votre enfant. Sa solution tient en une expression forcément barbare: diversification menée par l'enfant ou DME.

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En 2008, une infirmière britanniquee a écrit un livre pour dire aux parents d'arrêter de nourrir leurs petits à la cuillère. Dès 6 mois, les bébés sont sommés de prendre le contrôle de leur alimentation, et de tenter de croquer et mâchouiller des gros morceaux de fruits, légumes, viandes et pain avec leurs petites gencives. Même avec une dent, ils peuvent dévorer des quartiers de pomme crue ou des cuisses de poulet.

Gill Rapley explique dans son ouvrage  –«La diversification menée par l'enfant» (ou baby led weaning)–  que cette technique permet au bambin de prendre plus de plaisir à manger. Il deviendra ensuite un petit gourmet qui apprécie les saveurs complexes et saura contrôler son appétit.

De nombreux parents britanniques ont été séduits par ces thèses anti-bouillie, et il y a à Londres plusieurs cours pour apprendre les principes de l'alimentation autonome. Les Américains et les Canadiens s'y mettent aussi. En France, il y a pour l'instant moins d'adeptes, mais tout de même des blogueuses enthousiastes.

Dans l'univers de l'alimentation autonome, le bébé est un petit être qui sait déjà presque tout faire par lui-même. Il suffit de faire confiance à ses instincts, de le laisser s'exprimer et de ne pas lui imposer des notions arbitraires d'ordre et de propreté.

Si votre petit se recouvre entièrement de lasagnes sans en avoir mangé une miette, ce n'est pas grave, c'est un processus de découverte sensorielle. L'idée de la diversification menée par l'enfant (DME) est que, de toutes façons, un bébé n'a besoin presque que de lait pendant la première année de sa vie. Les aliments solides ne sont qu'un petit complément, des jouets plus que des repas.

Les pédiatres recommandent en général d'introduire des aliments durs en plus des purées, afin que l'enfant apprenne à mâcher et à avaler les morceaux. Progressivement, le bébé commence à essayer de se nourrir lui-même. Mais au lieu de commencer ce processus vers 8 mois et de manière progressive, la méthode de Rapley recommande une transition abrupte. A 6 mois, l'adulte place un repas dur devant le petit, et cesse d'intervenir (si ce n'est pour prendre des photos).

Pendant plusieurs semaines (ou mois), le parent va donc regarder son enfant jouer avec ses aliments, jeter un peu de carottes, appliquer des spaghettis sur son cuir chevelu... Tout cela sans jamais introduire le moindre morceau dans la bouche du nourrisson. L'idée est d'accepter ce chaos avec joie, et de laisser le bébé se débrouiller. Il faut faire confiance à l'enfant, et lui montrer que vous lui faites confiance...

De manière quelque peu paradoxale, cette valorisation de l'instinct du bébé va de pair avec une certaine infantilisation du parent, qui se retrouve à payer des cours et à lire des dizaines de blogs pour savoir ce que doit manger son fils ou sa fille (comment dois-je découper les carottes? le bébé doit-il manger du yaourt avec ses doigts? que faire s'il n'avale rien?).

Historiquement, l'idée de faire manger des fruits et légumes (en purée ou pas) à des nourrissons, est récente dans les pays occidentaux.

La tradition était plutôt de donner des bouillons et des bouillies de céréales. Contrairement à une technique comme l'hygiène naturelle infantile (encourager le petit à faire ses besoins dans un pot dès les premiers semaines) qui est courante en Asie, la DME n'est pas pratiquée de manière traditionnelle dans d'autres pays. Ce refus radical de la purée à la cuillère est une invention toute récente (et britannique).

La pratique de l'alimentation autonome (à 100% et dès 6 mois) repose sur une certaine diabolisation de la purée, même faite maison. Pour Gill Rapley, donner à la cuillère encourage la passivité du nourrisson, qui ne sait plus quand s'arrêter (comme si un bébé n'avait jamais repoussé une cuillère). Donner à la cuillère est aussi associé au conflit et au stress.

Des risques d'étouffement, et plein de saletés

En bref, il y a d'un côté une espèce de gavage forcé de bouillies fades, et de l'autre un bébé qui découvre avec joie textures, goûts et odeurs en développant son autonomie et sa confiance en soi.

La première question que posent les parents intéressés est celle de l'étouffement. Oui, les petits vont parfois manquer de s'étouffer, et tousser, explique le livre, mais ceci est une façon pour eux de développer un réflexe utile qui leur permettra de recracher les morceaux qui passent mal. Ce n'est donc pas dangereux, mais ça peut être quand même assez impressionnant, car le bébé manquera de s'étouffer assez régulièrement au début.

Le deuxième problème qui se pose est celui du gâchis et de la saleté. L'idéal serait de faire manger le petit nu dans un jardin. Mais selon Rapley, malgré le nettoyage requis, l'alimentation autonome reste plus pratique car le parent n'a pas à préparer de repas séparé pour le bébé.

Ceci dit, la technique ne marche pas toujours bien pour tous. Certains enfants passent plusieurs mois à jouer avec leur nourriture sans rien manger. Une étude de 2011 précise que pour les nourrissons dont le développement est un peu plus lent que la moyenne, cette technique n'est pas recommandée.

De nombreuses familles sont modérées dans leurs pratiques de la DME, et introduisent parfois un peu de purée. Mais il y a aussi des extrémistes anti-bouillie, probablement radicalisés par deux études récentes qui faisaient état d'un lien entre bébé nourri à la cuillère et obésité. Les gros titres dans la presse donnaient l'impression que les bambins accros à la compote étaient condamnés à un surpoids chronique. 

Le ministère de la Santé britannique a pourtant précisé que ces études étaient limitées, et certainement pas assez convaincantes pour que les parents commencent à se débarrasser de leurs mixeurs.

Malgré ces bémols, certains pensent que l'alimentation autonome est tellement essentielle au bien-être de leur bébé qu'ils la pratiquent aussi au restaurant. Une mère londonienne expliquait récemment dans le New York Times que sa fille jetait sa nourriture par terre dans les restaurants, que ses amies avaient l'air vaguement scandalisées, mais qu'elle compensait en laissant des gros pourboires...

C.L.

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