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Si Lucy n'avait pas mangé de l'herbe, nous serions peut-être tous restés des singes

<a href="http://www.flickr.com/photos/lloydm/6225875109/">Simply grass</a>  - Photo : Lloyd Morgan via Flickr Creative Commons Licence
Simply grass - Photo : Lloyd Morgan via Flickr Creative Commons Licence

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La paléoanthropologie est une science merveilleuse. A chaque nouvelle découverte, elle peut réécrire notre histoire. Parfois en éclairant une zone d’ombre. Parfois en reprenant des chapitres entiers...

Prenons les dernières analyses de l’émail des dents de nos ancêtres vieux de 3,5 à 4 millions d’années. Elles révèlent un changement de régime alimentaire qui a peut-être joué un rôle décisif dans cette extraordinaire évolution qui nous a fait passer du stade du singe à celui de l’homme.

Si l’on remonte avant ces 4 millions d’années, les analyses montrent que les hominidés africains se nourrissaient à la mode chimpanzé: essentiellement de fruits et de feuilles, note Matt Sponheimer, professeur d’anthropologie à l’université de Californie-Boulder, et l’un des principaux auteurs de la dernière publication sur ce sujet dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) du 3 juin 2013, associée à trois autres articles.  

«Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, reconnaît le chercheur. Mais nous constatons qu’après 3,5 millions d’années, certains de ces hominidés se sont mis à manger des choses qu’ils ne consommaient pas auparavant et il est tout à fait possible que ces changements d’alimentation aient constitué un pas important vers le passage à l’homme.»

Lucy, le célèbre squelette d’Australopithecus afarensis, découvert en Ethiopie par Yves Coppens, entre autres, en 1974, a vécu pendant cette période charnière.

Un peu de nourriture entre les dents

Cette révélation vient de l’étude de près de 90 spécimens de dents. Matt Sponheimer est spécialisé dans l’analyse des isotopes stables et dans la comparaison de certaines formes de carbone dans l’émail des différentes dents retrouvées. «C’est un peu comme si l’on retrouvait un morceau de nourriture pris entre deux dents», explique Zeresenay Alemseged, anthropologue de l’Académie des sciences de Californie et co-auteur de deux des articles parus dans les PNAS.

En fait, c’est un peu plus subtil... Il faut analyser le résultat des trois mécanismes de fixation du CO2 pendant la photosynthèse (C3, C4 et CAM). Chacun correspond à des familles de plantes différentes. Le mécanisme en C3 est le plus courant pour les plantes vertes mais également pour les arbres et les buissons. Ceux dit en C4 ou en CAM se trouvent chez des graminées tropicales, comme la canne à sucre, le maïs ou le sorgho. Ils caractérisent les herbes et les laîches (ou carex) et les plantes grasses. Ces derniers végétaux incorporent un taux supérieur de l’isotope carbone-13 dans leurs tissus.

L'herbe libératrice

Quand ils sont mangés, cet isotope passe dans l’émail des dents en cours de développement. De plus, les chercheurs ont analysé les microscopiques traces d’usure sur les dents également caractéristiques du type de nourriture.

Ainsi, les anthropologues peuvent distinguer les deux types d’alimentation. Le premier, riche en plantes C3, est caractéristique de la forêt et de ses fruits dont se nourrissent les singes.  Le second, à base de plantes C4 élargit le régime alimentaire.

De là à en déduire que c’est en mangeant de l’herbe que nos ancêtres sont descendus des arbres, ont quitté la forêt et sont partis à l’aventure, broutant allègrement dans les plaines herbeuses jusqu’à devenir des hommes quelques millions d’années plus tard... Les chercheurs ne vont pas aussi loin mais le laissent entendre. Après tout, pourquoi pas?

M.A.

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