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L'homophobie est une vraie peur, mais de quoi exactement?

Oui, l'homophobie est une vraie peur. Le tout est de savoir ce qui effraie les hommes hétéros.

Malaga, janvier 2014. REUTERS/Jon Nazca
Malaga, janvier 2014. REUTERS/Jon Nazca

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Etre homophobe en 2014 signifie de plus en plus risquer de se retrouver en butte au mépris. Notre société, qui va vers toujours plus d’ouverture d’esprit, nous incite à condamner les sentiments homophobes, particulièrement chez les hommes, car nous estimons qu’ils sont inhérents à l’individu et qu’il en est donc entièrement responsable. Un homme qui profère des insanités sur les gays est «réac». Il protège son statut social, ou peut-être est-il secrètement homo. Et il ferait bien de grandir un peu ou de faire son coming out une bonne fois pour toutes.

Cependant, la persistance de l’homophobie –malgré les évidents inconvénients de la chose– soulève un questionnement sur sa nature: les théories évoquées ci-dessus expliquent-elles vraiment pourquoi l’homosexualité, spécifiquement, suscite une telle peur, susceptible de déboucher sur des propos voire des actes violents? Expliquent-elles pourquoi l’homophobie est un rempart si facile contre l’insécurité masculine? Pourquoi certains hommes sont dans l’absolue impossibilité de faire leur coming out?

Pour répondre à ces questions, il faut cesser de considérer l’homophobie comme un choix personnel et comprendre qu’elle est le résultat inévitable et délibéré de la culture dans laquelle sont élevés les hommes américains.

Il est clair qu’en Amérique, on apprend aux garçons à avoir peur de l’homosexualité. Mais pas seulement pour les raisons qui nous viennent le plus naturellement à l’esprit –pas seulement, finalement, à cause de la religion, de l’insécurité autour de leur propre sexualité ou d’une aversion viscérale à l’égard des pénis des autres.

La vérité, c'est que c’est la fragilité de l’hétérosexualité qui leur fait peur.

Le pouvoir de l’hétérosexualité réside dans la perception, pas dans la vérité physique –tant que les gens pensent que vous êtes exclusivement attiré par le bon sexe, tout va bien. Mais la perception est une chose bien précaire; la politique de la «tolérance zéro» enseigne aux hommes qu’il suffit d’un écart, d’un seul petit baiser ou d’une amitié trop intime pour changer définitivement la façon dont ils seront perçus par les autres. Et une fois leur opinion faite, il peut s’avérer quasiment impossible de la changer.

Les hommes n'ont pas droit à une sexualité complexe

En d’autres termes, la règle de la tolérance zéro signifie qu’au moindre geste geste «déplacé» –s’il embrasse un autre homme lors d’une euphorie éthylique, par exemple– un homme est immédiatement catalogué homo. Les femmes jouissent d’une certaine liberté d’action pour jouer avec leur sexualité (principalement parce que la société a bien du mal à croire que le sexe lesbien existe vraiment). La sexualité masculine, en revanche, est comprise comme étant unidirectionnelle. Une fois qu’un jeune homme se rend compte qu’il est gay, il devient homo d’office. On n’entend jamais parler d’hommes homosexuels qui se découvrent un jour un intérêt pour les femmes, et nous croyons rarement ceux qui affirment être bisexuels –l’opinion générale et erronée étant que tout homme se disant bi soit en fait un gay non assumé.

La conséquence de tout cela est que les hommes n’ont pas le droit à une sexualité «complexe»; une fois la présomption d’hétérosexualité ébranlée, un type est automatiquement catalogué homo. Cette version des choses donne peu de liberté d’exploration avec le même sexe, même fugace, sans un engagement permanent. J’avais un camarade hétéro au lycée qui est sorti avec des garçons pendant le premier semestre de la fac. Il a ensuite entretenu une relation monogame avec une femme pendant tout le reste de ses études; or juste avant la remise des diplômes, j’entendais encore des gens émettre des doutes sur l’existence de leur relation.

On peut donc légitimement avoir peur de la politique de tolérance zéro, pas seulement parce qu’elle vous colle une étiquette, mais aussi parce qu’elle efface toute une vie d’hétérosexualité. Dans la vie de ce jeune homme, un seul semestre d’expérimentation primait sur tout autre autre plan cul ou relation qu’il avait pu vivre –à la fois avant et après.

Une telle annihilation a de quoi effrayer, même si l’homosexualité en soi n’a rien de répréhensible. Même si la religion et Esquire [un magazine mensuel pour hommes] n’enseignaient pas aux hommes à avoir peur du corps des autres hommes, ceux-ci craindraient tout de même que le moindre frôlement homosexuel puisse effacer brusquement tout le reste de leur sexualité. Devant de tels enjeux, rien d’étonnant que les hommes se chargent eux-mêmes de contrôler cette frontière, de peur que quelqu’un d’autre ne s’en charge à leur place et à leurs dépens.

Je ne vous en veux pas

Il vaut la peine de noter que les hommes font preuve d’une brillante créativité pour affronter leurs peurs. Les lycéens s’accusent mutuellement, accusent leurs activités et même des objets d’être homos en adoptant précisément l’attitude de tolérance zéro qu’eux-mêmes doivent négocier.

Un des jeux populaires entre garçons au lycée était le «fag tag » [chat-pédé], qui consiste à se toucher le paquet du dos de la main. Au collège, on jouait à deux au premier qui se dégonfle: chacun fait remonter sa main à l’intérieur de la cuisse de l’autre. Le premier qui flippe a perdu –en fait, il a gagné. Ces jeux ne trouvent pas seulement leur origine dans le dégoût de l’homosexualité; ils représentent exactement ce que la société a enseigné aux homme au sujet de l’hétérosexualité: un seul faux pas, et vous êtes marqué à vie.

L’homophobie est donc bien une peur, qu’on ne peut absolument pas reprocher à ces hommes d’éprouver. Le comportement qu’elle engendre est une réaction des sens à un système malade plutôt qu’une maladie elle-même. C’est pourquoi je n’en veux pas aux types du lycée qui me traitaient de «pédé», ni au barman qui, parfois, fait un commentaire bizarre sur mon partenaire –ils ont, à juste titre, bien plus peur de moi que moi d’eux.

Zach Howe
Rédacteur en chef à Blunderbuss, et il a écrit pour
Full Stop. Vous le trouverez sur Instagram et Twitter @ZFCHI et sur la plupart des sites de rencontre.

Traduit par Bérengère Viennot

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