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Mère Teresa: le mythe crucifié d'une sainte?

Le pape François a approuvé un miracle attribué à Mère Teresa de Calcutta et est prêt à promulguer le décret de sa canonisation. Une étude de chercheurs québécois a pourtant gravement écorné la légende de la religieuse albanaise décédée en 1997.

Un artiste travaille sur une statue de Mère Teresa pour le 101e anniversaire de sa naissance. REUTERS.
Un artiste travaille sur une statue de Mère Teresa pour le 101e anniversaire de sa naissance. REUTERS.

Temps de lecture: 5 minutes

Le pape François a approuvé un miracle attribué à Mère Teresa de Calcutta et est prêt à promulguer le décret de sa canonisation: c'est le site du quotidien des évêques italiens, Avvenire, qui le rapporte. Nous republions à cette occasion cet article sur Mère Térésa. 

S'agit-il de la fin d'un mythe ou d'une étude à charge manquant singulièrement de substance? Ce qui est probable, c'est que le travail de trois chercheurs québécois suscitera quelque émoi chez les fervents admirateurs de Mère Teresa. Cette icone de la religion catholique, prix Nobel de la paix en 1979, béatifiée en 2003 par le pape Jean-Paul II, est même devenue une expression synonyme de générosité, abnégation, altruisme et charité. Suprême consécration.

L'étude dirigée par Serge Larivée, avec Geneviève Chenard du département de psychoéducation de l'université de Montréal et Carole Sénéchal de l'université d'Ottawa, intitulée «Les côtés ténébreux de Mère Teresa» a été publiée en ligne le 15 janvier et doit paraître dans le numéro de mars de la revue Studies in Religion / Sciences Religieuses.

Certains blogs titrent déjà: «Mère Teresa: tout sauf une sainte». Le journal indien anglophone The Times of India parle quant à lui d'une étude controversée, avant d'en rendre compte sans remettre en cause ses arguments.

Motivés par la curiosité

Les chercheurs canadiens se sont intéressés au cas de Mère Teresa en travaillant sur l'altruisme lors de la préparation d'un séminaire sur l'éthique. Ils sont alors tombé sur la description «extatique» de l'histoire de cette religieuse d'origine albanaise, née Anjezë Gonxhe Bojaxhiu en 1910 à Skopje, actuelle capitale de la Macédoine, et arrivée à Calcutta en 1929. La réputation de sainte vivante de la fondatrice, en 1950, de la congrégation des missionnaires de la Charité, «a piqué notre curiosité et nous a poussé à approfondir nos recherches», explique Serge Larivée.

Pour cela, les trois scientifiques ont rassemblé 502 documents sur la vie et l'oeuvre de Mère Teresa. Après avoir éliminé 195 doublons, ils ont analysé 287 documents représentant 96% de la littérature existante. Avec quelques surprises qui relativisent, pour le moins, la réputation de la petite soeur des pauvres. Leurs découvertes rejoignent certaines critiques déjà formulées à l'encontre de Mère Teresa et en débusquent d'autres.

1. Le culte de la douleur

Les chercheurs notent que la religieuse avait ouvert 517 missions dans plus de 100 pays au moment de sa mort, le 5 septembre 1997 (Wikipédia en dénombre 610 dans 123 pays...). Ces missions sont décrites par des médecins qui ont visité plusieurs «Maisons pour les mourants» à Calcutta.

Les deux tiers des personnes s'y rendant espèrent y trouver un médecin pour les soigner tandis que l'autre tiers gît en se mourant sans recevoir de soins appropriés. Les visiteurs notent également un manque d'hygiène, une mauvaise nourriture et une absence de traitement de la douleur.

 

Les chercheurs canadiens estiment que cette situation ne provient pas d'un manque de moyens financiers, car la Fondation créée par Mère Teresa a levé des centaines de millions de dollars. Il s'agirait en fait d'une conception particulière de la souffrance et de la mort.

«Il y a quelque chose de beau dans le fait de voir le pauvre accepter son sort et souffrir comme le Christ pendant sa Passion. Le monde gagne beaucoup de leur souffrance», aurait répondu Mère Teresa à une critique sur ce point, d'après le journaliste Christopher Hitchens, chroniqueur de Slate.com disparu en 2012 et militant notoire contre la religion, qui se définissait comme antithéiste.

Les chercheurs canadiens notent que Mère Teresa a pourtant demandé des soins palliatifs, qu'elle a reçus dans un hôpital américain moderne. Elle a effectivement été soignée dans un hôpital de La Jolla, en Californie, en janvier 1992. Mais elle est morte d'une attaque cardiaque dans ses locaux de Calcutta...

2. Relations politiques et finances douteuses 

Les chercheurs canadiens jugent que Mère Teresa était plus généreuse en prières qu'en argent. Lors de nombreuses inondations en Inde ou à la suite de la catastrophe de Bhopal, elle aurait offert de nombreuses prières et des médaillons de la Vierge Marie mais pas d'aide financière directe. Les scientifiques relèvent que, par ailleurs, elle n'a pas eu de scrupules à recevoir la Légion d'honneur et une subvention du dictateur d'Haïti Jean-Claude Duvalier en 1981.

Des millions de dollars auraient aussi été transférés sur les différents comptes bancaires, dont certains secrets, des missionnaires de la Charité (MCO). «Etant donné la gestion parcimonieuse de Mère Teresa, on peut se demander où les millions de dollars destinés aux plus pauvres des pauvres sont partis», s'interroge Serge Larivée. La question est bonne. Mais une réponse des chercheurs aurait été encore meilleure...

3. Un plan médiatique pour la sainteté

Forts de leur analyse critique, les chercheurs se sont demandé comment Mère Teresa est parvenue à se construire une image de sainteté et de bonté infinie.

D'après eux, la rencontre avec Malcolm Muggeridge, un journaliste militant anti-avortement de la BBC, lors d'une visite à Londres en 1968, a joué un rôle crucial. Elle aurait alors découvert le pouvoir des médias de masse.

En 1969, le journaliste catholique réalise un film élogieux sur Mère Teresa intitulé Something Beautiful for God en lui attribuant «le premier miracle photographique». Le journaliste avait constaté que les scènes filmées à l'intérieur d'une «Maison pour les mourants» avec une pellicule prévue pour les tournages en extérieur baignaient dans une belle et douce lumière malgré le très faible éclairage provenant de petites fenêtres. Il en avait alors déduit l'enregistrement du premier authentique miracle de la photographie.

Les chercheurs canadiens indiquent que le phénomène aurait dû être attribué à la nouvelle pellicule commercialisée par Kodak. Dont acte...

Ils soulignent qu'après ce film, Mère Teresa a parcouru le monde et reçu de nombreux prix. Lors de son discours pendant la cérémonie de remise du Prix Nobel, au sujet des femmes bosniaques violées par les Serbes et réclamant un avortement, elle a déclaré:

«Je ressens que le plus grand destructeur de la paix est l'avortement, parce qu'il s'agit d'une guerre directe, un meurtre direct par la mère elle-même.»

Après la mort de Mère Teresa, le Vatican décida de ne pas attendre le délai de cinq ans prévu avant l'ouverture de la procédure de béatification. Le miracle qui lui était attribué était d'avoir soigné une femme, Monica Besra, qui souffrait de douleurs abdominales aigües. La femme témoigna qu'elle a avait été guérie grâce à un médaillon béni par Mère Teresa et placé sur son ventre.

Les médecins, eux, ont déclaré avoir soigné avec des médicaments le kyste des ovaires et la tuberculose de leur patiente. Cela n'empêcha pas le Vatican d'entériner le miracle.

La popularité de Mère Teresa l'avait rendue «intouchable» au point qu'on la considérait déjà comme une sainte. «Quoi de mieux qu'une béatification suivie d'une canonisation de cet emblème pour revitaliser une Eglise et inspirer la foi, surtout à un moment où les églises sont vides et où l'autorité romane décline?», s'interrogent Serge Larivée et ses collègues.

Un exemple stimulant pour l'action humanitaire

Les chercheurs terminent leur étude de façon assez surprenante. Ils considèrent en effet que, malgré la façon douteuse de Mère Teresa de prendre soin des malades en glorifiant leurs souffrances au lieu de les soulager, le mythe de la sainte a eu un effet positif:

«Si son image extraordinaire véhiculée dans l'imaginaire collectif a encouragé les initiatives humanitaires qui se sont sincèrement engagées envers ceux qui sont broyés par la pauvreté, nous ne pouvons que nous réjouir. Il est probable qu'elle a inspiré de nombreux travailleurs de l'humanitaire dont les actions ont véritablement soulagé les souffrances des plus démunis et agi sur les causes de la pauvreté et de la solitude sans que les médias ne chantent leurs louanges. Néanmoins, la couverture médiatique de Mère Teresa aurait pu être plus rigoureuse.»

Au final, la destruction du mythe, largement créé par les médias selon les chercheurs, s'appuie essentiellement sur la révélation... des croyances religieuses de Mère Teresa. Et de sa relation personnelle tourmentée avec la douleur et la foi.

Que sa conception de la charité puisse être contestée n'est guère surprenant. Ce qui l'est, en revanche, c'est le réquisitoire des chercheurs canadiens, qui ne s'appuie que sur une analyse des documents disponibles. La gravité des accusations qu'ils portent sur un personnage aussi emblématique aurait mérité d'être étayée par une véritable enquête.

Quelles sommes d'argent l'organisation de Mère Térésa a-t-elle effectivement collectées? Comment a-t-elle utilisé ces fonds? Où se trouvent les comptes bancaires secrets? Outre les médecins cités, quels témoignages confirment ses méthodes vis à vis de la douleur? Quel a été l'effet de la médiatisation de Mère Teresa sur la collecte de fonds alimentant ses centaines de missions? Autant de questions auxquelles il est sans doute difficile de répondre. Mais lorsque l'on prétend détruire un mythe, le seul recours à la bibliographie apparaît comme une méthode bien légère.

M.A.

Article actualisé le 4 mars 2013 à 18h40: une première version identifiait de manière incorrecte le Times of India comme un journal anglais, et non anglophone.

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