Au Chiapas, vingt ans d'un combat pour la dignité
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Au Chiapas, vingt ans d'un combat pour la dignité

Fanny Arlandis -

Le 1er janvier 1994, les zapatistes se soulèvent au Chiapas (Mexique). «Je me suis rendu dans la région plus tard, en 1995, après la lecture de Ya basta, premier livre du sous-commandant Marcos qui réunissait des communiqués militaires, des contes d’inspirations mayas et tout un tas de clés pour connaître les enjeux de l’insurrection. Ces textes politico-poétiques m’ont séduit et j'ai voulu aller voir», raconte Mat Jacob. En vingt ans, ce photographe s'est rendu sept fois au Chiapas. Son travail vient d'être publié en Photo Poche chez Actes Sud. Il est aussi exposé à la galerie Fait & Cause à Paris, du 9 mars au 30 avril.

À Oventic. Los Altos. Chiapas, Mexique. Juillet 1996 | Mat Jacob

 

«Le Chiapas est un petit État du sud-est mexicain, à la frontière du Guatemala, principalement peuplé d’indiens d’origines mayas. C’est un des États les plus pauvres du Mexique et paradoxalement un des plus riches pour ses ressources naturelles. Jusqu'aux années 1960-70, une majorité des Indiens travaillaient dans des "fincas" pour le compte des grands propriétaires terriens dans des conditions de vie déplorables. Leur culture et leurs droits n’étaient pas respectés.»

Des femmes rentrent au village chargées de fagots de bois. Ce travail quotidien est réservé aux femmes et aux enfants. Village de Guadalupe Trinidad. Forêt Lacandone. Chiapas, Mexique. Juillet 1996. | Mat Jacob

 

«Un programme du gouvernement leur a ensuite permis de créer des terres agricoles dans la forêt tropicale. Ils sont partis par petits groupes, en famille, et se sont retrouvés isolés du reste monde et du Mexique, sans infrastructures de l’État, sans route, sans électricité, ni hôpitaux. C’est dans ce contexte qu’est né l’idée de l’insurrection. Un cri de révolte spontané après 500 ans de mépris et de non-respect des droits fondamentaux.»

Au cours du dialogue entre zapatistes et représentants du gouvernement. San Andres Larrainzar, Chiapas, Mexique. Le 4 juillet 1995. | Mat Jacob

 

«L’insurrection a été décidée en 1983, à la suite d'une rencontre entre six militants d’inspiration guévariste et quelques communautés indiennes de la forêt Lacandone. Seul Marcos qui a su remettre en question sa culture et son discours politique restera auprès des zapatistes et en 1994, plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes armés, occupent les principales villes du Chiapas. Ils ne souhaitent ni l’indépendance, ni le pouvoir. Ils brandissent le drapeau mexicain et réclament "respect", "dignité" et "liberté". Soutenus par une partie de l’opinion publique, ils acceptent un cessez-le-feu quelques jours plus tard et entament le dialogue mais l’armée mexicaine encercle les villages zapatistes.»

Au cours des fêtes de la Guadalupe. Village de Guadalupe Trinidad. Forêt Lacandone. Chiapas, Mexique. Juillet 1996. | Mat Jacob

 

«Les zapatistes ont tout de suite utilisé des modes de communication modernes. J’ai crée ma première adresse e-mail pour recevoir les communiqués de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale). C'est comme cela qu'ils ont pu rassembler un large public.»

Arrivée des participants à la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Chiapas, Mexique. Juillet 1996 | Mat Jacob

 

«En 1996, ils ont organisé la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme dans les communautés indiennes au fin fond de la forêt ou des plateaux de Los Altos. Trois mille personnes sont venues débattre de politique et de l’état du monde pendant une semaine. C’était une initiative à la fois sérieuse, surréaliste et utopique. Et il y en a eu beaucoup d’autres par la suite.»

Des membres du groupe religieux Las Abejas viennent prier devant un poste militaire de l'armée mexicaine à Las Limas. Commune autonome zapatiste d’Oventic, situé dans la commune de Chenalhó. Région de Los Altos. Chiapas. Mexique. Le 28 décembre 1999 | Mat Jacob

 

«Malgré les accords de San Andres signés en 1996, rien n’a réellement changé. Il y a une sorte de statu quo, personne ne souhaite l’affrontement hormis des groupes paramilitaires qui sèment la terreur dans certaines localités. Fin 1997, un groupe de paramilitaires proches du PRI, parti au pouvoir, a massacré 45 personnes dans une chapelle, principalement des femmes et des enfants de La Abejas, un groupe d’indiens catholiques et pacifistes. Cet acte de terrorisme d’Etat a beaucoup marqué le Mexique et est à l’image d’un pays sclérosé qui ne cesse de glisser dans la violence et le chaos. Cette photo prise deux ans plus tard montre que les paramilitaires sèment toujours la terreur et divisent les villages.»

Le sous-commandant Marcos, leader charismatique de l'insurrection zapatiste vient saluer les participants avant leur départ, à la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, du 27 juillet 1996 au 03 août 1996. Chiapas, Mexique. | Mat Jacob

 

«Le sous-commandant Marcos est devenu un porte-parole charismatique du mouvement au début de l’insurrection. C'est un universitaire mexicain qui a étudié la philosophie et a enseigné la communication. Il a rejoint des militants au Chiapas dans le contexte politique des années 1980 où les foyers de guérillas proliféreraient en Amérique latine. Il a su captiver l’intérêt des intellectuels mexicains et internationaux à travers ses idées, ses écrits et son humour. Il est rapidement devenu le symbole des mouvements altermondialistes. D’une certaine manière, son personnage a permis de faire connaître la situation au Chiapas et d’un autre coté, il a fait écran, c'était un mythe à double facette.»

Le Major Moisés, le commandant Tacho et le sous-commandant Marcos, membres de l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale) et leaders de l'insurrection zapatiste, à la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Chiapas, Mexique. Juillet 1996 | Mat Jacob

 

 

«Il y a bientôt deux ans, Marcos a choisi de changer d’identité. Il a annoncé dans un communiqué que Marcos était mort et qu’il prenait l’identité d’un zapatiste assassiné quelques jours plus tôt par des paramilitaires. Il est aujourd’hui le sous-commandant Galeano. Difficile à comprendre au regard de notre culture; mais il y a du lyrisme, du détachement et de l’humour pratiqué dans ce jeu d’identité. Il faut aussi rappeler la place du masque dans la culture mexicaine et indienne, lors des cérémonies religieuses ou dans la Lucha Libre par exemple. Il s’agit peut-être d’une décision collective, écarter le personnage charismatique pour laisser place et la parole aux Indiens.»

À Guadalupe Trinidad, village Tojolabal de la forêt Lacandone. Chiapas, Mexique. Juillet 1995. | Mat Jacob

 

«Depuis une dizaine d’années, les zapatistes construisent leur autonomie au quotidien. Ils refusent toutes aides et implication du gouvernement dans leur mode de fonctionnement. Ils ont créé des zones autonomes où des "conseils de bon gouvernement" coordonnent et prennent les décisions. Ils gèrent l’éducation, la santé, la justice, le commerce et le travail collectif.»

Au cours de la cueillette du mais, dans le village de Monterrey. Municipalité autonome de la Garrucha. Chiapas. Mexique. Le 27 décembre 2013 | Mat Jacob

 

«Le pouvoir s’exerce à tour de rôle, et celui qui détient un pouvoir a l’obligation de l’utiliser pour le bien-être de la collectivité. C’est une démarche utopique et c’est ça qui me plait. Les zapatistes cherchent un équilibre de vie dans un pays totalement déséquilibré par la corruption (le pouvoir) et le narcotrafic (l’argent). Ils n’ont pas sorti les armes depuis 1994. Je ne pourrais pas affirmer que leur système est meilleur qu’un autre mais ils essayent. Ils luttent pour de meilleures conditions de vie et pour un vivre ensemble plus acceptable. Par les temps qui courent, c’est riche!»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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