Tout in haut deu'ch terril
France

Tout in haut deu'ch terril

Fanny Arlandis -

«Quand on rentrait de vacances, la vue des terrils était mon repère. Ça voulait dire que la maison était proche», raconte le photographe Charles Delcourt. Quelques années plus tard, une formation d'architecte et une longue expérience à l'étranger derrière lui, il décide de faire de la photographie et se lance dans un travail de six ans à travers le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

 

«Les terrils étaient juste un prétexte pour voir comment la vie s'organise. Et puis ce travail a été comme un tiroir, je rencontrais une personne qui m'en présentait une autre et ainsi de suite, ça ne s'arrêtait pas», explique le photographe. «On ne sait pas exactement ce qu’on va photographier quand on se met en route. Mais c'est quand la photographie nous échappe qu'elle est la meilleure.» Son travail sera exposé au festival Manifesto à Toulouse en septembre et un livre sera également publié chez Light Motiv à la fin de l'année.

Harnes«C'est une de mes premières photographies. A peine arrivé en haut du terril, j'ai eu ma première expérience de "guide spontané" –et il y en a eu ensuite presque à chaque fois. Cet homme est venu me parler pour m'expliquer des choses sur la région.»

Roger, Harnes | «Les habitants du Nord-Pas-de-Calais sont très sociables. Ils venaient à chaque fois savoir ce que je faisais là, poser des questions sur mon appareil, un vieil Hasselblad [un appareil photographique argentique, NDLR], m'expliquer des choses sur la région ou m'inviter à prendre un café. C'est comme ça que je me suis retrouvé après la première photo chez Roger, où j'ai fait cette seconde image.»

Oignies«Quand j'ai vu ces deux personnes, je me suis approché doucement et leur ai demandé de ne pas bouger. Je suis monté sur la barrière et j'ai fait une image. Il ne m'en restait qu'une seule avant la fin de ma pellicule (douze poses). A ce moment-là, le chien est arrivé et s'est posé tout seul, exactement à la bonne place. L'homme sur cette photo est très connu à Oignies et dans les villages alentours. C'était un chef d'équipe respecté dans les mines. Oignies est d'ailleurs la dernière mine qui a fermé, en 1990.»

Bruay«J'aime cette photographie car il s'agit d'une sorte de typologie de l'habitat. L'utilisation de la brique pour les murs de cette maison chic est assez représentative de l'habitat classique de la région.»

Haillicourt | «J'ai fait cette image à la fête foraine d'Haillicourt. Je l'avais un peu laissée de côté mais plusieurs personnes, dont mon éditeur, m'ont conseillé de la mettre dans le livre. C'est important de montrer la jeunesse aussi.»

Loos-en-Gohelle«Ce terril, c'est un des deux "jumeaux de Loos-en-Gohelle", les terrils les plus gros d'Europe et les plus emblématiques. Ils se situent à côté du Louvre-Lens et font plus de 182 mètres de haut.»

Carla, Pont-à-Vendin | «J'avais un des mes rares rendez-vous pour faire un portrait (j'ai fait la majorité de ces photos suite à des rencontres spontanées) et je me suis arrêté acheter des croissants. Je trouvais le magasin très beau alors j'ai demandé à la boulangère de faire une photo. J'ai fait quelques images, assez plates. D'un coup elle a ri, attrapé du pain en disant "les miches de la boulangère", j'ai déclenché. C'était son idée, ça l'a beaucoup amusée et ça donne une super image!»

Carla, Pont-à-Vendin«Carla est l'italienne qui tenait ce bar. C'était un endroit magnifique et mythique. Pendant des années, tout le monde se retrouvait chez Carla. Il y a même eu un film de Yolande Moreau qui se passait là-bas, "Henri", ils ont remis le bar en vie pour le tournage.»

Noël, Haillicourt «Noël est bistrotier à Haillicourt. C'est une des villes sur laquelle j'ai le plus travaillé. Elle a quelque chose de différent et puis c'est un endroit important car c'est au bout de la chaine des terrils, il y en a beaucoup dans les alentours. J'aime particulièrement cette photographie, sa lumière me fait penser à une peinture flamande.»

Franck et Cheyenne, Haillicourt «Le bistrot de Franck se situe en face de celui de Noël. Franck est aujourd'hui guéri d'un cancer, il raconte son histoire volontiers et c'est une demi-heure de fou rire garantie! Quand il était jeune, il a été saucier pendant quelques années aux Etats-Unis. Si aujourd'hui, il ne veut plus voyager, il a emporté avec lui une partie des Etats-Unis. Devant le bar est garée sa Mustang et son chien s'appelle Cheyenne.»

Chez Cathy, Lens«Cathy était la propriétaire d'un restaurant situé à Lens. Elle a trimé toute sa vie. Quelques années avant sa retraite, le Louvre-Lens a été ouvert devant son restaurant. Tous les grands architectes, les politiques en visites de chantier, etc, venaient manger chez elle. Aujourd'hui, ce lieu est devenu un endroit mythique. Il est si prisé qu'il faut réserver en avance, même si on y mange des frites.»

Yvette Taquet, Béthune«Yvette Taquet est "Miss mine". Elle a été élu lors de la dernière élection en 1951. Elle est invitée encore aujourd'hui à toutes les fêtes de villages.»

Denain«La ville de Denain m'a demandé de faire partie du jury du "championnat de France de photos couleur". On notait les participants entre 6 et 20 et il y avait des coupes à gagner. La salle a ce charme "année 50" que beaucoup de mairies du nord ont encore. J'aime l'ambiance qui s'en dégage, et puis la salle est au pied du terril "Renard" qui a inspiré Zola pour Germinal.»

Noeux-les-Mines | «A Noeux-les-Mines, on peut faire du ski en été et se baigner la même après-midi.» 

Bruay«Certains terrils sont des terrains de jeu exceptionnels pour les motards. D'autres devaient être aplanis ou sont utilisés en carrières de schiste rouge, mais l'Unesco les protège depuis peu. Leur évolution et leur absorption par la ville sont loin d'être terminées.»

Loos-en-Gohelle«Loos-en-Gohelle est dans le Guiness des records pour cette écharpe de 375 mètres, 50.000 carreaux de laine. Les habitants y ont travaillé pendant deux ans. Ils voulaient attacher l'écharpe autour du terril, mais c'était trop compliqué alors ils ont fait une chaîne humaine au-dessus du terril et ont déroulé l'écharpe. Un pique-nique et une guinguette ont ensuite été organisés. C'était un chouette moment!»

Haillicourt | «Un gars du Nord et un autre de Cahors ont décidé de tenter une expérience: faire pousser des vignes sur un terril pour faire du vin. Les premières vendanges ont eu lieu l'année dernière. Il va s'appeler le "charbonnay". Les agents de la mairie en charge des espaces verts sont devenus vignerons, les vieilles caves du bâtiment ont été réquisitionnées. Apparemment, le vin sera très bon, mais il n'y aura que 120 bouteilles. Cette aventure va cependant se transformer en grande bataille pour avoir le droit d'être une "appellation contrôlée"», explique le photographe, avant de terminer: «Ce sont avec ces photographies que j'ai fini mon travail. C'était un peu la fin d’un cycle, je commençais à avoir des images qui se répètent, il fallait mettre un terme à ce projet.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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