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Voici comment faire une vraie quenelle

Pas celle de Dieudonné.

<a href="http://www.flickr.com/photos/jeanmarcalbert/8300073072/">Quenelle de brochet, sauce Nantua</a>/ Jean-Marc ALBERT via Flickr CC<a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">Licence By</a>
Quenelle de brochet, sauce Nantua/ Jean-Marc ALBERT via Flickr CCLicence By

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Ne laissons pas la quenelle à Dieudonné et ses petits copains. Car la vraie quenelle, c’est avant tout un plat traditionnel très goûteux, quand on s’éloigne un peu des pâteux et plâtreux exemplaires un peu louches de cantine.

Cette spécialité dodue, aux airs parfois désuets, est une préparation ancestrale. Les Romains cuisinaient déjà un plat y ressemblant sérieusement. 

Selon Claudine Brécourt-Villars dans Mots de table, mots de bouche (Editions de la Table ronde), étymologiquement parlant, la quenelle ne date pas d’hier:

«Emprunt à l’allemand Knodël “boule de pâte”, hérité de l’anglo-saxon knyll “piler, broyer”, enregistré par le Dictionnaire des aliments en 1750 et officialisé par le Dictionnaire de l’Académie en 1694.»

Dans un ouvrage de 1815 (attention titre long: Le Pâtissier royal parisien ou Traité élémentaire et pratique de la pâtisserie ancienne et moderne, suivi d'observations utiles aux progrès de cet art, d'une série de plus de soixante menus et d'une revue critique des grands bals de 1810 et 1811), Marie-Antoine Carême consacre une partie à l’art délicat de la préparation des quenelles:

«Ce chapitre n’est pas le moins important de cet ouvrage; et les jeunes praticiens, jaloux d’être réputés bons pâtissiers pour le chaud, doivent y apporter tous les soins que ces sortes de farces réclament, car une quenelle bien faite est un mangé parfait. De même qu’un godiveau bien confectionné sera toujours mangé avec plaisir.»

Un «mangé parfait» qui ne doit donc pas être pris à la légère... 

Une fierté lyonnaise

Un certain renouveau de la quenelle eut lieu au XIXe siècle, avec la création de la bien connue et reconnue quenelle lyonnaise, au brochet, née dans l’imagination d’un pâtissier (d'ailleurs, pendant longtemps, ce sont les pâtissiers qui ont fabriqué les quenelles, tout comme le pâté en croûte).

Il y avait des brochets en grande quantité dans la Saône et les étangs de la Dombes. L’idée consista donc à mélanger ce poisson abondant avec une pâte à chou pour fabriquer la chose. Depuis, la quenelle fut étroitement liée à la cuisine des bouchons et des «mères lyonnaises».

Et sa réputation grandit vite. En 1925, le gastronome et critique culinaire Curnonsky et son ami Marcel Rouff s’extasient sur les quenelles de la Mère Brazier dans leur somme de recueils La France gastronomique (cités par Patrick Rambourg dans son Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises):

«Ah, cette légèreté, cette immatérialité, et cette suavité.»

Voilà, c'est dit: la vraie quenelle est suave.

Dans la panade

Dans tous les cas de figure de l’histoire de la quenelle, le principe est simple. On fait une pâte appelée «panade» (du genre pâte à chou: eau ou lait, beurre, farine ou semoule de blé dur très fine). On la laisse tranquille, nature, ou on lui ajoute du poisson ou de la viande très, très finement haché(e).

Il existe mille versions, avec plus ou moins d'étapes. Au Café Comptoir Abel, à Lyon, la quenelle est prête en 24 heures. Alain Vigneron, entré dans la maison en 1976 comme commis et devenu chef en 2004, tient sa recette de quenelle de brochet de Jean-Paul Burdin, ancien chef, qui avait lui-même appris avec la fameuse Mère Brazier:

«On prépare la panade avec le lait, le beurre et la farine. On laisse reposer 12h, et on ajoute le brochet haché, du beurre et des œufs. On laisse reposer 12 heures encore, et on ajoute encore des œufs.»

Les professionnels ont du matos performant pour hacher tout ça et obtenir une farce bien fine. Comme le souligne l’ouvrage Néo-physiologie du goût par ordre alphabétique, publié en 1839 (délicieusement sous-titré: ou Dictionnaire général de la cuisine française ancienne et moderne, ainsi que de l’Office et de la Pharmacie domestique, ouvrage où l’on trouvera toutes les prescriptions nécessaires à la confection des aliments nutritifs ou d’agrément, à l’usage des plus grandes et des plus petites fortunes): 

«On peut donc à volonté varier la composition (...) des quenelles d’une infinité de manières, et faire entrer dans leur composition ce qu’on a sous la main.»

L’auteur propose d’ailleurs des quenelles de volaille, d’esturgeon, de lapin, de saumon, de brochet, de carpe, de lotte, de morue, de merlan... A vous de voir.

La quenelle de brochet, spécialité lyonnaise et bressane, est, historiquement, la quenelle la plus connue. Mais les Rhônalpins ne se limitent pas à ça. Et surtout, d’autres quenelles sont des spécialités d’autres régions, comme la quenelle de foie et ou celle de moelle que l’on peut trouver en Alsace.

L'art délicat du moulage

Bref, revenons à notre panade. On façonne des boulettes allongées. Et «mouler une quenelle» n’est pas une mince affaire. Les professionnels de la quenelle ont une cuillère spéciale pour cela. Mais vous pouvez utiliser deux cuillères à soupe assez creuses. Michel Porfido, chef cuisinier de la Maison Giraudet (basé à Bourg-en-Bresse, Giraudet fabrique des quenelles à la semoule de blé dur) et auteur de plusieurs ouvrages aux Editions de l’Epure, conseille:

«Vous remplissez la première cuillère à ras bord avec la pâte. Vous trempez la seconde dans l’eau de cuisson bouillante, ce qui vous aidera à décoller la quenelle sans problème et à bien lisser.»

On les poche (note pour les non initiés: ça veut dire «on les fait cuire dans une grande quantité d’eau frémissante»). Selon Michel Porfido, l’idéal, c’est «entre 15 et 20 minutes, dans une eau entre 85°C et 90°C».

De l’importance extrême de la sauce

Ça gonfle, ça gonfle, c’est magnifique. Et ensuite, on égoutte et on met les quenelles au four, avec une sauce béchamel ou une sauce Nantua, ou toute autre sauce appropriée et généreuse qui servira à «mettre en valeur le produit». «Il ne faut pas hésiter à bien espacer les quenelles dans le plat, elles absorbent beaucoup de sauce», précise Michel Porfido.

Ça gonfle encore, la quenelle s’imprègne. Bien rebondie, elle s’épanouit tranquillement dans son plat à gratin. Au final, la quenelle peut pratiquement doubler de volume! Le chef Alain Vigneron explique que «la quenelle est pleine de bulles d’air, grâce aux œufs, qui la rendent énorme, légère et fondante».

Mais attention, la quenelle risque de dégonfler très vite comme un soufflé... Il convient donc de la cuisiner juste avant de la manger.

Alain Vigneron souligne qu’«on poche à la commande. Il faut environ 25 minutes pour que la quenelle ait le temps de pocher dans l’eau bouillante puis gratiner dans le four. C’est le client qui est à la quenelle!». Donc, dans un restaurant, un peu d’attente est la garantie d’une quenelle fraîche.

Justement, c’est quoi une quenelle parfaite? Selon Marie-Antoine Carême, la «quenelle doit être molette au toucher: en la coupant en deux, son intérieur doit se trouver très lisse, extrêmement moelleux et agréable au palais».

Marjorie Fenestre, du blog Faim de Lyon, a arpenté un certain nombre de restaurants lyonnais, et pense qu’une bonne quenelle est «bien gonflée, soufflée. Il ne faut pas hésiter à pousser la cuisson, sinon on obtient une quenelle trop compacte». Pour Michel Porfido, la texture est primordiale, «elle doit bien tenir à la cuisson et on doit reconnaître la saveur».

La recette

Voilà donc maintenant, en résumé, ce qu’il vous faudra faire pour fabriquer des quenelles chez vous, même si vous n’avez pas de tamis comme les plus talentueuses des mères lyonnaises. C’est une recette nature et basique (mais pas de tout repos), qui s’agrémentera avec ce que vous voulez.

Notons l’épineuse question du brochet. Comme il n’y a plus vraiment de demande de ce poisson plein d’arêtes, il n’est pas très facile d’en trouver aujourd’hui quand on est un simple particulier. Si vous n'en trouvez pas chez le poissonnier, vous pourrez donc tenter avec d’autres poissons «texturants».

Ingrédients pour une douzaine de quenelles

  • 125 g de beurre

  • 200 g de farine

  • 20 cl de lait

  • 4 œufs

  • Eventuellement 200 g de chair de poisson ou de volaille hachée très finement

  • Sel et poivre


1. Mettez le lait et 25 g de beurre dans une casserole, à feu doux. Quand le beurre est fondu, ajoutez la farine. Mélangez bien, toujours à feu doux: il faut que la pâte épaississe, «s’assèche» et se décolle des parois de la casserole. Laissez refroidir quelques heures.

2. Ajoutez les 100 g de beurre restant ramollis, les œufs et éventuellement du poisson ou de la viande. Salez et poivrez. Pour obtenir une texture fine, l’idéal est de mélanger tout ça au mixer. Ensuite, laissez reposer le mélange au frais pendant au moins 2 heures.

3. Faites bouillir une grande casserole d’eau salée. Moulez les quenelles une à une comme expliqué ci-dessus par Michel Porfido, avec deux cuillères à soupe assez creuses. Evidemment, c’est un savoir-faire qui ne s’apprend pas du jour au lendemain, et il est possible que vos quenelles ressemblent plus à des grosses patates qu’à des quenelles bien lisses. Laissez glisser les quenelles dans l’eau bouillante. Laissez-les cuire une quinzaine de minutes, elles vont gonfler et remonter à la surface.

4. Reprenez les quenelles avec une écumoire, égouttez-les bien et déposez-les dans un plat à gratin, bien espacées. Recouvrez tout ça d’une couche généreuse de sauce béchamel (ou Nantua si vous préparez des quenelles de poisson), et glissez le tout au four à 200°C pour une bonne dizaine de minutes. Et mangez vos quenelles immédiatement.

Si vous n'avez pas le courage de vous lancer dans la confection délicate des quenelles, d’autres s’en chargeront pour vous. Marjorie, de Faim de Lyon, conseille de tester, dans sa ville, «la maison Sibilia, très connue pour ses cochonailles, les restaurants Chez Daniel et Denise, qui font une quenelle aérienne, légère, pas du tout bourrative, ou encore le Café du Peintre».

Aujourd’hui la quenelle est largement réinventée par les chefs et les fabricants (la Maison Giraudet a par exemple ouvert des «bars à quenelles»). Et la quenelle se mondialise. La maison Malartre a ainsi décidé d’exporter son produit phare au Brésil. Dans tous les cas, elle reste un plat simple, fabriqué avec des produits de base: avec son air rondelet et généreux, la vraie quenelle inspire simplement une sorte de bonhomie gastronomique.

Lucie de la Héronnière

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