La jeunesse ougandaise telle qu'elle est
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La jeunesse ougandaise telle qu'elle est

Fanny Arlandis -

«Je me demandais comment les jeunes Ougandais des différentes régions vivaient et passaient leur temps libre après l'école», raconte Esther Ruth Mbabazi. Depuis un an, cette photographe ougandaise mène un travail quotidien sur la jeunesse dans son pays et suit trois personnes: Latif, Irene et Aidah, respectivement 18, 17 et 15 ans. «Ce dont je me suis rendu compte, c'est que ces jeunes ont tous en commun l'aspiration à la liberté.»

«En 2017, j'ai remporté le Prix jeune photographe de l'Uganda Press Photo. Pendant une période de six mois, et avec comme mentore la photographe allemande Anne Ackermann, j'ai commencé à travailler sur ce projet documentant les jeunes en Ouganda. Ce pays a l'une des populations les plus jeunes du monde et en tant que jeune, je me demandais comment les jeunes des différentes régions vivaient et passaient leur temps libre après l'école. Ce projet est d'ailleurs toujours en cours. La première phase documentait la vie des adolescents pendant six mois. J'entends élargir cette documentation à tous les jeunes de moins de 30 ans car je souhaite interroger la relation entre âge et identité. Sur cette photo, Latif, 18 ans, prend un rolex pour le déjeuner chez lui à Mbale, une des villes de l'est de l'Ouganda. Un rolex est un sandwich fait d'œufs fris roulés dans un chapati, une sorte de pain.»

«La vie en Ouganda est comme n’importe où ailleurs, elle est unique à sa manière. Il existe cependant de nombreux défis auxquels sont confrontés les Ougandais, vivant dans l'un des pays les moins développés au monde. Mais il y a aussi beaucoup de joie et de connexions partagées par les Ougandais –entre eux et avec les étrangers. Sur cette photo, Latif et ses amis marchent dans les rues de Mbale en prenant des photos qu'ils mettent ensuite sur les réseaux sociaux.»

«En Ouganda, les jeunes ont tendance à se réaliser à mesure qu'ils grandissent et qu’ils deviennent indépendants. Ils deviennent mieux informés et créent leur propre style, leur musique, leur art et leur langue. Il y a des “enfants cool” dans chaque quartier et il y a des enfants moins cool. Parfois, certains jeunes ici ont des responsabilités précoces à la maison. Les jeunes sont confrontés à des taux élevés de chômage, mais il y a aussi de nombreux entrepreneurs en devenir.»

«Selon les contextes géographique et économique du pays, les jeunes passent leur temps hors de l’école un peu différemment. Certains ont accès aux arts créatifs comme la musique, la danse, la peinture, la performance, etc., tandis que ceux des zones rurales passent la plupart de leur temps avec leurs amis et leur famille en raison de l'absence d'options différentes. Le soir, Aidah fait ses devoirs à l'aide d'une lampe solaire.»

«Pour trouver mes personnages, j’ai demandé à mes amis de me recommander des jeunes adolescents de trois horizons géographiques et économiques différents. J'ai eu quelques contacts et j'ai commencé à les rencontrer. Certains n'étaient pas intéressés, d'autres craignaient que leurs parents ne découvrent leur vie secrète. En fin de compte, j'ai choisi des adolescents qui, pour moi, représentaient ces différences. Sur cette photo, Latif, 18 ans, est avec ses amis Sam et Madz, danseurs de hip-hop, à Mbale.»

«Irene, 17 ans, est une jeune fille à l'esprit ouvert, issue d’une famille riche de Kampala, la capitale de l'Ouganda. Elle fréquente une école internationale et aime faire du bénévolat dans un orphelinat pendant ses vacances. Elle a un sourire contagieux et aime rencontrer des gens. Elle aspire à travailler dans l'industrie hôtelière après ses études. Lorsqu'elle n'est pas à l'école, Irene regarde des films dans sa chambre, pratique le piano, va à l'église, traîne avec des amis et va danser dans des boîtes de nuit. On la voit sur cette photo mettre ses boucles d'oreilles pour aller en ville.»

«Aidah, 15 ans, est une fille très timide et réservée. Elle est en dernière année d'école primaire. Elle est la première née d’une famille de cinq enfants et a donc beaucoup de responsabilités comme les tâches ménagères à son retour de l'école. Le dimanche, elle dirige la chorale à l'église de son père, comme le montre cette photo. Après quoi elle a du temps libre qu’elle peut passer avec ses amis. Avec eux, elle s'installe habituellement à l'ombre sur un terrain de football pour bavarder. Puisqu'elle habite un village montagneux de l'est de l'Ouganda, sa connexion au monde est très limitée et sa connaissance du monde extérieur est basée sur des histoires qu'elle entend d'autres personnes, car elle n'a jamais quitté son village.»

«J'ai choisi pour cette série de photos le titre “This Time We Are Young” pour questionner la très peu nombreuse population âgée en Ouganda. Plus de 78% des Ougandais ont moins de 30 ans et seulement environ 3% sont âgés de plus de 65 ans. “This Time We Are Young” est une réflexion sur l'état actuel de la nation. Nous sommes une jeune population aujourd’hui, nous devrions vivre jeunes et libres, mais dans environ trois décennies l’Ouganda sera très âgé –et quand nous vieillirons, nous devrons nous rappeler ce que c'était pour nous d’être jeunes. Après l'école, Aidah aide sa famille en allant chercher de l'eau en bas de la colline.»

«Irene et Khloe négocient un prix avec un homme pour qu'il les emmène en boite de nuit après la prière du vendredi soir. Beaucoup de gens pensent encore que l'Afrique est comme une jungle où il n'y a aucun développement. Mais pour moi, des documentations quotidiennes comme celle-ci nous permettent de renverser les stéréotypes auxquels l'Afrique et ses peuples sont confrontés.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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