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Euro 2012: l'Espagne a une peur bleue de la France

Bien que leur équipe soit favorite du match de ce soir, les Espagnols auraient préféré éviter la France, bête noire contre qui la Roja n'a jamais gagné en compétition officielle.

Des supporters espagnols à Malaga pendant le match Espagne-Croatie le 18 juin 2012, REUTERS/Jon Nazca
Des supporters espagnols à Malaga pendant le match Espagne-Croatie le 18 juin 2012, REUTERS/Jon Nazca

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«On aime bien les Espagnols, à la limite on préfère que ce soient eux qui nous éliminent plutôt que les Italiens ou les Anglais, avec qui on a une vraie rivalité…», m’expliquait un ami Français après la fessée de la Suède mardi synonyme de France-Espagne en quart de finale. «Pas nous», ai-je dit tout net, «les Espagnols n’ont pas vraiment de grande rivalité historique, vu qu’ils ont presque toujours perdu, mais ils n’aiment pas franchement les Français». Et il y a de bonnes raisons à ça, et pas que sportives.

Pain in the ass

Pour ce qui est du terrain de jeu, les Espagnols craignent les Français. «Il faut les respecter mais ce sont eux qui doivent avoir peur de nous» est le discours de façade des supporters et surtout des journalistes. Mais en coulisses, presque tout le monde aurait préféré les Anglais ou les Ukrainiens. Comme l’a avoué Alvaro Arbeloa, dans sa porra (les paris) personnelle de la Roja, l’Espagne rencontrait la France en finale. C’est dire si les joueurs ibériques ont une meilleure opinion de la qualité de l’équipe de Blanc que ses propres supporters.

Il faut dire que l’Espagne n’a jamais battu la France en match officiel. Cinq défaites et un nul. Ça calme. On se souvient que Jeremy Toulalan ne s’était jamais «senti aussi humilié et aussi impuissant que face à l'Espagne» lors de la défaite des Bleus à domicile (0-2 au Stade de France en mars 2010). Sauf que c´était un match amical. Dès que l’enjeu est là, les Français semblent prêts à embêter les Espagnols.

Ce fut le cas lors de l’Euro 2000 avec ce fameux pénalty raté par Raul à la dernière minute. Ce fut le cas lors de la non moins fameuse finale de 1984 et la monumentale erreur d’Arconada. D’ailleurs la France a éliminé l’Espagne à deux reprises en championnat d’Europe et a remporté le titre à ces deux occasions.

Il faut dire que, à y regarder de plus près, l’affrontement hispano-français est un classique de l’Euro: 1-1 lors des poules en 1996 (les deux équipes se qualifièrent) et deux douloureuses défaites de l’Espagne (3-1 et 1-2) lors de la phase de qualification de l’Euro 1992 avec le joli ciseau de Papin.

La cicatrice de 2006

Mais ce fut surtout le cas de 2006 où tout le monde donnait l’Espagne favorite après trois matchs lamentables des Bleus dans leur groupe. Une confiance que la presse et les joueurs Français ont pris, à cette époque-là, pour de l’arrogance. A tort. D’abord parce qu’avant d’être cette équipe gagnante qu’elle est devenue, les Espagnols tentaient de se motiver comme ils pouvaient avant chaque match à élimination directe où ils sentaient que, quoi qu’ils fassent, ils finiraient par être éliminés (ce qu’ils ont longtemps appelé la maldición de cuartos).

Et surtout parce que cette équipe est bien l’embryon de celle qui allait devenir championne d’Europe et du Monde. On y retrouvait Casillas, Puyol, Xavi, Ramos, Alonso, Torres, Fábregas et Villa. Une bonne partie de l’équipe titulaire de ce soir. Du côté français, il ne reste plus que Franck Ribéry et Florent Malouda.

En Espagne, on aimerait penser que ce n’est pas la même chose mais la superstition est un élément essentiel du football. D’autant que ce match représente la dernière élimination de l’Espagne dans une compétition internationale et la dernière défaite contre une équipe importante en match officiel (avec tout le respect que l’on doit à la Suisse). Fernando Torres lui-même admet que les Bleus leur «donnèrent une leçon ce jour-là» mais que cela leur servit pour «grandir». La France est donc la bête noire des Espagnols. «Mais cette équipe est habituée à battre des records et à casser des statistiques» rappelle quand même El Niño.

Les faux amis

Alors, match entre amis ou pas? C’est ce que l’on pourrait croire si l’on sait que 14 joueurs Français et Espagnols sont coéquipiers dans 4 des plus grands clubs d’Europe. Evidemment Karim Benzema va se retrouver face à deux piliers de la défense du Real comme Arbeloa et Sergio Ramos. Même schéma de l’autre côté où les montées de Jordi Alba risquent de poser des problèmes à son coéquipier Adil Rami.

La lutte, qui promet d’être tendue, au milieu de terrain fera naitre des étincelles entre Samir Nasri et David Silva, tous deux joueurs de Manchester City. Plus improbable, mais toujours possible, la rencontre sur le terrain de Juan Mata (qui n’a pas encore joué) et Florent Malouda, tous deux couronnés récemment avec Chelsea en Ligue des champions.

Une affiche qui promet du beau jeu. Même si cette proximité amicale n’est pas toujours de bonne augure comme le montre la redoutable efficacité que Luis Fernandez ou Laurent Blanc lui-même (les deux ayant joué et/ou entrainé des clubs espagnols) ont affiché face à la Roja. En Espagne on se régale déjà de pouvoir jouer contre «l’équipe la plus offensive du tournoi après l’Espagne».

On compare son style avec celui des hommes de Del Bosque et on loue la qualité de son milieu de terrain. Il faut dire que la France et l’Espagne sont les deux équipes ayant le plus tiré lors du 1er tour de l’Euro (61 contre 60), le plus cadré (21 contre 29 respectivement) et ce sont aussi les deux équipes ayant réussi le plus de passes (2.058 pour l'Espagne, 1.438 pour la France) et le plus de dribbles (28 contre 33).

Mais la réalité risque d’être toute autre. Et le match pourrait vite ressembler à celui de 2006 avec une équipe de France repliée sur elle-même qui tente sa chance en contre-attaque. A ce petit jeu-là (comme en 2006 d’ailleurs), c’est Ribéry qui pourrait être l’homme décisif. Impliqué dans davantage de duels que n’importe quel autre joueur de la phase de poules (75 dont 45% remporté), le Français va surement vouloir continuer son duel un peu spécial avec Alvaro Arbeloa. Une inimitié qui est né lors du match amical de 2010 et qui n’a fait que croitre cette année lors de la demi-finale de la Ligue des champions Real-Bayern. La France ne perd pas si Ribéry marque (10 buts dont 9 victoires et un nul). Arbeloa sait ce qu’il lui reste à faire.

Bouffer du Guignol

Et puis il y a l’affaire des Guignols qui énerve les Espagnols. L’énième sortie de route des marionnettes de Canal Plus, avec leurs accusations répétitives de dopage à l’encontre des sportifs espagnols, n’a surement pas calmé les esprits. «Espérons qu’après samedi ils ne pourront plus faire de Guignols» a répondu embarrassé et avec humour le doux Andrés Iniesta face à l’insistance des journalistes Espagnols qui multiplient les questions sur le sujet depuis quelques jours.

Les espagnols se sentent persécutés par un pays jaloux et vindicatif qui siffle ses champions (Nadal à Roland Garros), les disqualifie dès qu’il peut (Contador) ou les accuse de dopage sur la simple base de leurs bonnes performances (les équipes nationales de foot et de basket). «Et pendant ce temps-là, les français…RIEN» ou «Je suis Espagnol, à quoi veux-tu que je te batte?» ont été les vidéos publicitaires ou virales qui ont fait office de réponse énervée.

Contrairement à l’indifférence (plutôt admirative) qu’éveille la Roja en France, les Espagnols ont beaucoup de comptes à régler. A commencer par faire mentir les statistiques et battre, une bonne fois pour toutes, ce «petit village de gaulois» qui résiste à l’hégémonie du tiki-taka. Au contraire, la France cherche à refaire le même coup qu’en 2006. A savoir: utiliser l’affrontement face à l’Espagne pour se redonner un second souffle et croire enfin en ses possibilités.

Aurélien Le Genissel

Edit - une erreur s'était glissée dans cet article: il y était écrit que la France avait perdu contre le Togo en 2006, or elle a gagné ce match.

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