Économie

Pourquoi on ne devrait pas parler de «l'homme qui a prédit la crise»

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Freakonometrics, Econoclaste

Marre d’entendre parler de «l’homme qui avait prédit la crise»? C’est en tout cas le sentiment d’Arthur Charpentier, professeur au département de mathématiques de l’université de Québec à Montréal (UQAM) sur Freakonometrics, un blog d’économétrie. Selon lui cette phrase, très souvent employée dans les médias depuis la crise des subprimes en 2007 aux Etats-Unis, est un cliché bourré d’erreurs et d’imprécisions.

Arthur Charpentier relève en fait trois approximations très «agaçantes». La première vient du terme «crise», utilisé à tort et à travers dans les journaux et qui veut en fait tout et rien dire. Si on veut comprendre de quoi on parle selon lui, il faut être précis, et dire plutôt «crise des subprimes», en référence à l’éclatement en juillet 2007 de la bulle immobilière sur les prêts hypothécaires à risques aux Etats-Unis, ou encore parler de la «crise de liquidité», qui s’est déclenchée en automne 2008 et qui a d’abord touché les secteurs bancaires:

«C’est quoi “la crise”? Surtout que quand on pose la question, la réponse  est toujours “allons, tu sais bien… la crise, quoi”. A la rigueur, “la crise financière”… mais laquelle? “allons, arrête de faire du mauvais esprit… la crise de la dette, tu sais…”. Mais de quoi on parle là?»

Deuxième imprécision: les médias préfèrent toujours le verbe «prédire» à «prévoir». Pourtant le premier relève de la foi et ne doit être employé que pour des pronostics qui relèvent de l’intuition ou d’un sentiment prémonitoire (ce sont les voyantes, ou les prophètes qui prédisent). Au contraire «prévoir», relève de la science: c’est un exercice qui repose sur des principes statistiques et des théorèmes mathématiques (on parle de prévisions météo et budgétaire).

Pour Alexandre Delaigue, professeur d’économie et co-auteur de l’ouvrage Nos phobies économiques, répondant à Arthur Charpentier sur Econoclaste, un blog destiné à la vulgarisation des sciences économiques, il est vraiment dommage que les médias ne parlent que de ceux qui «prédisent», et non de ceux des autres. Il explique que dans nos sociétés, il est pourtant essentiel d’avoir des experts capables de faire des prévisions de bonne qualité.

Pour cela, il faut qu’ils se soumettent à une discipline rigoureuse et respectent certaines règles: énoncer clairement de quel prochain événement on parle (on n’annonce pas «l’immobilier va monter à Paris», mais «tel indicateur statistique va augmenter entre telle et telle période» par exemple) et s’exprimer en probabilités (il est impossible de prévoir des événements à coup sûr), ce qui implique une certaine connaissance des mathématiques…

Enfin, si on reprend l’analyse d’Arthur Charpentier, il existe un troisième et dernier cliché: l’utilisation continuelle du terme «l’homme » dans la phrase «l’homme qui a prédit la crise», qui laisse entendre qu’une seule et unique personne a été capable d’annoncer le désastre. Or il remarque avec ironie que chaque journal a en fait «son» prophète: Paul Jorion pour Rue89 ou Nouriel Roubini pour le New York Times (et d’autres médias en France)...

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