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Justine Sacco, ou les infortunes de la vertu en ligne

Le tweet de Justine Sacco.
Le tweet de Justine Sacco.

Temps de lecture: 2 minutes

Sacco et vendetta (numérique): peut-être, ces dernières heures, avez-vous entendu parler de l'affaire Justine Sacco, cette consultante en communication clouée au pilori virtuel (et depuis licenciée) pour un tweet plus que déplacé sur l'Afrique, où elle disait, juste avant d'embarquer sur un avion, «En route pour l'Afrique. J'espère que je ne vais pas choper le sida. Je blague, je suis blanche!».

Sur son blog, le sociologue des réseaux Antonio Casilli propose, sous le titre sadien «Justine ou les infortunes de la vertu», une analyse intéressante de cet évènement dont il estime qu'il révèle «le sens hypertrophié de la justice» à l'oeuvre sur Internet:

«Nous sommes incités à participer en ligne parce "quelqu'un a tort sur Internet", pour citer le célèbre dessin de xkcd, et par le désir de prouver que nous avons raison. Un fossé moral et sémantique se creuse quand avoir raison ne veut plus dire que nous fournissons des informations valides sur les réseaux sociaux, mais signifie la rectitude intrinsèque de notre contribution. [...] Toute l'affaire Justine Sacco peut être regardée comme une façon de réaffirmer une sorte de supériorité morale sur un méchant pris au hasard.»

Zac R., un utilisateur de Twitter qui s'est rendu à l'aéroport de Cape Town (Afrique du Sud) pour suivre l'arrivée du vol de Justine Sacco, a plus tard publié plusieurs messages sur le réseau social pour calmer le jeu:

«Je ne pense pas que Justine soit "une personne horrible qui mérite d'être punie". Je crois qu'elle a fait une blague à propos de quel chose dont on ne devrait jamais plaisanter. Ne nous laissons pas envahir par le désir de lynchage et ne la traînons pas dans la boue. Concentrons-nous plutôt sur le sujet de la blague, pas sur le tweet. Et ne faisons pas semblant de ne jamais avoir fait une blague ou dit quelque chose en privé que nous avons regretté ensuite. Attendons ses excuses.»

Dans un édito publié par Mashable, le journaliste Chris Taylor pointe lui que les réseaux sociaux se sont déchaînés contre Justine Sacco avant même que l'on sache si son téléphone avait pu être hacké ou volé:

«Il est difficile de se départir d'un sentiment dérangeant face à la réaction de la foule et à l'aspect effrayant du procès par contumace qui s'est déroulé sur les réseaux sociaux. [La jeune femme n'a pas pu voir les réactions sur son tweet car elle était sur un vol de onze heures, ce qui a déclenché la création du hashtag #HasJustineLandedYet, ndlr] Quand on voit les commentaires haineux laissés sur son fil Instagram, y compris sur des photos de son enfant, on commence à se dire que toute cette affaire est allée trop loin.»

Le journaliste de Buzzfeed Charlie Warzel, tout en notant lui aussi la propension au lynchage des réseaux sociaux, prend par ailleurs le soin de noter que celle-ci ne constitue «qu'un reflet de notre réalité et de l'humanité en général» et qu'il ne s'agit pas d'accuser les internautes d'avoir le monopole d'un comportement très —trop— humain, même si celui-ci est évidemment démultiplié par l'effet réseau.

S'il est évidemment compliqué de défendre Justine Sacco —et d'autant plus quand on connaît sa profession et qu'elle travaille pour une importante société de médias, IAC, propriété du magnat américain Barry Diller—, toutes ces réflexions rejoignent en tout cas ce que nous vous disions il y a quelques semaines, quand la twittosphère française s'était indignée de plusieurs messages lors de l'affaire Abdelhakim Dekhar:

«La "magie des réseaux" va offrir à [un] tweet et à l’auteur de ce compte ses 15 minutes de gloire et, par le biais des RT des twittos les plus influents et des commentaires, propulser cette grosse connerie au firmament de l’info du jour, balayant presque l’actu que ce tweet entendait "analyser".»

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