Joue-la comme Saint-Ouen-sur-Seine
Sports / Culture

Joue-la comme Saint-Ouen-sur-Seine

Fanny Arlandis -

En résidence pendant un an, Meyer et Denis Bourges du collectif Tendance Floue ont exploré la pratique footballistique des habitants de Saint-Ouen. «Le point de départ a été l'envie de dresser un portrait d'une ville qui vibre sous l'intensité du football, de sa diversité et de sa richesse», racontent les deux photographes. L'ensemble de leur travail, intitulé «Joue-la comme Saint-Ouen-Sur-Seine», a été publié sous forme de livre aux éditions LOCO.

 

«Fin 2018, la ville de Saint-Ouen, à l’initiative de la DRAC Île-de-France dans le cadre du programme «Culture, Citoyenneté, Vivre Ensemble», a lancé un appel à projets pour une résidence de création d'un an autour de la thématique du football à Saint-Ouen, comprenant la conception d'un livre ainsi qu'un programme d'actions culturelles. Le projet nous a tout de suite plu par la richesse du thème, sa dimension sociale et culturelle, et le mode de restitution proposé [le livre est un des supports de prédilection du collectif Tendance Floue, ndlr]. La durée de la résidence aussi était assez exceptionnelle et permettait un travail en profondeur. Nous avons répondu à l'appel à projets en proposant le trio d'auteurs: les photographes Denis Bourges et Meyer, membres de Tendance Floue, et le journaliste Rémy Fière, rédacteur en chef adjoint à L'Équipe. Denis Bourges a pris cette photo dans l'Olympic, le bar historique des supporters du Red Star, qui se situe en face du stade Bauer. Il vit depuis plus d'un siècle au rythme du club, comme en témoigne sa déco. Au mur et au-dessus du comptoir, des maillots des différentes époques du Red Star, des photos de joueurs, des autocollants d'association de supporters…Ici, deux jeunes joueurs U17 du Red Star font une pause babyfoot après leur entraînement.»

«Saint-Ouen, comme beaucoup de villes de banlieue, et en particulier dans le 93, est très attachée à la pratique du football qui est le tissu d'activité sociale le plus répandu dans la culture populaire. La présence historique du Red Star renforce la puissance de ce lien culturel dans l'espace de la ville. Avant de commencer ce projet, nous avions en tête le très beau travail du photographe Claude Dityvon sur le Red Star, au début des années 1990, une référence. Ce projet nous a demandé un an de travail. En février 2019, nous avons débuté une phase de préparation assez longue recherches, documentation, repérages dans la ville, rencontres avec les acteurs du football à Saint-Ouen, etc., et la résidence s'est ensuite étalée sur six mois environ, au printemps et à l'été.»

«Dans le même temps, nous avons mené des ateliers photos et écriture au sein de l'école Langevin à Saint-Ouen. Enfin, à l'automne 2019, nous avons commencé le travail de conception du livre, en collaboration avec les éditions LOCO. Tout au long des différentes phases de travail, nous avons été accompagnés par le service archives et valorisation du patrimoine de la ville de Saint-Ouen, porteur du projet. Ce portrait d'une jeune joueuse U17 du Red Star a été réalisé grâce à un photomontage composé d'un portrait et d'un paysage de la ville. Il s'agit ici de souligner la présence des femmes par une vision positive et énergique.»

«Nous n'avions pas d'idée précise avant de commencer ce travail, nous souhaitions au contraire rester très ouverts à ce que nous allions découvrir sur le terrain. J'ai fait cette image à l'été 2019, pendant la “CAN des quartiers”, opération nationale concomitante à la véritable compétition, la Coupe d'Afrique des nations, qui se déroulait au même moment en Égypte. Il faisait très chaud ce soir-là, c'était un soir de canicule sur l'Île-des-Vannes, au stade du club Usma. La première rencontre opposait l'Algérie au “reste du monde”, amusante appellation qui englobe un doux mix de nationalités. À chaque but de l'Algérie, des supporters se ruaient sur le terrain pour le fêter. Cela durait quelques minutes puis chacun retournait se positionner derrière les lignes blanches.»

«L'idée de ce travail était aussi de répondre d'un point de vue formel à cette diversité en explorant un large spectre de styles photographiques et textuels. Ensuite, le projet s'est structuré au fil de la résidence, et le livre s'est construit autour de quatre grands chapitres: les lieux du foot à Saint-Ouen, les joueurs, la gestuelle, et le ballon. Le travail de collaboration, avec Rémy Fière qui a enquêté avec de très beaux textes sensibles et justes, et la vivacité de la maquette conçue par Justine Fournier, a été déterminant. Dans l'enceinte du mythique stade Bauer, j'avais demandé à Rachid Oudjoudi, le gardien des lieux, de me montrer son endroit préféré. Il m'a emmené à la tribune Nord, sur la passerelle. De cet endroit, on peut apercevoir Montmartre au loin.»

«Pour moi, raconte Denis Bourges, il était important de développer une variété de séries et d'approches photographiques. Je me suis donc concentré sur les jeunes joueuses et joueurs de la série U17 du Red Star en les suivant en reportage lors des entraînements et des matchs, en focalisant sur la gestuelle, le travail d'équipe et la concentration. Cette image prise dans les vestiaires du stade Bauer montre des jeunes U17 qui viennent de gagner leur match. J'ai trouvé cette effusion de joie vraiment forte.»

«J'ai également réalisé une série de portraits très serrés sur leurs visages lors des mi-temps des matchs dans les vestiaires du stade Bauer, principe que j'ai repris pour des portraits de supporters dans les gradins. Ils soulignent un moment suspendu dans le temps. Les sportifs s'abandonnent après l’effort qu'ils ont fourni sur le terrain, écoutent les conseils de leur entraîneur, se concentrent… J'ai tenté de capter les émotions sur leurs visages, je souhaitais travailler sur ce qui se jouait au niveau mental et psychique chez un joueur. Enfin, je me suis intéressé à leurs vies en dehors du club, chez eux ou entre copains et j'ai aussi réalisé une série de portraits de quelques figures du football à Saint-Ouen; un supporter historique du Red Star, un bénévole d'association sportive, un dirigeant de club, un gardien du stade Bauer… Pour chacun d'eux, j'ai réalisé un portrait posé ainsi qu'une photo de leur endroit préféré à Saint-Ouen.»

«En premier lieu, le livre s'adresse aux protagonistes, c'est-à-dire à celles et ceux qui font vivre le foot à Saint-Ouen, il s'agit de valoriser et de faire exister un football de la rue, du silence du vestiaire d'un club. Une pratique populaire a contrario du football à paillettes du star system. En fait, le livre s'adresse à toutes celles et ceux qui aiment le foot comme une culture de proximité, une intimité sociale. Sur cette image, il s'agit d'un terrain de proximité, et ce sujet est de grande importance dans l'ouvrage, car ces espaces sont le théâtre d'une pratique du football permanent, le petit terrain est toujours occupé, les équipes se forment au gré des arrivées et départs, sans enjeu, ni rivalité, le plaisir du sport à l'état pur.»

«L'idée était d'embrasser la variété de pratiques du football dans le terrain de la ville, pour dresser un portrait riche et varié du Saint-Ouen au cœur du foot, poursuit Meyer. Après un travail de recherche, nous nous sommes dirigés vers tous les lieux et espaces où le football vibrait, les clubs, les tournois de quartiers, l'école, la rue… Pour ma part, j'ai proposé, face à cette variété, toutes les pratiques différentes de photographie que j'utilise, comme pour épouser la richesse du sujet. J’ai donc opté pour du reportage classique en noir et blanc, mais aussi pour deux types de photomontages, des portraits en surimpression et des scènes de jeu recomposées. Sur ce photomontage, je compile par exemple plusieurs présents dans une même image. C'est ce qui donne à cette scène de football son aspect étrange, curieux, à la limite du comique. À travers cette image, je souhaitais souligner l'importance de l'émergence du football féminin.»

«Par cet autre photomontage, je voulais évoquer la diversité qui entoure le tournoi de quartier. En plein été, à la tombée de la nuit, on observe le ballet de va-et-vient sur le bord du terrain, les ados qui s'excitent, la chicha, les vélos, les parents qui accompagnent les plus petits, les filles qui s'approchent de la ligne de touche, le paysage de la banlieue industrielle. C'est tout l'importance des à-côtés qui se donne à voir. Ici, le football participe à la construction de l'identité culturelle et sociale de la ville et de ses habitants.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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