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A la santé du mezcal!

Le succès mondial de cet alcool artisanal mexicain fait à partir d'agaves, sera-t-il sa perte? Les profits issus de cette ouverture internationale menacent un savoir-faire vieux de plusieurs siècles que de nouvelles générations de mezcaleros tentent de sauver.

Un magasin vendant du mezcal, à Oaxaca en 2004. REUTERS/Aubrey Washington
Un magasin vendant du mezcal, à Oaxaca en 2004. REUTERS/Aubrey Washington

Temps de lecture: 4 minutes

Perdu dans les montagnes de La Compañía, petit pueblo mexicain de 3.000 habitants, Señor Gonzalo Hernandez, producteur de mezcal depuis quarante-huit ans, se repose à l'ombre d'un cactus cierge. A quelques pas de lui, son poste de travail: un toit de tôle, frêlement soutenu par quelques poutres en bois, abrite une distillerie artisanale de mezcal.

Au fond de cette baraque, deux cheminées alimentent un système de distillation archaïque, capable néanmoins de produire jusqu'à 350 litres de mezcal par jour. En guise de cuves de fermentation: trois récipients de plastique blanc, posés à même le sol, chacun numéroté au feutre noir. A intervalles réguliers, Señor Gonzalo, qui se déplace en claudiquant lourdement, escalade tant bien que mal l'échelle de bois apposée à l'un des fûts et remue la préparation à l'aide d'une spatule géante. Un aménagement plutôt typique dans l'état de Oaxaca, où le mezcal reste majoritairement une affaire de famille.

Sous ses airs vétustes, cette distillerie représente toutefois une réelle amélioration pour Señor Gonzalo et le reste de sa famille. Grâce à la récente explosion des ventes de mezcal et à la hausse des prix qui s'en est suivi, la famille Hernandez a vu ses revenus augmenter. Rien de bouleversant, explique Señor Gonzalo, mais suffisamment pour quitter la mezcaleria du grand-père et s'installer un peu plus confortablement dans la montagne.

+ 300% en trois ans

«On a amélioré quelques-uns de nos outils mais on est resté très traditionnel», assure-t-il, planté au milieu de son petit royaume, pointant une machine à mouliner les cœurs d'agaves. «On pourrait changer nos fours en terre cuite pour des fours en cuivre, ou passer au gaz et produire plus, mais on perdrait la méthode traditionnelle qui donne au mezcal cette saveur si particulière.»

Il y a six ans, le mezcal, alcool produit à partir d'agave (comme la tequila, mais avec un mode de fabrication, des régions de production et des terroirs différents) était encore très peu connu en dehors des sept Etats mexicains autorisés à le produire. Même à Mexico, aujourd'hui plaque-tournante de l'industrie, on ne s'y intéressait pas.

Il avait mauvaise réputation, considéré comme un alcool altéré de basse qualité réservé aux paysans. Cependant, depuis quelques temps les bars à mezcal se multiplient, et pas qu'au Mexique. Vendu dans 27 pays, la production a augmenté de près de 300% en trois ans, créant des milliers d'emplois. Le nombre de marques certifiées à lui aussi explosé, passant d'une petite vingtaine à plus de 300.

Pourtant, remarque Alejandro Muñoz, propriétaire d'un magasin spécialisé dans la vente de mezcals artisanaux, cette croissance ne va pas sans poser de problèmes.

«Cet effet de mode a deux facettes: le côté positif, et puis le côté plus obscur», explique Muñoz. Le côté positif, on le connaît. Ce sont les micro-entreprises comme celle de Don Gonzalo, qui réussissent à tirer profit de cet essor. «Le côté négatif, beaucoup de gens de la capitale vont directement aux producteurs pour acheter leur mezcal à bas prix» (2 euros le litre). Puis ils se chargent de transvaser le mezcal, encore dans son bidon d'origine, dans de jolies bouteilles en verre qui attireront l'oeil du client et feront monter les prix.

Car une fois doté d'une étiquette sexy, ce mezcal se revendra jusqu'à sept fois son prix d'achat.

Chez Sabrá Dios, où l'on connaît l'origine de chacunes des bouteilles exposées en magasin, les choses se passent différemment. Le mezcal est reconnu à sa juste valeur. A l'encontre des lois du marché de la grande distribution, ces revendeurs utra-sélectifs offrent environ 180 pesos le litre (10 euros) aux producteurs artisanaux.

Conserver le côté artisanal

Passionnés de mezcal, Alejandro Muñoz, architecte, et Jacobo Márquez, producteur de spectacles, se sont donnés pour mission de commercialiser le mezcal, et de faire reconnaître cet alcool «de garage» comme un art à part entière.

Tous leurs mezcals sont artisanaux et suivent les traditions de production transmises de génération en génération. Ceux dont ils sentent que le processus s'est trop industrialisé ne sont pas acceptés dans ce petit magasin de la Condesa, quartier branché de Mexico.

Les entreprises avec lesquelles Muñoz et Márquez travaillent sont parfois si petites que les deux aficionados, quand ils le peuvent, prennent en charge l'acheminement du produit jusqu'à leur boutique, la mise en bouteille, ou parfois même les frais de certification.

L'une des marques les plus populaires chez Sabrá Dios, c'est le mezcal Jolgorio, lancé il y a trois ans par Rolando Cortes avec l'aide de son frère, Valentín, et son neveu, Asis. Loin d'en être à son premier coup d'essai, Rolando Cortes, 36 ans, fait partie d'une famille où l'on produit du mezcal depuis six générations. A quelques minutes de la mezcaleria de Jolgorio, se trouve les vestiges de celle de son arrière, arrière grand-père.

Rolando est né en plein milieu de la crise des annés 1980 dans le pueblo de Matatlán, capitale mondiale du mezcal. C'est à cette époque que surgit le «conejo», un mezcal altéré de très pauvre qualité vendu dix fois moins cher que le mezcal pur. Les uns après les autres, les producteurs mirent la clé sous la porte. Des 450 qui existaient dans la région, une quinzaine de familles seulement continuèrent à faire du mezcal. Les autres émigrèrent en masse aux Etats-Unis pour trouver du travail.

Réconcilier tradition et entrepreneuriat

Aujourd'hui, Rolando Cortesappartient à cette nouvelle génération de mezcaleros qui, contrairement à leurs prédécesseurs, ont eu la chance de pouvoir faire des études. En ce qui le concerne, c'est grâce au dévouement de ses trois frères et de son neveu partis aux Etats-Unis pour financer son master.

«J'ai grandi d'ici, je connais mon village, ses avantages, ses problèmes... Je savais exactement ce qu'il y avait à faire.»

Pendant ses études, Rolando dresse les bases d'une association destinée à aider les producteurs de la région, en y introduisant une dimension de long terme. En effet, dans ce milieu de paysans pauvres, la pression quotidienne prend souvent le pas sur l'avenir et pousse les producteurs à la surproduction, ou à l'altération des méthodes de production traditionnelles pour répondre à une demande croissante.

En 2007, son master en poche, Rolando lance le projet Casa Agava de Cortes, ainsi que sa propre marque de mezcal, qui porte le même nom. Puis, trois ans plus tard, el Jolgorio, qui propose une sélection de mezcals d'agaves haut de gamme provenants de différents producteurs de Oaxaca, dont Sergio Gonzalo Hernandez.

L'organisation Casa Agava de Cortes impose à ses membres des contraintes de qualité: certification, traçabilité, respect des traditions et permet un système de production plus entrepreneurial. Une façon de réconcilier tradition et entrepreneuriat, apportant aux mezcaleros une fierté et une utilité qu'ils n'avaient pas.  

«Je crois que la majorité des producteurs de mezcal ont l'impression qu'ils font ce travail parce qu'ils ne sont pas allés à l'école, ils se sentent inférieurs aux autres», explique-t-il avant de renchérir: «Alors que ces méthodes empiriques, dont eux seuls ont la connaissance, sont la force de cette production.»

Diane Jeantet

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