Les formes affolantes de Zaha Hadid

Les formes affolantes de Zaha Hadid

Fatma-Pia Hotait, Boris Bastide -

Elle a été la première femme à recevoir le prix Pritzker, c'était en 2004, et tout récomment la prestigieuse médaille d'or royale pour l'architecture. L'architecte anglo-irakienne Zaha Hadid s'est éteinte ce jeudi 31 mars d'une crise cardiaque à l'âge de 65 ans. Née à Badgdad, elle a ensuite étudié au Liban puis à Londres avant de s'imposer tardivement comme une des véritables stars de la discipline, multipliant les projets tous marqués de sa signature. Ce, sans craindre les controverses. Peu ont en tout cas réussi à affirmer une telle ambition, mariant avec grâce complexité des formes et fluidités des lignes. Retour en quinze projets sur la carrière d'une femme qui a toujours cherché le progrès, défendant une «architecture d’avant-garde transformant l’espace public en espace civique ».

En 1983, alors professeur d'architecture, Zaha Hadid remporte une compétition internationale pour dessiner un nouveau centre de loisirs à Hong Kong. Son projet, The Peak, porté par un dessin singulier, ne trouve pas les financements nécessaires à sa réalisation, mais il lui vaut d'être remarquée par ses pairs.

En 1990, elle remporte un nouveau concours d'envergure en Allemagne cette fois avec son projet Vitra Fire Station. Le bâtiment de béton, finalisé trois années plus tard, lui vaut une véritable reconnaissance internationale. C'est sa première réalisation à voir le jour. Le design s'inpire du déconstructivisme et du chaos contrôlé qui inspirait ses dessins. Déjà, on y trouvait son obsession de marier l'architecture à l'environnement qui l'entoure.

En 1994, son projet est choisi pour bâtir la Cardiff Bay Opera House, mais une controverse éclate, certains jugeants ses croquis trop sombres et incompréhensibles. Elle ne trouvera jamais les financements pour le lancer. «Ça a été une expérience vraiment très désagréable, déclarait-elle en 2015 au Huffington Post, mais ça m'a rendue plus forte. C'est une honte qu'il n'ait pas été construit, mais je ne peux pas tout avoir.»

Le Centre d'Art Contemporain Rosenthal à Cincinnati, sur la rive gauche de l'Ohio (États-Unis). Il s'agit du premier projet américain de l'architecte qui cite le Guggenheim comme une de ses inspirations. «Visionnaire, Frank Lloyd Wright a créé un chemin qui connecte l’extérieur au musée, et définit sa circulation, expliquait-elle à Numero. Le cheminement, sur une spirale à la verticale, permet réellement de voir les œuvres, de les contempler en trois dimensions et de les redécouvrir d’une manière différente. Avec lui, le musée devient ininterrompu, s’affirme comme le point de départ d’une balade.» Une ambition dont elle s'inspira en partie dans ses œuvres. Plus récemment, on lui doit le Maxxi à Rome.

Le Phaeno est un musée de vulgarisation scientifique situé à Wolfsbourg (Allemagne). Il a été construit entre 2000 et 2005 et a été diffusé pour la première fois sur Arte en 2006. On y retrouve le goût de Zaha Hadid pour malaxer les formes après une longue réflexion. 

«Les détails d’un projet sont absolument déterminants. Dans le bâtiment terminé, ils reflètent les fondements et la philosophie de sa conception. Les esquisses, dessins et peintures originaux de pierresvives ont joué un rôle très important dans le développement du projet. Ces dessins se sont transformés en projet lui-même: les lignes tracées sur papier sont devenues les volumes du bâtiment. Mes esquisses originales en deux dimensions peuvent prendre des années de recherche avant d’aboutir à un plan, mais pour moi c’est la partie la plus excitante car elle transparaît toujours dans les détails d’un projet», déclarait-elle à Herault.fr.

C'est dans le sud de la France que Zaha Hadid conçoit puis bâtit de 2002 à 2012 le bâtiment Pierrevives. 

«La composition est absolument unique: elle obéit à un plan d’organisation spatiale en 3D, qui articule des éléments complexes tout en facilitant la compréhension et l’orientation des usagers dans le bâtiment. […] Nous avons utilisé les toutes dernières technologies de construction en béton. Nos bâtiments les plus novateurs comme celui de pierresvives encouragent le développement de nouvelles techniques de construction, et ces avancées nous poussent à notre tour à concevoir des structures architecturales encore plus ambitieuses, aboutissant à des bâtiments fantastiques tels que celui-ci», s'enthousiasmait-elle dans une interview accordée à Herault.fr.

L’Opéra de Canton, dans la province du Guangdong, en Chine, a été inauguré en mai 2010. En avril 2002, un concours international a été organisé pour la construction de ce projet. La folie de construction de la Chine rappelle alors celle que Zaha Hadid avait connu plus jeune, comme elle l'expliquait en 2012

«Comme dans tant d’autres pays en développement à l’époque, il régnait en Irak une foi inébranlable dans le progrès et un optimisme débordant. J’ai grandi dans les années 1960, au moment où beaucoup de républiques nouvellement créées dans le monde entier travaillaient dur à la construction de leurs nouvelles nations; on accordait donc beaucoup d’importance à l’architecture.» 

Le centre culturel Heydar Aliev de Bakou, en Azerbaïdjan. Il a été inauguré en 2012. Le centre comprend une espace pour les congrès, un musée, une bibliothèque et un parc avec une superficie de 9 hectares. Le projet est symbolique de la conversion de plus en plus marquée de l'architectecte pour un dessin de plus en plus fluide. Dans sa nécrologie, le Guardian la surnomme ainsi «la reine des courbes».

En plus de son travail d'architecte, Zaha Hadid a aussi exposé comme artiste. L'exposition «Form in Motion» lui permit ainsi de présenter son travail de designer autour d'une variété de matériaux et de formes. Lumières, bijoux, chaussures… Zaha Hadid aimait croiser ce qu'elle avait appris en architecture avec d'autres disciplines. Elle s'est notamment intéressée de près à la mode. «On y retrouve la même manière de penser le corps par rapport à un espace», estimait-elle.

Installée à Londres depuis la fin des années 1970, Zaha Hadid réalise le centre aquatique qui accueille les Jeux olympiques à l'été 2012. «Bien sûr, l'idée de la vague était une évidence, confiait-elle alors au Huffington Post. Ensuite, il a fallu nous intéresser à comment l'intégrer au paysage et la traduire en terme d'architecture.» Le bâtiment était un des symboles forts de ses olympiades.

Zaha Hadid a réalisé plusieurs projets d'envergure à Pékin, dont les tours Soho. Avant cela, elle est l'auteur d'un vaste complexe commercial et de divertissement de plus de 330.000 mètres carrés. Celle qui a toujours eu foi en une architecture destinée à accompagner le progrès technologique et à marquer les esprits multiplie alors les projets sans rien renier de ses ambitions. Bien au contraire. Là encore, les lignes courbes impressionnent par leur fluidité.

C'est dans le très traditionnel campus d'Oxford que Zaha Hadid a bâti son Middle East Centre résolumment tourné vers la modernité. Une manière une fois encore de concevoir l'architecture comme une matière en mouvement qui doit résolument regarder vers le futur et non vers le passé. «Pour moi, ce n'est pas qu'une simple expression de moi-même, disait-elle. L'architecture doit contribuer au progrès de la société et au bien être de chacun comme de la collectivité.»

Le Dongdaemun Design Plaza à Séoul, en Corée du Sud, a été inauguré en 2014. Là encore, il présente une apparence néofuturiste très ambitieuse avec un toit végétalisé sur lequel on peut se promener. C'est à la fois un temple du design, un centre de congrès et un pôle de divertissement. Il a été présenté comme le plus gros édifice asymétrique du genre au monde.

Le projet n'est pas encore finalisé. Zaha Hadid avait commencé à bâtir le plus long pont asymétrique au monde. Le design aux lignes fluides est frappant de sobriété avec très peu de pieds pour le porter ou de tour. Là encore, une manière de s'insérer au mieux dans le paysage. 

«Nous possédons un répertoire de projets très divers, chacun d’entre eux répondant à un cahier des charges et s’inscrivant dans un contexte de façon unique, mais certains principes s’appliquent systématiquement, indiquait-elle à Herault.fr. Un de ces principes consiste à toujours effectuer des études et des recherches préalables sur le paysage, la topographie et la circulation du site. Nous dessinons ensuite des lignes de connexions visuelles avec l’environnement local et des lignes de mouvement qui ressortent des recherches pour les intégrer au site et guider la conception des plans. Cela permet d’inscrire l’architecture dans le paysage qui l’entoure: ainsi, chaque projet établit une relation forte avec le contexte et l’environnement qui lui sont propres.»

C'est un de ses derniers projets et un des plus controversés. Zaha Hadid avait été choisie pour bâtir l'Al-Wakrah Stadium, un des cinq stades qui accueillera la coupe du monde de football FIFA 2022 au Qatar. La toiture ondulée est inspirée de la voile trapézoïdale du boutre nommé aussi dhow, voilier traditionnel arabe. À la polémique qui a suivi les nombreuses morts d'ouvriers sur le chantier, Zaha Hadid a répondu que le problème n'était pas de sa responsabilité mais de celle du gouvernement. Au Moyen-Orient, Zaha Hadid était également commissionnée pour construire le parlement irakien bien qu'elle ait perdu le concours initial de désignation. Ses œuvres s'achèveront désormais à titre posthume.

Fatma-Pia Hotait

Fatma-Pia Hotait

Journaliste

Boris Bastide

Boris Bastide

Éditeur à Slate.fr

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