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Après le Nouvel Obs, Causette se prend les pieds dans la pédophilie féminine

C'est l'histoire d'une prof de collège qui entretient une liaison avec une de ses élèves. Et celle des médias qui en parlent comme d'une «folle passion».

<a href="http://www.flickr.com/photos/tchi-tcha/2447184214">Chut.. c'est un secret..</a> / Raïssa via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Chut.. c'est un secret.. / Raïssa via FlickrCC License by

Temps de lecture: 4 minutes

Mise à jour du 30 juin 2013: suite, notamment, à la publication de notre article, la direction de Causette a publié un texte d'explication et d'excuses sur Rue89, affirmant que «l’article a manqué de précautions, d’un appareillage éditorial qui aurait rendu le doute impossible».

Le 22 mai dernier François Caviglioli s’attirait les foudres des internautes en publiant un article sur le Nouvel Observateur (initialement paru dans l'hebdomadaire) intitulé «Yasmine, 12 ans, et sa prof, 30 ans: récit d'une passion interdite». Le fait divers: une professeure d’anglais est convoquée au tribunal correctionnel de Lille pour «atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans». Elle aurait entretenu une liaison qu’elle affirme consentie avec l’une de ses élèves, alors âgée de 14 ans.

Un passage de l’article est violemment critiqué par les lecteurs (il est désormais supprimé):

«L'enseignante exaltée redécouvre les méandres et la géographie de la carte de Tendre. Après l'affection, l'estime, l'inclination pour finir au bout de deux ans par les appels du désir et tous les désordres de la passion. Yasmine se laisse aimer et désirer. Elle apprend l'algèbre des sentiments, les exigences et les égarements du corps. Ce qui devait arriver arrive: un saphisme sans violence, mais aussi un amour condamné, une relation que les deux amantes savent maudite.»

Les réactions indignées ne se font pas attendre et un billet de Gaëlle-Marie Zimmerman s’insurge:

«Deux femmes qui s’aiment, c’est tellement beau, n’est-ce pas? Il est bien connu que les femmes ne s’aiment pas comme les hommes. Une femme, c’est doux, c’est tendre, c’est sexy, et peu importe alors de mettre le lecteur en état de salivation malsaine, lui faisant oublier qu’on parle ici d’une infraction pénale, constituée par l’atteinte sexuelle sur mineur et figurant au Code pénal, et que ce qu’il nous décrit se résume tout simplement, eu égard à l’âge de la victime, à une relation sexuelle entre une adulte et une enfant

L’auteur s’explique finalement dans une note en bas d’article, indiquant:

«Chercher à éclairer ce qui s’est passé entre cette collégienne et cette enseignante, tenter d’expliquer la nature d’une relation, même si la loi la réprime, n’est pas faire l’éloge de la pédophilie. Ceux qui savent encore lire ne me font pas ce reproche.»

Et voilà que quelques semaines plus tard, le même fait divers réapparaît dans la presse magazine, dans les pages du mensuel féministe Causette cette fois-ci, qui livre un article intitulé «Une liaison particulière». Surprise à la lecture du chapô qui reprend en partie la terminologie du Nouvel Observateur en parlant de «passion interdite». N’est-ce pas là une façon de romancer ce que le droit qualifie d’«atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans»?

Dans la suite de l’article, plusieurs éléments sont assez surprenants:

  • le vocabulaire utilisé: la collégienne est présentée comme «l’amante», les messages qu’elle reçoit comme des «écrits trop tendres»
  • les descriptions de l’enseignante reprennent les stéréotypes féminins de la femme douce et non menaçante: «on entr’aperçoit un visage de femme-enfant, doux sous les boucles aubrun», «elle, la discrète»
  • les illustrations choisies sont sur le même registre de la femme tendre et douce:

Photographie du numéro juillet-août 2013 de Causette (page 50).

D’ailleurs on parle de «caresse», de «baiser». Atteinte sexuelle? «Les mots claquent, dur, sur le document affiché à l’entrée du prétoire», écrit la journaliste. On ne parle pas de pédophilie. Contactée par Slate, Nathalie Gathié, journaliste qui a travaillé sur l’article, insiste:

«L’affaire sera jugée en correctionnelle et non pas aux assises. Il n’y a pas de qualification de pédophilie sinon la femme comparaîtrait aux assises

Dans un article d’Atlantico publié en septembre 2012, le psychiatre Daniel Zagury expliquait en effet:

«La pédophilie par définition, c'est l'attirance sexuelle exclusive pour les enfants pré-pubères. Il y a dans la pédophilie l'horreur de la sexualité adulte et l'idéalisation de la sexualité infantile.»

Nathalie Gathié ajoute que Causette ne cautionne aucunement cette histoire (cela sera répété dans un billet Facebook publié après notre coup de fil):

«Les propos que l’enseignante a tenus sont des propos qui empruntent au champ lexical de l’amour, de la passion. Par contre: “prohibé”, “dangereux” c’est nous, parce que c’est ce que dit la loi.»

Le vocabulaire serait celui de l’enseignante et non de la journaliste. Pourtant les mots ne sont pas mis entre guillemets dans l’article. Dès lors, comment peut-on déterminer si l’on est dans la citation ou dans le commentaire? Lorsque l’article lit: «Nathalie B., enseignante, est poursuivie pour s’être follement éprise de Leïla, l’une de ses élèves», qui parle? La journaliste ou l’enseignante?

C’est d’autant plus problématique quand certains passages s'apparentent à des justifications, notamment:

«La majorité sexuelle est fixée à 15 ans, Leïla la frôle à trois mois près[1].»

Pour Nathalie Gathié, le sentiment de déséquilibre provient du fait que les avocats de la mère de la collégienne –qui a porté plainte contre l’enseignante– n’ont pas souhaité répondre aux questions de la journaliste:

«On n’est pas juge, c’est une histoire qui a été traitée à la manière d’une enquête. Stéphanie [Maurice, auteure principale de l'article] a beaucoup travaillé, elle a rencontré des éducateurs, des copains de la collégienne, les représentants de la communauté homosexuelle, les avocats des deux parties. L’article fait l’économie de tout commentaire, de tout parti pris. La journaliste s’est effacée derrière les citations qu’elle a recueillies et les faits.»

Certes, mais la journaliste parle de «folle passion amoureuse décrite par (l’enseignante)» contre une «manipulation perverse soupçonnée» par la mère. On se place du côté de la description pour l’enseignante mais du côté du simple soupçon quand on parle de la mère.

A cela s’ajoute parfois un mélange entre homosexualité et relation prof/élève –présentée comme une «double transgression»– alors même que deux pages plus tôt, la journaliste citait à juste titre des militantes homosexuelles qui clarifient:

«Nous avons du mal à parler de relation amoureuse entre une adolescente et une adulte qui a le double de son âge. Il suffit de penser au statut du professeur face à l’élève: c’est tout de même un rapport de pouvoir.»

Finalement, certaines critiques soulevées dans les commentaires de l’article du Nouvel Observateur peuvent être renouvelées. L’article aurait-il été écrit sur le même registre si l’enseignante avait été un enseignant? «Oui», assure Nathalie Gathié:

«L’article aurait été le même.»

Imaginons ce que ça donnerait:

«Une liaison particulière. C’est une histoire de passion interdite. A Lille, un homme, un prof, est tombé amoureux, à en perdre la raison de Leïla, son élève, une collégienne de 14 ans. Il a dix-neuf ans de plus que son amante. Il risque dix ans de prison.»

Ou:

«Une liaison particulière. C’est une histoire de passion interdite. A Lille, un homme, un prof, est tombé amoureux, à en perdre la raison de David, son élève, un collégien de 14 ans. Il a dix-neuf ans de plus que son amant. Il risque dix ans de prison.»

C. S.-G.

[1] Si l'on suit la chronologie des faits tels que rapportés par Causette, Leïla avait moins que 14 ans au début de l'histoire. Retourner à l'article

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