«Dark Lens»: Dark Vador en banlieue
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«Dark Lens»: Dark Vador en banlieue

Dans son précédent travail, «Nous resterons sur terre», le photographe Cédrix Delsaux avait parcouru des lieux vides, et dit qu’il avait eu le sentiment de vivre dans un monde «au bord du fantastique». Il a voulu interpréter ce sentiment au pied de la lettre et plonger effectivement dans le fantastique. Il a alors réalisé Dark Lens: un travail photographique entre Paris, Lille et Dubai, où il intègre à des lieux réels des personnages de la saga Star Wars. «L’aura hollywoodienne des personnages permettait de réenvisager les lieux, rendaient à ces endroits délaissés, banals, une certaine présence, une puissance poétique», explique-t-il à Slate. Une partie de ce travail est exposée à la Maison Européenne de la photographie.

«Jabba le Hutt est un personnage emblématique de «Star Wars» que j’avais envie d’utiliser. Je veux tenter par des images fausses de donner l’illusion du réel, j’ai donc chaque fois cherché une fiction possible, une interaction envisageable entre le personnage et le lieu. Là, c’est un lieu pommé, moisi, verdâtre, dans le 95, avec cette grosse limace verte: quelque chose fonctionnait assez bien. Les lieux deviennent comme des décors de cinéma, hollywoodiens. Et ces personnages de science-fiction deviennent presque banals.»

Delsaux explique: «Pour certaines photos j’allais sur place et je posais mes objets, produits dérivés etc. Pour d’autres je prenais simplement les lieux en photo et ensuite j’intégrais les personnages au montage. Pour le sabre laser, il a suffi de le poser dans l’herbe; l’imagination fait le reste. C’est vraiment au spectateur de s’inventer la scène. On pourrait penser que des super-héros se cachent dans cette banlieue du 77.»

«Je fais des constructions mentales en amont, je réfléchis et ensuite je trouve le lieu, j’attends qu’il corresponde à mon image. Là par exemple c’est un parking que je connaissais, j’ai attendu qu’il neige, pour pouvoir incruster mes bestiaux.»

«Ce lieu de Noisy-le-Grand est connu désormais. Terry Gilliam s’en sert dans «Brazil». C’est dur de ne pas penser à la station spatiale de l’étoile noire dans «Star Wars». C’est un lieu d’une prétention toute stalinienne avec des fantasmes d’architecte que la réalité vient crever. C’est un lieu assez insalubre, assez peu agréable. Mais je ne voulais pas le critiquer d’une manière ou d’une autre, simplement montrer qu’il relève de la science fiction. Que le réel cherche à ressembler à la science-fiction.»

«Cet affrontement presque direct entre le lieu et les personnages, comme ici, c’est une manière aussi de montrer comment, lorsqu'on va faire ses courses au BHV, on passe à côté du fantastique. C’est simplement le parking en hauteur d’un supermarché, mais on voyage dans l’au-delà, dans un lointain ailleurs.»

«Au fur et à mesure du projet, j’ai eu envie que les personnages soient plus lointains, qu’ils se fondent davantage dans les lieux choisis. Il y a même des images où l’on doit aller les chercher, on ne les trouve pas tout de suite.»

«Pendant le repérage, j’ai vu ce lieu à Lille qui m’intéressait. Je me suis dit que je reviendrais à la tombée de la nuit et que je mettrais simplement un vaisseau. Mais en arrivant je vois cette lumière de fenêtre laissée allumée, que je n’avais pas prévue. Je cours pour prendre ma photo, je recadre vite fait, je fais une image et hop, la lumière s’éteint. J’adore cet imprévu, cette dépendance au réel.»
 

«Là nous sommes à Dubaï. C’est une ville qui est presque de la fiction en soi, avec tous ses superlatifs, elle cherche davantage à ressembler aux films de science fiction qu’à une ville réelle. C’était le cœur de mon sujet.»

«Pour cette photographie, comme pour d’autres, j’ai fait appel à un retoucheur 3D on a modélisé les personnages. J'avais un assistant avec moi que j'avais pris en photo près des voitures pour voir les poses, les jeux d'ombres. Sur d’autres images ce sont des personnes réelles costumées.»

«C’est là une sorte de cimetière de voitures. Elles avaient été commandées par Saddam Hussein juste avant l’intervention des Etats-Unis. Tout passe par Dubaï pour le Moyen-Orient, mais ces voitures sont restées là par milliers, Saddam n’a jamais pu les récupérer. A force d’aller dans le désert, voir les casses, j’ai aperçu ça au loin, c’était un décor fabuleux.»

«J’étais à Dubaï en 2009, c'était alors un lieu de constructions permanentes, avec partout des chantiers, comme celui que l'on voit sur la photo. Depuis il y a eu la crise et 80% des chantiers ont fait faillite… Celui-là a été recouvert d’une chape de béton. Du coup de ce chantier il ne reste rien, que le vaisseau, qui devient plus réel que le réel disparu.»

Une partie de la série de photos de Cédric Delsaux est exposée à la MEP jusqu’au 4 novembre, dans le cadre de distURBANces, série d’expositions thématiques organisées dans plusieurs capitales européennes, dans le cadre du Mois Européen de la Photographie. L'ensemble de son travail est publié dans un livre intitulé Dark Lens (Editions Xavier Barral).

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