Un témoignage exceptionnel des derniers moments des samouraïs
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Un témoignage exceptionnel des derniers moments des samouraïs

Fanny Arlandis -

Depuis plus de vingt-cinq ans, Danielle Dangoor collectionne les photographies de samouraïs. Les images que l'on connaît généralement d'eux ont toutes été réalisées en studio par des acteurs, bien des années après l'abolition du système samouraï, en 1877. «Il n’existe que très peu de vraies images de samouraïs, confirme Danielle Dangoor. Prendre des photos d'eux pouvait être une entreprise risquée. […] Les photographies de cette collection sont un témoignage exceptionnel de leurs derniers moments.» Ses photographies sont exposées au London Photograph Fair

«Ces photographies proviennent principalement de France et du Royaume-Uni. La première véritable photo de samouraï que j'ai achetée, il y a vingt-cinq ans, était L'escorte samouraï du consul néerlandais lors d'une excursion au Mont Fuji, en 1866, par le photographe Felice Beato. J'adore la présence menaçante de tant de guerriers armés lors d'un voyage touristique. Les étrangers étaient détestés et avaient besoin de protection lorsqu'ils voyageaient en dehors des zones des traités Ansei. Cette photo montre un exemple de luxueux palanquin, appelé norimono, utilisé par les nobles et les guerriers.»

«Il n’existe que très peu de vraies images de samouraïs. Prendre des photos d'eux pouvait être une entreprise risquée. Beato, par exemple, a échappé de justesse à une rencontre fatale avec des samouraïs étrangers. La tension est particulièrement palpable dans certaines des images. Beato a notamment réussi à photographier subrepticement des bâtiments malgré l'opposition de sa garde, alors que les samouraïs se regroupaient fortuitement au milieu de la scène –ce qui ajoutait encore à l'ambiance menaçante.»

«La deuxième photo de samouraï que j'ai achetée, il y a une vingtaine d'années à Paris Photo, est le Portrait de Samouraï non identifié en armure par Suzuki Shin’ichi I. C’est un portrait sensible, photographié quand le système samouraï était sur le point de disparaître. Cette image reflète la fin d'une époque, la tristesse, la perte et un futur incertain. Malgré l'édit Dampatsurei de 1871 encourageant –mais n’imposant pas– l'abandon par les samouraïs de leur houppe et de leurs épées, les individus arboraient toujours un style traditionnel, deux épées et une armure complète. En 1876, il est devenu interdit de porter des épées en public, sauf pour les membres des nouvelles forces armées et pour la police. Au moment où ce portrait a été pris, au milieu des années 1870, le service militaire obligatoire avait été réintroduit pour tous les hommes, indépendamment de leur classe. Le samouraï était devenu un anachronisme.»

«Ce portrait a été pris au début des années 1870 par le photographe de Yokohama Shimooka Renjō –lui-même né dans une famille de samouraï de bas rang. Il illustre le sort de nombreux samouraïs au moment où le nouveau gouvernement les a privés de leur statut et de leurs privilèges. Certains ont ensuite dû adopter des professions qu’ils avaient appris à mépriser, d'autres ont mené une existence vagabonde en marge de la société, offrant leurs sabres à louer.»

«Pendant une période, je ne faisais qu'acheter des images individuelles qui m'attiraient. C'est seulement depuis une douzaine d'années que j'ai commencé à les collectionner, lentement, car ces images devenaient de plus en plus rares. C'est l’envie de posséder le portrait saisissant du colonel de Berckheim par Nadar en mai 1864 qui m'a décidé à essayer de former une collection. Il m'a fallu quelques années pour acquérir cette image. Elle montre une mission shogunale dirigée par Ikeda Nagaoki en France. Après avoir été reçu au Palais des Tuileries par l'empereur Napoléon III, Ikeda et son entourage ont visité le studio de Nadar, où leurs portraits ont été pris dans diverses tenues. Sur cette rare photographie de la séance, l'adjoint Kawazu Sukekuni (1821-1868), assis, et le metsuke de la mission, Kawada Hiromu (1835-1900), debout, posent avec leur escorte officielle à Paris, le colonel Sigismond Guillaume de Berckheim (1819-1892), commandant de l'artillerie à cheval de la Garde impériale française.»

«Sur cette photo, un groupe de samouraïs discute autour d'une carte. Ceux de rangs inférieurs portent des tuniques de style occidental, sont debout et légèrement à l'écart pendant qu'ils regardent les délibérations. Un serviteur s'accroupit, apparemment prêt à prendre les instructions. Tous les yeux sont dirigés vers la carte, à l'exception de ceux du personnage central, le plus ancien, dont la tête est relevée pour rencontrer le regard intrusif du spectateur. Le titre apparemment inoffensif de Beato, Southern Officers, identifie les samaouraïs comme membres de l'un des clans de Satsuma, qui s'opposent activement au shogunat. Le spectateur a la sensation de surprendre un conseil de guerre en train de se dérouler.»

«Pourquoi les samouraïs? Le Japon a été fermé au monde extérieur pendant 250 ans; il s'agissait d'une société féodale introspective, avec des castes et des rituels rigides. L'expédition navale de l'amiral Perry, en 1853-1854, l'a forcé à s'ouvrir. Les puissances occidentales, leur influence laissée par le commerce, l'ouverture de certains ports dans le cadre des “traités inégaux”, mais aussi la science, l'industrie et l'innovation firent leur apparition. Les changements furent extraordinaires. En à peine vingt ans, la société a convulsé, des clans opposés se sont battus, des samouraïs se sont rebellés, tout en laissant place à une implacable modernisation. Peu d'images montrent ces bouleversements, seules certaines suggèrent des changements. Voici une photo du demi-frère du dernier shogun et seigneur du domaine Mito, Tokugawa Akitake, envoyé en France en 1867 en tant qu'émissaire spécial accompagnant la délégation japonaise à l'Exposition universelle de Paris. Il est revenu au Japon quand le shogun a été destitué, en 1868.»

«En tant que commandant des forces shogunales postées à proximité de Kanagawa, Kubota Sentarô avait un accès fréquent aux installations étrangères à Yokohama. Il était largement respecté –du moins par les résidents britanniques– pour son ouverture aux idées occidentales, en particulier pour les questions militaires. Il a même demandé des conseils sur la façon d’entraîner ses samouraïs. Sa préférence pour les modèles britanniques, à une époque où le shogunat employait des militaires français comme conseillers, a probablement mené à son retrait du commandement de Kanagawa, en 1867. Les photographies sont imprimées sur du papier albuminé –enduit avec du blanc d'œuf– à partir de négatifs en verre. Certaines étaient colorées à la main par des artistes japonais, qui utilisaient une forme d'aquarelle. Cette innovation a été lancée par Beato et copiée par la suite par tous les autres photographes. Le détail est extraordinaire, car la taille de l'image correspond à la taille du négatif –les agrandissements sont une innovation du milieu des années 1890.»

«Cette jeune femme apparaît ailleurs dans le portfolio du photographe Stillfried, dans une série de photographies de membres du «Gekken-kai», une association d'escrime fondée en 1873 par le maître de kendō Sakakibara Kenkichi (1830-1894). Ce groupe a repensé les arts du combat samouraï traditionnel en spectacle grand public rentable. Certains des disciples de Sakakibara étaient des femmes.»

«On ne sait que ce peu de choses sur cette image saisissante de commandant samouraï, mais les cornes et le croissant de lune sur son casque suggèrent qu'il s'agit d'un samouraï de rang supérieur. La plupart des photographies censées montrer des samouraïs, et souvent utilisées comme illustrations dans des livres et des magazines, n’en sont pas du tout. Elles ont été prise bien après 1877, lorsque la classe samouraï était déjà abolie, dans les studios commerciaux. Des acteurs ou des assistants d'atelier s’habillaient avec des vêtements et des armures samouraïs, au profit du commerce touristique. Les photographies de cette collection sont d’autant plus un témoignage exceptionnel des derniers moments des samouraïs.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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