Notre gueule de Français… par Sophia Aram
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Notre gueule de Français… par Sophia Aram

Fanny Arlandis -

«À quoi ressemble un Français de souche?», «La France est-elle toujours Charlie?», «Et pour la Syrie, on fait quoi?». Ce sont autant de questions soulevées par le photographe Jeremy Suyker dans un projet d'interview photographique avec Sophia Aram qui interroge «l’archétype du Français». «Je voulais que les questions posées le soient à la Française que Sophia Aram incarne, explique le photographe. Il fallait à la fois qu'elle s'efface en tant que personne et qu'elle mette en avant ce qu'elle est et ce qu'elle représente. Au final, ces images, c’est nous, ou une partie de nous. C’est ce que nous serons prêts à reconnaître mais aussi ce que nous dénigrerons. C’est la façon dont ce pays nous a fait et l’image que nous renvoyons de lui. C’est notre gueule de Français.» 
 

Ce travail s'inscrit dans un projet plus large mené par le collectif ITEM et soutenu par Amnesty International. Intitulé Rexistance, il a pour but de raconter les formes de résistance citoyennes en France. L'ensemble est actuellement exposé à la Galerie Le Bleu du Ciel, à Lyon, jusqu'au 23 septembre 2017.

A quoi ressemble un Français de souche? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«Mon projet The New Frenchman s'est fait en deux temps. Après les attentats de Charlie Hebdo, je suis allé voir une exposition au Jeu de Paume, à Paris, sur Philippe Halsman, connu pour ses photos de célébrités. À la boutique, j'ai découvert un livre de lui publié en 1948, The Frenchman, avec la tête de Fernandel en couverture. Fernandel répond en images à des questions sur l'identité française. Quelques mois plus tard, lorsque mon collectif de photographes, ITEM, a décidé de réfléchir aux résistances citoyennes en France, ce livre m'est revenu en tête. Je me suis dit que revisiter ce travail et exposer le rire comme forme de résistance pouvait donner quelque chose d'intéressant.»

Si les Français sont arabophobes, devriez-vous avoir peur de vous-même? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«Partant de là, je me suis demandé comment adapter The Frenchman à 2017. Je suis un photojournaliste, je fais de la photo documentaire ou du reportage, mais je ne fais pas de portraits, ni de studio. Je n'avais pas non plus de contacts de célébrité. Il a fallu ensuite rassembler les problématiques actuelles et tenter de trouver des questions intéressantes. Au total cela m'a pris un an. Je voulais un personnage populaire, sympathique, mais aussi une personne qui incarne la France plurielle. Au départ j'avais pensé à Omar Sy. Puis je me suis dit que l'image d'une femme était encore plus forte et j'ai pensé à Sophia Aram. Par un concours de circonstance, j'ai obtenu son e-mail, elle a répondu positivement tout de suite et on s’est vus très rapidement.»

À quoi préféreriez-vous renoncer, au sexe ou à la laïcité? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«En janvier dernier, je l'ai retrouvé dans un studio. On a fait une session d'une journée. Elle ne voulait pas avoir les questions en amont afin d'arriver l'esprit vierge. Elle a ensuite joué un numéro d'impro pour chaque réponse. J’ai repris le schéma du livre d'origine, sectionné en parties (le français d'aujourd'hui, la politique intérieure, la politique extérieure, l'avenir de la France) mais j'ai ajouté des questions (Halsman en a 23, j'en ai 30).»

Puis-je vous offrir un burkini? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«J'avais les questions avec moi, je lui lisais et soit Sophia Arama avait immédiatement une réponse, soit on la mettait de côté et on y revenait après. Quand on ouvre le livre d'Halsman, on a l'impression que c'est un jeu d'enfant, que les deux se sont amusés pendant deux heures qui semblent faciles et légères. En réalité il faut aller à l'essentiel et rassembler beaucoup d'informations sous des formes très simples et en seulement trente questions.»

Et pour la Syrie, on fait quoi? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«Je voulais que les questions posées le soient à la Française que Sophia Aram incarne. Il fallait à la fois qu'elle s'efface en tant que personne et qu'elle mette en avant ce qu'elle est et ce qu'elle représente. Cette distance était compliquée à mettre, quand on pense à Sophia Aram, on pense à ses coups de gueule face à Marine Le Pen, etc. Il ne fallait donc pas tomber dans l'écueil d'une interview de Sophia Aram pour Sophia Aram et par Sophia Aram qui n'aurait parlé qu'aux gens qui l'aiment bien. J'ai donc tenté de dépasser son image pour recréer l’archétype du français. Au final, ces images c’est nous, ou une partie de nous. C’est ce que nous serons prêts à reconnaître mais aussi ce que nous dénigrerons. C’est la façon dont ce pays nous a fait et l’image que nous renvoyons de lui. C’est notre gueule de Français.»

La France est-elle toujours Charlie? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«Des fois, elle avait plusieurs réponses, elle faisait donc plusieurs tentatives. J'ai ensuite édité les photos et je lui ai soumis mes choix. Certaines questions étaient plus dures, d'autres moins. Il ne fallait pas qu'il y ait une forme de pléonasme dans la réponse, que la réponse soit trop évidente. D'ailleurs, les images qui fonctionnent le mieux sont celles qui ont un décallage: on s'attend à une réponse mais ce n'est pas du tout celle de Sophia Aram.»

Vous présidente… | Jeremy Suyker / ITEM

 

«C'était un travail de spontanéité. Cette photo, par exemple, est en fait un moment de “off”, entre deux photos, mais elle est devenue la réponse… Je me suis aussi dit que je voulais faire porter comme vêtements à mon Frenchman quelque chose de simple et moderne, mais pas trop cliché, comme une marinière. Elle a amené différents habits mais au final elle a gardé ce qu'elle portait sur elle en arrivant. C'était intéressant car elle pouvait jouer avec sa chemise, commencer à l'enlever (la photo du Burkini) ou la l'inverse la boutonner jusqu'au col (le français de souche). J'ai ensuite choisi deux cadres, un portrait classique et un gros plan. Je voulais avoir la possibilité de les alterner pour donner un rythme à la série.»

Fernandel qui imite Sophia Aram, ça aurait donné quoi? | Jeremy Suyker / ITEM

 

«Il s'agit d'une interview photographique et non d'une série de portraits. Il fallait donc que l'image réponde à une forme d'exigence et de spontaneité. L'utilisation du noir et blanc est un hommage au travail d'Halsman. Pour ce qui est du titre, j'ai pensé que "Frenchwoman" réduisait à la femme uniquement alors que je voulais que cette série parle du "Français" en général. J'ai ajouté l'adjectif "new" (The New Frenchman) pour appuyer la référence au titre original d'Halsman (The Frenchman).»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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