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Avec Google Glass, le journalisme verra-t-il plus loin que le bout de son nez?

Elles ne sont pas encore commercialisées, mais certains journalistes s'interrogent sur les contenus et les usages rendus possibles par cet objet.

Le co-fondateur de Google Sergey Brin avec ses Google Glass version septembre 2012. REUTERS/Carlo Allegri
Le co-fondateur de Google Sergey Brin avec ses Google Glass version septembre 2012. REUTERS/Carlo Allegri

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Peu de privilégiés ont eu la chance de les tester, mais déjà, les Google Glass font les gorges chaudes des commentateurs. A commencer par la presse, qui oscille entre gourmandise et perplexité face à ces lunettes connectées made in Mountain View, dont Google prévoit la commercialisation en 2014.

Elle s’interroge notamment sur l’impact de ces montures du futur, qui permettent à l’individu qui les chausse d’accéder et de produire du contenu sur Internet via un petit écran affiché dans le coin supérieur du verre droit, sur la production comme sur la consommation de l’information.

Bien sûr, pour ça, il faudrait qu’elles ne fassent pas un flop et que le grand public les adopte en masse —ce qui n’est pas forcément gagné, les rares testeurs ayant confirmé se sentir un peu cons en les portant.


Mais forcément, ça interroge. Imaginez-vous avec ces binocles autour de la tête (oui parce que le nez n’est ici plus impliqué, on parle ici davantage d’un head-band)! S’il se passe un truc, en un «ok glass, prends une photo/vidéo!» ou en tour de doigt sur le pad placé sur une des branches, hop! Le fait divers est dans la boîte et envoyé sur les réseaux —pour peu qu’il y ait assez de réseau et de batterie, autres problèmes qui ne manqueront pas de se poser.

Une facilité dans la captation qui est loin d’être nouvelle, les smartphones ayant depuis longtemps introduit la possibilité, pour chacun, de couvrir tel ou tel événement dont on est témoin. Cassant, au passage, le recours systématique à un professionnel de la profession, comme on dit. Une désintermédiation qui ne manquera pas d'enfler une nouvelle fois, ici.

Et la déontologie?

Mais le véritable changement est introduit par le point de vue: la prise d'infos est à la première personne, comme dans certains jeux vidéo et autres porno. L’immersion est donc totale: «imaginez les interview, couvrir une manif, couvrir un match de foot, couvrir une guerre...», interpelle le professeur en journalisme Damien Van Achter sur son site. Il y a tellement de choses qui sont possibles!»

Selon Pandodaily, la proximité induite par les Google Glass permettrait notamment de réaliser des sujets «beaucoup plus personnels», dans lesquels l'audience sera invitée à pleinement rentrer dans la discussion, en ayant la possibilité de voir (ou presque) au travers des yeux du reporter. «Cette nouvelle façon de présenter les choses pourrait d'abord être déroutante, mais elle pourrait aussi sembler plus humaine et moins formelle, estime le site spécialisé américain, mettant un terme à l'agencement traditionnel des interview télé: “c'est vous contre le caméraman et moi”

En l'absence de l'intimidant dispositif, il est en effet envisageable d'imaginer une parole moins contrôlée et donc plus proche du sentiment réel de l'interviewé sur telle ou telle question. Quiconque a déjà réalisé un entretien (journalistique ou non) le sait: un simple coup d'œil sur le carnet, l'enregistreur ou la caméra suffit souvent à calmer les ardeurs de la personne interrogée. Ce qui impose souvent, si l'on recherche la matière la plus authentique et spontanée possibles lors de ces rencontres, d'abandonner la prise de notes pour tout miser sur sa mémoire, ou de tenter subrepticement d'enregistrer la conversation sur son téléphone, au risque, bien sûr, de se faire griller.

Les Google Glass posent donc aussi un problème de la déontologie, qui n'est pas sans rappeler la polémique soulevée par le magazine d'information Les Infiltrés. Cette émission diffusée sur France 2 mise tout, en effet, sur la caméra cachée qui vise à «montrer ce qui est souvent resté caché, non dit ou secret», explique la présentation officielle. Un procédé qualifié de «dangereux et choquant» par le Syndicat national des journalistes (SNJ), qui a appelé à la suppression de l'émission. Autant dire que des Google Glass portées en situation de reportage risquent largement de relancer le sujet. Et même si Google assure que des dispositifs classiques permettront aux interlocuteurs des GoogleGlassers (ou Google Glassos?) de savoir qu'ils sont filmés —comme le traditionnel petit voyant rouge des caméras—, certains testeurs assurent quant à eux qu'il est très difficile, pour une personne, de vraiment s'en rendre compte.

Quels contenus pour les lunettes

Pour beaucoup, les Google Glass annoncent la mise à mort, souvent annoncée par le passé, de la vie privée et de l'intimité. A ce titre, le site américain Gawker en conclue donc que les futurs porteurs de ces lunettes ne sont que des «trous du cul»:

«En mettant les Google Glass, vous, les utilisateurs de Google Glass, êtes volontaires pour devenir un soldat de l'armée de trous du cul de Google.»

Cette vague d'inquiétude relève d'une «techno-panique» infondée, dixit Jeff Jarvis. Ce professeur de journalisme à New York appelle à la mesure, estimant que les binocles du géant américain n'apportent rien de nouveau au regard des polémiques déjà soulevées par les téléphones portables. Optimiste, il argue que la bienséance finira bien par courber les usages. Jeff Jarvis ne perd d'ailleurs pas de temps et entend bien essayer ces lunettes au plus vite, avec lesquelles il entend ni plus ni moins «changer le journalisme pour toujours»:

«Avec mes étudiants de CUNY, nous repenserions l'actualité: la manière dont les gens en sont témoins et comment il la partage. Nous repenserions comment les alertes info ainsi que les autres informations alimentent les porteurs de Glass. Nous repenserions l'interface de la création de contenu à l'ère du post-clavier. Nous construirions de nouveaux modèles d'affaires autour des Glass.»

Il n'est d'ailleurs pas le seul à y penser : déjà, les réfléxions grouillent sur la façon d'amener et de présenter au mieux l'info sur le mini bout d'un mini-verre d'une paire de lunettes. A la différence d'un ordinateur de salon, ou même d'une application mobile, cette présentation se devra d'être la plus synthétique possible, évitant le texte au maximum. Le New York Times aurait déjà planché sur le sujet, présentant une ébauche de son travail à la grand messe technophile américain de South by Southwest. Où les Google Glass était évidemment sur toutes les lèvres des participants, à défaut d'être déjà vissées sur leurs têtes.

Andréa Fradin

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