Sciences / Life

Les robots-fourmis s'entraident pour trouver le plus court chemin

En cherchant à reproduire un comportement animal, des chercheurs français ont mis au point des robots simplifiés capables de découvrir collectivement la meilleure voie pour franchir un labyrinthe. Un nouvel exemple spectaculaire de biomimétisme et d'exploitation de l'intelligence collective.

La colonne de robots-fourmis suit la trace laissée par leur prédécesseurs pour optimiser leur parcours - Source: Jacques Gautrais, Guy Theraulaz - Centre de rechefche sur la cognition animale - Université Paul Sabatier - Toulouse
La colonne de robots-fourmis suit la trace laissée par leur prédécesseurs pour optimiser leur parcours - Source: Jacques Gautrais, Guy Theraulaz - Centre de rechefche sur la cognition animale - Université Paul Sabatier - Toulouse

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Pour améliorer ses performances,  la robotique s’inspire de plus en plus des animaux. Et, inversement, les spécialistes du comportement des animaux font désormais appel aux robots pour analyser les subtiles stratégies de certains insectes. Il faut dire que les capacités d’une mouche, d’une abeille ou d’une fourmi suscitent autant d’admiration que de questionnement. Et que dire des vols d’étourneaux (voir la vidéo à la fin de cet article) ? Comment ces animaux peuvent-ils réaliser autant de tâches, souvent complexes, avec aussi peu de moyens ?  Le cerveau d’une fourmi ne dépasse guère les 100 000 neurones et pourtant… 

Jeux de pistes

Une équipe de chercheurs du Centre de recherches sur la cognition animale (Université Paul Sabatier de Toulouse – CNRS) note que les fourmis Messor barbarus forment des pistes qui persistent pendant plusieurs jours et qui s’étendent jusqu’à 25 mètres de l’entrée du nid. Les fourmis des bois Formica aquilonia, dont le corps ne dépasse pas 5 à 6 mm de long, créent des réseaux de pistes pouvant atteindre 200 mètres de long avec jusqu’à 9 embranchements par piste. Encore plus fortes, les colonies de fourmis coupeuses de feuilles Atta colombica réalisent des réseaux couvant plus d’un hectare avec des pistes qui s’étendent jusqu’à 250 mètres de l’entrée du nid.


La fourmi d'Argentine - Linepithema humile - Wikimedia Commons

« L’un des défis majeurs que doivent relever les fourmis ouvrières est de s’orienter à l’intérieur de tels labyrinthes et, en particuliers, de conserver la traces de la direction de leur nid », notent les chercheurs dans l’article qui vient d’être publié dans la revue PLOS computational biology. L’équipe dirigée par Simon Garnier a choisi d’étudier la fourmi d’Argentine (Linepithema humile), par ailleurs considérée comme une espèce invasive en Europe.

Le fil d'Araine des phéromones

Les chercheurs avaient déjà publié, en juillet 2012, un article dans la même revue qui analysait la technique de formation de pistes par ces insectes à l’aide de phéromones. Ce travail les avait conduits à réaliser deux vidéos spectaculaires montrant comment ces traces chimiques pouvaient guider les insectes.

L’observation directe se heurtant néanmoins à des difficultés d’interprétation, les chercheurs se sont tournés vers les robots afin de disposer d’un modèle aux capacités parfaitement connues. Pour cela, ils ont utilisé Alice, un micro-robot existant développé à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui s’inscrit dans un cube de 2 cm de coté et se déplace à une vitesse maximale de 40 mm/s. Chaque robot Alice est doté de 4 capteurs à infrarouge et de récepteurs leur permettant d’identifier les points de départ et d’arrivée.  Un module supplémentaire équipé de deux photodiodes de chaque coté du robot assure la mesure de différences de lumière. Enfin, une diode LED sur le dessus permet de suivre facilement le parcours des robots auxquels une batterie assure un fonctionnement de plus de 3 heures.


Le micro-robot Alice développé par l'EPFL - Souce; EPFL

Le labyrinthe dans lequel Alice doit se diriger a été creusé dans du PVC. Il est composé de 3 ou 4 boucles  avec un point de départ et un point d’arrivée. Aux robots de se débrouiller pour trouver le meilleur chemin, c'est-à-dire le plus court, pour aller de l’un à l’autre. Le plus délicat résidant dans la reproduction des phéromones utilisées par les fourmis. Les chercheurs ont créé un système sophistiqué utilisant la lumière comme marqueur du passage des robots.


Schéma des labyrinthes utilisés pour l'expérience - Source : Simon Garnier et al.

Suspendue 1,5 m au dessus de la scène, une caméra se charge de capter la lumière rouge de la diode qui brille sur la partie supérieure de chaque robot. Centré sur cette position, un disque lumineux de couleur bleu et d’intensité fixe et de 6 cm de diamètre est projeté sur la piste. Il s’agit de la trace équivalente à un dépôt de phéromones. L’évaporation de ces dernières est reproduite par une diminution progressive de l’intensité de la lumière du disque bleu projeté. Ainsi, au fil du temps et de l’avancée des robots dans le labyrinthe, des pistes de couleur bleue se dessinent dont l’intensité est proportionnelle au nombre de passage des micro-robots.   

Les règles du modèle comportemental

Il fallait ensuite doter les robots d’un modèle comportemental, c'est-à-dire de règles liant les informations perçues avec des actions. Ainsi, en cas de détection d’un obstacle par les capteurs à infrarouge, les micro-robots tentent de l’éviter en revenant en arrière et en essayant une autre direction. La deuxième règle concerne les traces lumineuses captées par les diodes photosensibles. Alice tente alors de se diriger dans la direction d’intensité maximale. Enfin, son orientation principale est déterminée par l’émetteur infrarouge situé au point d’arrivée et qui envoie un signal en permanence.  

Tout est prêt, alors, pour lancer l’expérience. Les robots vont-ils trouver leur chemin entre leur nid et leur cible : un lieu ou se trouve de la nourriture. Après des tâtonnements, vont-ils progressivement trouver le chemin le plus court ? Ou bien finir par tourner en rond, piégés par le labyrinthe ?

Les chercheurs ont dû être soulagés lorsqu’ils ont pu constater, après tant d’efforts, que leur essaim de micro-robots se comportait exactement comme leurs modèles fourmis. Grâce à des capteurs rudimentaires et sans véritable capacité de vision, robots comme insectes sont capables d’optimiser leur parcours. Et cela, en bonne partie grâce aux traces laissées par leurs congénères, qu’il s’agisse de phéromones ou de lumière bleue.  Cette dernière augmente de 50 à 80% l’efficacité leur recherche du chemin le plus court suivant les types de labyrinthes. La vidéo accélérée des mouvements des robots, enregistrés en réalité pendant une heure,  est, pour le moins, impressionnante :


Do Ants Need to Estimate the Geometrical... par SmallbrothersOrg

Cette expérience remarquable nous en apprend autant sur les fourmis que sur les robots. Elle confirme ainsi qu’il est bien difficile de faire mieux que les techniques mises au point par les animaux, fruits de millions d’années d’évolution. Au contraire, les hommes ont tout intérêt à s’en inspirer le plus possible en oubliant, parfois, leurs propres aptitudes. Le biomimétisme remplace alors l’anthropomorphisme.

La leçon des éthologues

Il est également notable que les auteurs de cette expérience soient des spécialistes du comportement animal et non des roboticiens. Auparavant, ce sont surtout ces derniers qui cherchaient des solutions chez les insectes ou les oiseaux. Là, ce sont les éthologues qui exploitent les robots pour étudier la façon dont les fourmis se déplacent.

Le dispositif qu’ils ont mis au point pour ce faire pourrait néanmoins intéresser les roboticiens. Il démontre qu’il est possible de concevoir un essaim de robots peu intelligents individuellement mais néanmoins capables de tirer profit d’une sorte d’intelligence collective grâce à l’apport d’une aide extérieure (l’ersatz des phéromones).

De tels travaux finiront peut-être par percer les secrets d’autres comportements en essaim. Ceux des bancs de poissons ou des vols d’étourneaux, par exemple. Sur le site du laboratoire Swarm (essaim en anglais) auquel appartient aussi Simon Garnier, trône une vidéo montrant un ballet d’oiseaux filmés à Marseille. Un sacré programme de recherche en perspective…

A bird ballet | Music Video from Neels CASTILLON on Vimeo.

M.A.

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