Égalités / Life

La question du genre se pose surtout... dans la tête

Tapis dans notre inconscient, de puissants stéréotypes sur le genre agissent sur nos performances, nos jugements et nos décisions.

Des étudiants dans un cours interactif de physique. Photo : Thomas Cox, University of North Carolina at Chapel Hill
Des étudiants dans un cours interactif de physique. Photo : Thomas Cox, University of North Carolina at Chapel Hill

Temps de lecture: 3 minutes

D’un coté, on trouve les revendications sur l’égalité des sexes en matière de carrières et de salaires. L’objectif est clair: effacer toutes différences entre les hommes et les femmes dans ces domaines. Si l’on s’en rapproche, c’est avec une extrême lenteur.

D’un autre coté, certains philosophes, sociologues ou conseils en innovation mettent l’accent sur la nécessité de distinguer hommes et femmes.  Sans renier, loin de là, la revendication d’égalité de traitement face, entre autres, au travail, ces chercheurs soulignent que les hommes et les femmes ne sont pas identiques. Sommes-nous face à une antinomie?

En apparence seulement. Hommes et femmes sont égaux en droit mais biologiquement différents. Disant cela, un vague sentiment de porte ouverte en forme d’évidence nous étreint. Erreur! La simplicité du raisonnement masque une véritable complexité psychologique. En effet, le problème n’est pas intellectuel pour la plupart d’entre nous (soyons prudents...). Il se situe bien au niveau du cerveau, mais tapi dans les tréfonds de notre inconscient. Telle est la leçon essentielle du débat que j’ai animé dans l’émission Science publique du 8 novembre 2013, sur France Culture.

Il existe en nous un biais introduit par une série de stéréotypes qui nous conduisent à prendre des décisions, à porter des jugements ou à faire des choix qui violent l’un ou l’autre des deux principes d’égalité et de différence. Soit nous considérons que les femmes ou les hommes sont, de par leur appartenance à l’un de ces deux genres, plus à même de remplir certaines fonctions ou de posséder certaines qualités. Soit, nous oublions de prendre en compte les différences biologiques qui existent entre les deux sexes.

Les invités de Science publique ont apporté plusieurs exemples de tels biais. Pour illustrer le premier cas, une expérience est particulièrement révélatrice. Un même exercice de mémorisation de formes géométriques est proposé à deux groupes composés chacun de filles et de garçons. Au premier groupe, le test est présenté comme un exercice de géométrie. Au second, comme un exercice de dessin. Vous devinez sans doute le résultat. Dans le premier groupe, les garçons obtiennent les meilleurs résultats. Dans le second, ce sont les filles. Ce test révèle l’impact psychologique, chez les participants, des stéréotypes affirmant que les garçons sont meilleurs en maths et les filles plus douées dans les disciplines artistiques. D’où une différence de confiance en soi qui touche les deux genres et affectent leurs performances.

De tels stéréotypes influencent également des décisions prises vis à vis d’autrui. Une autre expérience a été réalisée avec deux groupes de scientifiques devant évaluer une candidature à un poste de chercheur dans le but de lui attribuer un poste et un salaire. Chaque groupe était composé, à parité, d’hommes et de femmes. Au premier était présenté un CV signé par le candidat John. Le second devait examiner exactement le même CV, mais signé par la candidate Jennifer. Là encore, malgré la mixité du jury, les stéréotypes inconscients ont frappé. C’est John qui a été le mieux jugé. Dans la vraie vie, c’est lui qui aurait obtenu le meilleur poste avec le salaire le plus élevé. Uniquement à cause de l’effet genre.

Prenons maintenant un article publié le 7 novembre 2013 dans la revue Physics Education Research sur l’écart entre les genres en matière de maîtrise des concepts de la physique. L’étude s’attache à un «mystère»: Pourquoi  les femmes obtiennent-elles systématiquement de moins bons résultats que ceux des hommes lors des évaluations de leur compréhension des concepts de la physique? L’auteur principal, Adrian Madsen, professeur de physique, déclare s’être attaché à vérifier l’existence d’un tel écart et, s’il existe, à en rechercher la cause. Pour cela, son équipe a analysé 26 études réalisées précédemment dans 12 institutions d’enseignement. Ils ont ainsi vérifié que les femmes obtiennent des résultats inférieurs de 12% à ceux des hommes sur les questions concernant les forces et  le mouvement. Pour les contrôles de connaissances sur les cours eux-mêmes, les résultats des femmes restent inférieurs à ceux des hommes de 4% en moyenne.

Les auteurs se sont particulièrement intéressés à l’impact du mode d’enseignement de la physique sur cet écart homme-femme. Dans les classes ayant adopté une pédagogie plus interactives les résultats des deux genres se sont améliorés. Les progrès obtenus sont quatre fois supérieurs à l’écart entre les femmes et les hommes observé dans les classes conventionnelles. Pour autant, cela n’explique pas que la supériorité des hommes persiste.

L’étude conclue qu’aucun facteur déterminant n’a pu être isolé pour expliquer l'écart de performance entre les genres. Ceci malgré l’analyse de multiples causes : le parcours des élèves, leurs croyances en physique, la méthode pédagogique utilisée, la formulation des questions lors des tests et même les stéréotypes enracinés sur les aptitudes des femmes.  Sans pouvoir attribuer un rôle déterminant à cette dernière hypothèse, les auteurs notent que les facteurs sociaux contribuent fortement à la création de cet écart entre les genres.

Les trois auteurs sont des enseignants en physique. S’ils avaient été assistés par des sociologues plus au fait de la mécanique des stéréotypes, peut-être auraient-ils accordé plus d’importance à ce biais particulièrement difficile à débusquer lorszqu'il agit de façon inconsciente. Une femme peut être convaincue de ses aptitudes en physique tout en étant victime d’une croyance enfouie qui chuchote à ses neurones qu’elle est inférieure aux hommes.

Michel Alberganti

(Ré)écoutez l'émission Science publique que j'ai animée le 8 novembre 2013 sur France Culture:

08.11.2013 - Science publique 
Comment le genre peut enrichir la science ? 56 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobile

Le genre est souvent associé au féminisme et à son combat pour l'égalité des sexes. Mais les études soulèvent également la question des différences qui sont souvent oubliée aussi bien par la recherche scientifique que par l'innovation. Or, le genre peut enrichir la science. Avec Pascal Huguet, Sandra Laugier Anne Pépin et Marie-Hélène Therre.
cover
-
/
cover

Liste de lecture