Le douloureux travail de deuil des parents d'enfants morts-nés
Parents & enfants

Le douloureux travail de deuil des parents d'enfants morts-nés

Fanny Arlandis -

En février, Slate a publié un très bel épisode de Transfert sur l'histoire de Valérie qui raconte le deuil d'une mère à la suite de la naissance d'enfants mort-nés. Le photographe Matthieu Zellweger a tenté de montrer en images ce que vivent ces familles. «J'ai voulu raconter l'histoire dans son intégralité, précise le photographe suisse: la naissance, le chagrin, le deuil… mais aussi les parents qui essaient de se reconstruire, ceux qui continuent à se rendre au cimetière ainsi que ceux qui réussissent à avoir d'autres enfants.»

Une collection d'images de bébés mort-nés dans un service de maternité. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«À la base, j'avais un autre job que j'ai abandonné pour devenir photographe. Je me suis immédiatement mis à travailler sur les questions de santé: la tuberculose, la malaria, le sida, mais aussi la dépression ou les troubles bipolaires. En décembre 2015, une de mes images a été primée par le magazine médical The Lancet et au début de l'année suivante, le magazine a décidé de travailler sur le thème du deuil périnatal, les naissances d'enfants mort-nés. Je leur ai proposé de travailler pour eux sur ce sujet.»

Des parents contemplent des habits prévus pour leur fils, mort-né à terme, suite a une grave malformation cardiaque. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«On ne parle que très peu de ce sujet. En Suisse francophone, c'est même une sorte de tabou dont peu de personnes parlent. Lancet a accepté mon idée de travail à condition qu'une partie soit réalisée en Angleterre. Le plus difficile a ensuite été d'entrer en contact avec les bonnes personnes. De relations en relations (obstétriciens, sage-femmes…), on m'a finalement permis d'accéder à plusieurs services de maternité. Puis une sage-femme française qui travaille en Angleterre m'a ouvert une porte qui s'est révélée essentielle, en me mettant en contact avec Lydia, la sage-femme de son service spécialisée dans les naissances mort-nées.»

Un père contemple les empreintes de main et de pied de son fils mort-né à terme, de causes inconnues. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«J'ai rencontré une trentaine de familles en Suisse, en France et en Angleterre. Beaucoup d'entre elles ne savent pas quoi faire quand cela leur arrive: faut-il donner un nom au nouveau-né? Organiser des funérailles? Les usages varient selon les pays mais partout les familles sont un peu démunies.»

Des parents en attente d'une naissance mort-née passent la soiree precedant la naissance avec une sage-femme specialisée en accompagnement du deuil. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«Parmi les familles, j'ai pu rencontrer un couple anglais: Hollie et Scott. Ils ont appris à 22 semaines de grossesse que leur fille Hope avait une grave anomalie génétique. Au lieu de 46 chromosomes, elle en avait 69. Dans ce cas, les bébés ne peuvent pas vivre après la naissance. C'était leur premier enfant.»

Des parents pleurent leur fille mort-née. Ils sont entourés par une sage-femme, une sage-femme specialisée en accompagnement du deuil et une pasteure. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«L'hôpital a laissé le choix aux parents de garder l'enfant potentiellement jusqu'au terme ou accoucher avant. Ils ont décidé de provoquer l'accouchement à 24 semaines. Hollie et Scott m'ont invité à être présent le jour de la naissance et j'étais le premier étranger au service médical à pénétrer dans la chambre après l'accouchement. Dès le départ, tous deux voulaient que la naissance et la mort de leur fille aient un sens. Hollie et Scott ont alors décidé de créer un site internet pour raconter leur histoire: Bearing Hope

La mère tient la main de sa fille, dans les heures suivant l'accouchement. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«Chacun trouve sa propre manière de se reconstruire après la perte. Hollie et Scott ont voulu témoigner. Ils ont fondé ce site en mémoire de Hope. Le nom de leur organisation a un double sens, celui de porter l'espoir mais aussi évoquer le bébé qui grandit dans l'utérus. Les parents voulaient que la mort de Hope serve à d'autres personnes, que la prise en charge soit plus large et qu'elle permette parfois d'éviter la mort de nourrissons.»

Les parents contemplent leur fille mort-née. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«Ils voulaient que cette naissance soit connue, que d'autres personnes aient elles aussi le courage de parler. Ils m'ont raconté qu'un des plus gros problèmes auxquels ils devaient faire face avec leurs proches était qu'ils n'osaient pas poser la question. C'est pour cela qu'ils ont voulu que la naissance de Hope soit assez publique pour que les gens osent demander.»

Les parents de Hope lui disent un dernier adieu durant ses funérailles. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«Quand j'ai commencé ce travail on m'a prévenu qu'en présence de parents d'enfant mort-né, il ne fallait jamais faire semblant que le drame n'avait pas existé. Toutes les familles ont parlé de ce silence, ce tabou qui entoure ces naissances que l'on cache encore souvent.»

Un cercueil prêt a accueillir le corps d'un nouveau-né. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«Rien ne prépare au décès d'un proche, mais c'est encore pire quand il n'est pas dans l'ordre des choses, quand des parents enterrent leur enfant et non l'inverse. Malgré la tristesse, la vie de ces familles continue. La société a beaucoup à apprendre sur comment gérer ce genre de drame.»

Le carré des enfants mort-nés dans un cimetière de la ville de Berne. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

 

«Il y a cent ans, les naissances mort-nées étaient presque la norme. On savait que sur dix enfants, par exemple un ou deux ne passeraient pas la première semaine, un ou deux autres ne passeraient pas 5 ans etc. Après la Seconde Guerre mondiale, la médecine a fait des progrès considérables et le taux de naissances mort-nées a chuté dans les pays industrialisés. Il est aujourd'hui très difficile de baisser encore ce taux dans ces mêmes pays.»

Un paquet offert aux parents dont l'enfant est mort-né. Il contient deux peluches, l'une accompagnera l'enfant dans son cercueil et l'autre les parents. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«Quand je disais autour de moi que je travaillais sur ce sujet des gens m’ont dit qu’ils avaient eu un bébé mort-né mais ils ne m'en avaient jamais parlé avant. Mes parents m'ont aussi dit qu'ils avaient tous les deux eu une soeur mort-née, mais jamais personne de la famille ne l'avait évoqué aussi directement auparavant, et certainement pas mes grands-parents.»

Des parents ayant perdu leurs deux jumeaux à terme de causes inconnues arrangent leur tombe (où sont aussi enterrés d'autres membres de la famille), accompagnés de leur troisième fils nouveau-né. | Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

 

«On sait désormais qu'il est important de donner un nom au nourrisson et une sépulture même si cette existence s'est terminée avant même d'avoir commencé. La plupart des familles incluent le bébé mort dans le nombre de leurs enfants. Au parc, on entend "j'ai deux enfants, mais l'un des deux est mort".»

Une mere ayant perdu sa fille à 27 semaines de grossesse de causes inconnues se souvient d'elle dans le cimetiere où elle est enterrée. Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

Une mere ayant perdu sa fille à terme suite à des causes inconnues s'occupe de sa deuxième fille. Elle porte l'empreinte des pieds de sa première fille autour du cou. Matthieu Zellweger/ Haytham Pictures

Une sage-femme specialisée dans l'accompagnement du deuil rend visite a une famille qui a perdu sa deuxieme fille à terme. Elle contemple les empreintes des mains de la première et de la deuxieme fille pendant que la mère allaite sa troisieme fille, prenommée comme la sage-femme. Matthieu Zellweger / Haytham Pictures

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

cover
-
/
cover

Liste de lecture