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Les bactéries se mettent à la poésie

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur The Guardian, NewScientist

Pour les poètes comme pour beaucoup d'artistes, la véritable reconnaissance demande le passage à la postérité. The Guardian rapporte la solution originale qu'a choisie Christian Bök pour s'assurer qu'une de ses œuvres lui survive: aux coffres-forts, il a préféré les bactéries.

Pas la peine de rouvrir les manuels de biologie pour vérifier, les bactéries sont bien des microbes, ce qui implique qu'elles sont... microscopiques. Aucun support traditionnel de l'information ne peut donc y être introduit, aussi miniaturisé soit-il. Ce que Christian Bök compte utiliser, c'est le support dont les bactéries ont elles-mêmes l'usage: l'ADN.

L'ADN, support d'information

Comme il le confie dans une interview de NewScientist, l'idée ne lui est pas venue toute seule.

«J'ai lu un article scientifique décrivant comment les paroles de "It's a small world after all" avaient été traduites en une séquence de nucléotides, insérée dans une bactérie.»

Le code génétique ne comporte que quatre «lettres»: A, T, C et G. Chacune désigne en réalité une des quatre molécules chimiques, les nucléotides, qui composent l'ADN. Toute la difficulté réside donc dans la traduction du texte en un code n'utilisant que ces quatre lettres.

Christian Bök n'en est pas au premier challenge de ce type. Son dernier livre, Eunoia, est entièrement écrit avec des mots ne comportant qu'une voyelle.

Plus qu'un poème, deux poèmes

Comme si la difficulté de la tâche ne suffisait pas, il souhaite faire mieux que les précédents travaux d'encryptage génétique de données.

«Dans tous ces cas où des scientifiques ou des artistes ont implanté des messages dans de l'ADN, c'était des textes déjà existants. Premièrement, c'est un texte original que j'ai écrit. Mais il est aussi écrit de manière à ce que l'organisme où il est implanté [la bactérie] puisse en faire une protéine, qui serait elle-même un autre poème complètement différent.»

Lorsqu'une bactérie synthétise une protéine, elle «lit» son ADN, trois nucléotides par trois nucléotides. A chaque triplet, elle fait correspondre une molécule, qu'elle fixe à la précédente, ainsi de suite. La protéine est donc une chaîne de ces molécules, auxquelles nous faisons correspondre d'autres lettres, ce qui compose un nouveau code. Christian Bök veut que son texte, ainsi transformé, puisse en donner un nouveau qui ait du sens.

Son poème, intitulé The Xenotext, serait ainsi double.

«C'est un très court poème; c'est une affirmation très masculine de la création esthétique de la vie. L'organisme lit le poème, et écrit en réponse un poème très mélancolique, féminin, à propos de l'esthétique de la perte de vie. Ils sont en dialogue réciproque.»

Un support indestructible

Ecrit dans ces deux alphabets chimiques (nucléotides de l'ADN et molécules de la protéine), le Xenotext n'est pas plus sûr de son immortalité que tout autre texte. C'est une fois inséré dans les bactéries qu'il devient résistant au temps. Ces micro-organismes passent le plus clair de leur temps à se multiplier, multipliant par la même les exemplaires de l'oeuvre de manière exponentielle.

Et Christian Bök n'a pas choisi n'importe quel hôte pour son œuvre. La plus résistante des bactéries connues, Deinococcus radiodurans. Les microbiologistes la qualifient de «polyextrêmophile» car elle s'est montrée capable de résister aux UV, au vide, aux radiations ionisantes, à l'acide ainsi qu'à des températures extrêmes, au dessèchement, au froid et au manque de nourriture.

Si cette bactérie venait à être lâchée comme une bouteille à la mer, sûr que l'oeuvre survivrait à son créateur et peut-être même à l'humanité toute entière. Si ça n'était pas le cas, Christian Bök a déjà la certitude d'avoir fait parlé de lui de son vivant.

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