Survivre au virus Ebola
Santé / Monde

Survivre au virus Ebola

Marie Salomé Peyronnel -

Depuis 2011, la photographe française Livia Saavedra collabore avec l’association Waha Internationale, montée par un ancien membre de MSF pour améliorer la santé des mères en Afrique. Elle part sur le terrain pour leur rapporter des images sur lesquelles ils peuvent ensuite communiquer. Son reportage réalisé en Ethiopie en 2011 sur les victimes de fistules obstétricales avait notamment été exposé au Ministère du droits des femmes de Najat Vallaud-Belkacem en juin 2013. En octobre 2014, elle a rejoint l’équipe de l’ONG en Guinée pour témoigner de l’impact d’Ebola. De ces 14 jours sur place (dans des conditions de sécurité optimales) elle a rapporté des portraits des rescapés de cette fulgurante épidémie.

«Ces photos ont été prises à Coyah, à 50 km de Conakry. J’aurais aimé aller en Guinée forestière à 1000 bornes de là où j’étais mais on m’a interdit de m’y aventurer. Si j’ai réussi à faire ces portraits, c’est grâce aux membres de l’ONG Waha internationale, qui travaillent sur place. Antoine, la personne qui me chaperonnait a passé 6 mois à décontaminer les maisons et s'occuper de l'enterrement des corps avec la Croix Rouge. Cela nous donnait une légitimité qui déliait la parole des survivants.»

«J’ai choisi de les photographier ces rescapés d’Ebola devant leurs maisons parce que la maison symbolise la stigmatisation des malades. Une fois contaminés, ils restent chez eux et plus personne ne vient les voir. Même guéris, on continue à les éviter et à les voir d’un mauvais œil. Ici, Bengali Souma a 27 ans et pose avec ses petits frère et sœur.»

«Je ne peux pas dire pourquoi les gens ont accepté de poser mais je pense qu’ils ont besoin d’une certaine reconnaissance.»

«Je dirige très peu les gens. Je les fais juste poser à l’ombre pour obtenir une plus belle lumière et qu’ils puissent ouvrir les yeux. Pour cette photo, on a choisi un endroit un peu à l’écart des adultes. Les enfants sont incroyablement résignés, accablés. Parfois ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.»

«Sur cette photo, Dgenebou Soumah, 20 ans, est devant une petite bicoque où vivent les animaux. On avait fait d’autres photos plus figées, mais ce qui m’a plu sur celle ci c’est son sourire, tellement exceptionnel, qui reflète selon moi sa fierté de poser, d’être considérée.»

 

«M’Balia Sylla pose avec son beau père qui l’a toujours soutenue malgré sa contamination. Je trouvais leur lien très beau et son énergie étonnante. J’ai choisi un décor très épuré pour qu’on ne voit plus qu’une chose: les gestes et attentions de ces deux personnes qui débordent d’affection. Les contacts physiques sont rares en ce moment en Guinée: plus personne ne se fait la bise, on fait l’"Ebola check" -c’est à dire qu’on se donne un coup de coude- et on passe son temps à se laver les mains. Des mouvements aussi spontanés et libres, je n’en ai pas vu beaucoup.»

«Il a souvent été dur de convaincre ces personnes déjà ostracisées de leurs communautés de poser devant mon appareil. Je ne faisais donc jamais durer la prise de vue. En général, la séance prenait juste 5 minutes par personne.»

«J’ai voulu immortalisé la force de la position de Kante. Elle vient d’une famille Wahhabite et pour la prendre en photo on a du venir plusieurs fois et demander la permission à son tuteur et son frère. Ils avaient à cœur que sa maladie se sache le moins possible pour que son avenir ne soit pas trop compromis. Pendant le shooting, je sentais aussi qu’elle avait besoin de parler.»

«Nyanbalamou Gabou, 24 ans, est un étudiant en médecine. Comme il a fait de la prévention médicale auprès de ses voisins avant de tomber malade, il a pu être réintégré à sa communauté après avoir guéri. Il est moins isolé que les autres rescapés, c’est pourquoi j’ai pu le photographier entouré.»

«Je vois un homme très croyant qui remercie Dieu de l’avoir sauvé. Cette gratitude le pousse à être sur tous les fronts: il répond à des interviews, intervient à la radio… L’information sur Ebola est devenue son cheval de bataille parce que les gens sont persuadés que s’ils vont au centre de traitement d’Ebola, on va leur faire une piqure pour les tuer. J’ai gardé cette photo dans la série pour l’allégresse qu’il dégage.»

«Fanta Camara a 25 ans. Elle a perdu son poste d’enseignante à cause de sa maladie et elle est donc devenue «sensibilisatrice» au centre de traitement d’Ebola qui a été installé par Médecins sans frontière au cœur de l’hopital de Donka. Je l’ai fait poser sur son lieu de travail pour le symbole de cet hôpital déserté. Les gens n’y vont plus de peur de tomber malade. C’est d’autant plus frappant que d’habitude un hôpital africain est une vraie ville en soi, il a du monde, des marchands, de l’animation.»

«Quand je fais les photos, j’essaye d’être assez froide et de me dire qu’il y a un travail à faire mais ces rencontres bouleversent forcément. Le soir, je faisais des longueurs dans la piscine de mon hôtel pour tenter de me vider la tête. Impossible d’oublier l’atroce réalité… Qui est qu’en Europe on ne rencontre jamais de gens dont on se dira que, quoiqu’ils fassent, ils sont condamnés. Ces rescapés ont beau ne pas être morts, ils n’ont plus aucun avenir. Il va falloir du temps avant que les mentalités changent et qu’ils soient moins mis à l’écart de leurs communautés.» 

Marie Salomé Peyronnel

Marie Salomé Peyronnel

Marie Salomé Peyronnel est journaliste freelance pour Glamour, Stylist, Technikart et Vanity Fair.fr. Auteure du Livre qui console (Flammarion) illustré par Joann Sfar.

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