«À la fin de leur cursus, on leur tend leur diplôme et leur planche de skate»
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«À la fin de leur cursus, on leur tend leur diplôme et leur planche de skate»

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C’était un monde à part. Les skateuses et skateurs ont longtemps pratiqué leur sport à la marge. Sur leurs planches, elles et ils hantaient les villes autant qu’elles et ils les enchantaient. C’était leurs codes, c’était leurs règles. Leur univers. Bientôt, les regards du monde entier seront braqués sur eux. Cette fois, leur scène sera mondiale lors des Jeux olympiques de Tokyo en 2020, les premiers auxquels participera le skateboard.

Elles semblent loin, ces années 1980 où le magazine Trasher, la référence dans le monde du skate, affichait fièrement le slogan «Skate and Destroy». Depuis, ce sport né dans la rue s’est professionnalisé. Pour beaucoup, il est même devenu un métier. Aujourd’hui, que reste-t-il d’alternatif au skateboard?

Avec son entrée aux Jeux olympiques, ce sport venu des États-Unis est amené à se populariser plus que jamais. Certaines villes ont même compris l’intérêt d’investir dans le skateboard. Car oui, les skateurs et skateuses sont aujourd’hui devenues les «troupes de choc de la gentrification»

La ville de Malmö en Suède a fait le pari de croire en ce sport. Un pari gagnant dont elle est fière. Dans la ville, le skateboard a redonné vie à des lieux parfois oubliés, abandonnés. La semaine dernière, les Vans Park Series, compétition européenne de skate, s’y tenaient. Reportage à Malmö, l’une des villes les plus «skate-friendly» d’Europe.

Shani Bru s’apprête à s’élancer sur le skatepark de Malmö, construit par Vans pour la ville. La Française originaire de Bergerac fait figure de favorite dans cette épreuve dont elle décrochait la deuxième place l’an dernier. Elle a trente secondes pour convaincre. Le temps d’un «run». Sa vitesse, son style et surtout ses figures seront scrutées. Cette année, elle compte bien monter d’une marche le podium pour atteindre la première place. Mais il y a eu comme un problème…

«Ah bah voilà tu as enfin retrouvé le sourire!» lui lancent quelques autres skateurs. La semaine de Shani a été compliquée. «Ils ont perdu mon bagage à l’aéroport», raconte-t-elle. À l’intérieur, ses tenues. Celles qui font sa marque de fabrique. Et surtout, sa planche de skate. Ne lui dites surtout pas qu’il suffit de s’en procurer une autre. «Ma planche, c’est ma moitié!»

Shani entretient un rapport quasi sentimental avec sa planche, sa «board», comme elle l’appelle. «C’est comme si mes pieds y étaient soudés. J’ai manqué la compet’ du Prado à Marseille pour venir à celle de Malmö… Il y a encore vingt-quatre heures, je ne pensais même plus faire cette compétition tellement j’étais dépitée…» À l’écouter, on comprend l’investissement qu’il y a à s’engager dans une carrière comme celle-ci.

«Dans le skate, on met sa personnalité, on met même ses sentiments. Et ça se ressent quand on skate.» Sur son bras, la jeune femme arbore l’inscription «Fight like a girl». Les mots soulignent les rebords d’un pistolet… muni d’un silencieux.

«Je ne veux pas faire la féministe, mais franchement on a du mérite. Moi, là où je skate beaucoup, c’est à Bordeaux. Avant quand j’arrivais, tous les mecs me regardaient. À chaque fois, il fallait que j’impose un truc, que je fasse une belle figure meilleure que la leur pour les calmer», raconte-t-elle en tapotant sur le clavier de son téléphone pour envoyer des messages à sa famille restée en France.

«Aujourd’hui, les filles se font respecter aussi parce que le monde du skate a compris qu’il fallait envoyer des signes d’égalité. Par exemple, les Prize money [l’argent gagné après une compétition, ndlr] sont les mêmes dans pas mal de compétitions aujourd’hui, ce qui n’était pas forcément le cas encore l’an dernier. Ça envoie un signe fort: ça veut dire qu’on est considérées de la même manière.»

Shani fait partie de ces skateuses qui voient d’un œil positif l’arrivée de ce sport aux Jeux olympiques. «Pour moi c’est une bonne nouvelle, car ça construira des skateparks, ça permettra d’attirer de nouveaux sponsors… Ça monte le skate vers le haut, ça monte la performance», énonce-t-elle. 

Pour elle qui est en équipe de France, participer aux JO serait une fierté. Même si l'univers du skate est divisé à ce sujet. «Je sais bien que ce n’est pas l’avis de tout le monde. Mais on n'empêchera personne de skater dans la rue…»

La rue. C’est bien là que sont nées les skateuses et skateurs. Les «surfeurs d’asphalte», comme certains les appelleront, sont issus de la volonté des surfeurs américains de retrouver la sensation des vagues de Californie. Le skate était une manière pour les jeunes de reprendre possession de leur ville.

En Suède, si Malmö est la ville qui a vu naître Zlatan Ibrahimović, elle est aussi celle qui a servi de laboratoire à une manière différente d’approcher la pratique du skateboard. «C’est l’une des villes les plus “skate-friendly” d’Europe. Dans le monde entier on nous connaît pour ça», raconte Gustav Eden.

L’homme est un adjoint comme on en trouve très peu dans les mairies: son poste est dédié au skateboard. «Je suis sûrement le seul à faire ce boulot en Europe!» rit-il. Malmö est une ville qui a tout misé sur ce sport. «Le budget que l’on y consacre est assez conséquent, confie Gustav Eden. Mais ça vaut vraiment le coup quand on prend la mesure de tout ce que ça nous apporte.»

Les politiques de la ville liées au skate se sont développées en même temps que le sport a commencé à gagner en notoriété. «Je suis de la génération Tony Hawk», explique notamment Sam Beckett. Cet Anglais de 26 ans, l’une des figures les plus en vogue de sa génération, a fait ses premières glisses sur le bitume de Norwich (Angleterre). La ville n’était de toute évidence pas faite pour les skateurs. C’est donc à partir de ses 18 ans qu’il a pu prendre pleinement possession de l'espace urbain, en s’envolant pour la Californie.

Certaines villes ont aujourd’hui compris l’intérêt de donner aux skateuses et skateurs un espace dans lequel ils peuvent librement pratiquer ce sport. C’est aussi une manière de mieux les contenir. Malmö est prise en exemple par des communes françaises, comme Bordeaux, où le skateboard s’est énormément développé.

«On a déjà été en contact avec le milieu du skate à Bordeaux, ça nous flatte que certains nous prennent comme exemple», témoigne Gustav Eden. D'après lui, les skateuses et skateurs existent à Malmö depuis les années 1970. Ce n’est qu’après quelques décennies que la ville les a intégrés dans sa politique. «Le skateboard aide les jeunes, donne de la vie à l’espace public et parfois même à des endroits qui étaient délaissés», précise Gustav Eden.

Si Malmö a décidé d’investir dans le skateboard, c’est aussi pour l’évolution que ce sport est capable de donner à une ville. Cette gentrification par le skate a même été théorisée par Ocean Howell, professeur d'histoire de l'architecture à l'Université de l'Oregon. Selon lui, les skateboarders sont des «troupes de choc de la gentrification».

«On ne va pas se mentir, la ville n’avait pas grand-chose pour les attirer il y a encore vingt ans, je pense à l’architecture notamment, se souvient Gustav Eden. À Malmö, on a fait le pari de faire confiance aux skateurs. Plutôt que de leur imposer des règles, on a préféré les autoriser à pratiquer leur passion. Et ça a fonctionné: les skateurs ont appris à devenir de bon partenaires.»

Malmö ne s’est pas contentée d’offrir à ses skateuses et skateurs l’espace d’une ville. Elle accueille également un lycée, l’un des seuls dans le monde, où le skate est enseigné comme n’importe quelle autre discipline.

Les professeures et professeurs sont également encouragés à être eux-mêmes. «Si vous êtes confiant dans votre rôle de professeur, à quoi bon s’habiller comme un dictateur? L'important, c’est ce que vous enseignez.» À l’heure du déjeuner, corps enseignant et élèves s’asseyent à la même table.

Le relationnel est aussi important que l’enseignement. «Il y a certaines études qui expliquent que l’apprentissage, c’est 30% de méthode et 70% de relationnel. C’est pour ça qu’ici on se refuse d’être autoritaires. L’important est d’être motivé. Voilà ce qui compte.»

Une lycéenne raconte la réaction, plutôt inquiète, de sa mère quand elle a souhaité rejoindre ce lycée: «Ma mère n’était pas très enchantée au début quand je lui ai parlé de cette école. Mais elle a vite compris que ça pouvait m’être bénéfique».

La jeune fille de 15 ans commence un cursus dont la scolarité est entièrement gratuite. «Je ne sais pas encore ce que sera mon métier, mais je veux que ce soit relié au skate, ça c’est sûr!» Dans trois ans, elle décrochera donc son diplôme. «Leur dernier examen, c’est celui où ils doivent créer leur planche de skate, raconte John Dahlquist. À la fin de leur cursus, on leur tend donc leur diplôme. Et leur planche de skate.»

Sofian Aissaoui

Sofian Aissaoui

Journaliste pour France Télévisions et pour la presse écrite. Il s'intéresse particulièrement aux sujets de société. Auteur du livre Drag: l'autre visage des Queens et des Kings.

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