France

Le fiasco médiatique du «procès des tournantes»

Au tribunal de grande instance de Paris. REUTERS/Philippe Wojazer
Au tribunal de grande instance de Paris. REUTERS/Philippe Wojazer

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur La plume d'Aliocha

L'opinion publique a-t-elle raison d'estimer le verdict du «procès des tournantes» dérisoire? Il fait suite à la plainte de deux jeunes femmes qui auraient été victimes de viols collectifs de la part de dizaine d'hommes entre 1999 et 2001 dans les cités de Fontenay-sous-Bois. Les deux femmes étaient mineures à l'époque des faits, ainsi qu'une partie des accusés.

Après des années d'instruction, dix des hommes ont finalement été acquittés, et quatre condamnés à des peines d'un an maximum, au grand dam des deux jeunes femmes et de leurs avocats, ainsi que des associations féministes. La ministre de la santé Marisol Touraine a parlé de son «malaise» quant au verdict, le premier secrétaire du Parti socialiste s'est dit «surpris», tandis que les médias ont évoqué un verdict «dérisoire» ou «clément».

Sur son blog La plume d'Aliocha, la blogueuse journalistico-juridique Aliocha fustige cette tendance médiatique à faire réagir des politiques sur un dossier dont ils ne savent rien. Parce que, comme elle le rappelle, le procès s'est déroulé à huis clos:

«Par conséquent, nul ne sait ce qui s'y est passé, sauf les intéressés et leurs conseils. Les avocats se livrent donc à leur jeu favori, plaider sur les marches du palais ce qu’ils ont perdu à l’audience. Convaincre l’opinion publique, faute d’avoir convaincu la cour. Sauf que ce n’est pas l’opinion publique qui juge. Elle n’a que le pouvoir de lyncher. Ils tentent donc de sauver leurs clients du lynchage. C’est de la com’, rien de plus. Les politiques répondent ce qu’ils pensent que les journalistes veulent entendre. Les associations s’indignent. Encore de la com’.»

Elle rappelle également que ce n'est pas le problème de la justice si un verdict, comme l'estiment les associations féministes et les victimes, envoie un mauvais signal à la société: «La justice n’a pas à envoyer de signal à la collectivité, elle doit juger un dossier. Elle ne s’intéresse pas au général, mais observe le cas particulier. Et c’est heureux, parce que rien ne fait plus frissonner un avocat que l’homme condamné pour l’exemple, c’est-à-dire pour tout, sauf pour ce qu’il a fait».

Elle est particulièrement dure avec les médias, qui faillissent à leur devoir de remettre toutes ces communications (des accusés condamnés qui protestent, des victimes qui ne trouvent pas les sanctions assez lourdes, des associations qui s'en mêlent...) en perspective.

Sur son blog éponyme, l'avocat Maître Eolas tente quant à lui de répondre aux questions qu'on peut se poser en voyant le verdict. Il explique d'abord que trois semaines de débat pour un procès d'assises, c'est rare, et que ça dure habituellement deux à trois jours.

Il note également que dans les affaires de viol anciennes (les faits datent de 1999 à 2001, la plainte a été déposée en 2005), la charge de la preuve est écrasante: il faut rapporter la preuve d'un acte de pénétration sexuelle qui, six ans après, n'aura pas laissé de traces, ainsi que l'absence de consentement.  Au tribunal, les deux jeunes femmes étaient seules face à 14 accusés solidaires dans leur défense, et les questions des avocats de ceux-ci leur ont fait revivre les actes.

Une des jeunes femmes raconte ainsi à Libération:

«Leurs avocats me faisaient répéter les choses dix fois, vingt fois. Ils m’agressaient, me bombardaient de questions comme si c'était moi la coupable. C'était, non-stop: "Ça c’est passé quelle semaine, quel jour, à quel moment de la journée? Vous nous avez dit telle heure, est-ce que ce n’est pas plutôt telle heure?" [...] J’ai essayé de leur expliquer qu’on a pas la notion du temps exacte quand on se fait violer par dix personnes à la fois. J’ai fini par leur dire: si j’avais su, j’aurais pris un calepin, pour noter les heures de passage de chacun, et m’en souvenir treize ans après. Apparemment, c’est ça qu’il faut faire.»

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