La campagne Macron comme vous ne l'avez jamais vue
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La campagne Macron comme vous ne l'avez jamais vue

Boris Bastide -

C'est un document exceptionnel que diffuse ce lundi 8 mai à 21 heures TF1 au lendemain de l'élection d'Emmanuel Macron. Pendant près de huit mois, une équipe de production indépendante a suivi le candidat En Marche!, avec un accès total à la campagne et le contrôle entier sur le produit fini. Des conditions inédites pour un enjeu d'une telle importance. «1974, Une partie de campagne de Raymond Depardon était une commande de Giscard d'Estaing qui a refusé que le film soit diffusé une fois élu. Et c'est vrai qu'il y avait plein d'ironie. Nous, on voulait avoir carte blanche», explique le réalisateur Yann L'hénoret. Ce dernier revient pour Slate –aidé des photos de Soazig De La Moissonnière qui suivait avec lui le candidat– sur cette folle aventure.

En arrière-plan, le réalisateur Yann L'Hénoret filmant Macron | © Soazig De La Moissonnière 

 

«Les producteurs Justine Planchon [Troisième œil] et Éric Hannezo [Black Dynamite] ont démarché Emmanuel Macron après qu'il a quitté le gouvernement en se disant qu'il serait intéressant de suivre, s'il se lançait, la première campagne d'un nouveau mouvement. À l'époque, dans tous les cas, il avait peu d'espoir d'être élu. Moi, je sortais d'un long documentaire avec Teddy Riner qui s'était terminé aux Jeux de Rio, j'avais envie de changer de sujet. Je n'avais jamais filmé de politique. Ça m'intéressait.

 

J'ai donc rencontré Emmanuel Macron et ses proches conseillers dans les locaux d'En Marche et plutôt que de me vendre comme dans un appel d'offres, j'ai expliqué que j'avais besoin de lui pour faire ça, d'établir une relation de confiance, qu'il devrait porter un micro-cravate en permanence et que je m'engageais à ne pas utiliser tout ce qui relevait de petites bourdes anecdotiques ou qui touchait à sa vie privée. Je lui ai dit que je tournais beaucoup par rapport à ce que j'utilise, que je serai là pratiquement tous les jours mais de manière discrète sans nécessairement dire bonjour ou au revoir. Il a donné son accord en sachant qu'il n'aurait pas de droit de regard sur le montage. D'ailleurs, il n'a pas demandé à voir le film. Il le découvrira sur TF1 comme tout le monde.»

Emmanuel Macron peu avant l'annonce de sa candidature le 16 novembre 2016. | © Soazig De La Moissonnière

 

«C'est un des premiers moments intimes que j'ai filmé. On le voit là finaliser son discours de candidature à l'élection présidentielle. Comme à chaque fois, il annote à la main des modifications de dernière minute. Il reformule. Mais comme il n'écrit pas forcément très bien, ceux qui ont en charge de mettre la version finalisée au propre ont du mal à le relire. Ça donne des moments assez drôle.»

 

«Il me fallait trouver la bonne distance par rapport au sujet. Savoir quand baisser la caméra quand on touchait à des choses privées sans être trop prudent et ne garder que des amabilités. Quand je filme, je suis comme un chat. J'essaie d'être aussi invisible que possible. Il sait souvent quand je suis là, mais il ne me voit pas nécessairement partir.»

Emmanuel Macron entouré de jeunes | © Soazig De La Moissonnière

 

«Là, je vois que c'était au début de sa campagne parce qu'il n'a pas encore les tempes grisonnées. Au départ, l'idée du film, c'était vraiment de suivre la relation entre le candidat et le groupe de jeunes qui le suivait. Il y avait beaucoup d'optimisme, de soutien. De leur part, mais aussi de la sienne. Il a une énergie très communicative. Comme Teddy Riner, il est tout le temps en train de sourire. Même quand il est remonté contre son équipe, une situation, il a toujours une blague. Il fait passer beaucoup de choses par l'humour.»

 

«Dans le montage final de quatre-vingt-dix minutes, on a dû couper beaucoup de choses. J'avais tourné 150 heures, il fallait choisir. On n'a pas pu parler ainsi des bénévoles. On réflechit à faire par la suite un autre montage de deux heures pour réintégrer certaines de ses séquences. Au fil de la campagne, on s'est resseré sur lui et ses plus proches conseillers. Il a dû le sentir, mais il ne nous en a rien dit.»

François Bayrou et Emmanuel Macron, le 22 février 2017, quelques heures après la proposition d'alliance du premier | © Soazig De La Moissonnière

 

«C'est un des moments importants de la campagne. Il m'arrivait de venir à En Marche à l'improviste. Parfois, son équipe me laissait savoir qu'il allait se passer des choses et qu'il fallait mieux que je vienne. Ce matin-là, tout le monde pensait que Bayrou allait se lancer. On entendait les médias en parler. Lui réunit ses troupes et leur annonce que le centriste va lui proposer une alliance. On comprend là qu'une partie des tractations restent secrètes.»

 

«Les deux hommes se retrouvent quelques heures plus tard dans un café du Palais de Tokyo. C'est un moment très émouvant parce qu'on sent que pour Bayrou, ça venait du cœur. Il lui dit en gros: “Moi, je n'ai pas réussi, mais je vais tout faire pour que toi tu y arrives.»

Emmanuel Macron, peu après le premier débat sur TF1 le 20 mars 2017 dans les coulisses. | © Soazig De La Moissonnière

 

«Après le tout premier débat, on le voit là entouré de son équipe et de ses proches. C'était la toute première fois qu'il se pliait à l'exercice. Même s'il s'y était beaucoup préparé, il y avait beaucoup d'inconnu. Donc là, il les retrouve et il demande: “allez dites-moi ce qui allait et ce qui n'allait pas.” On lui explique que Mélenchon a été meilleur que lui mais qu'il a su montrer qu'il était capable de tenir tête à Marine Le Pen. Il avait tenu la distance»

 

«Emmanuel Macron n'est pas quelqu'un qui cherche la flagornerie. Il attend de ses proches qu'ils lui disent quand ça ne va pas. Et j'ai l'impression qu'à ce niveau-là, il est plutôt bien conseillé. Moi, il ne m'a jamais demandé ce que je pensais et pour qui j'allais voter. Il n'avait pas besoin d'un regard partisan ou d'adhésion. Je n'ai jamais eu à me justifier.»

Emmanuel Macron à Saint-Denis de la Réunion, le 25 mars 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Cette photo a été prise après un des meetings à La Réunion. Il avait monté une excursion un week-end malgré la distance et le décalage horaire. Un meeting était organisé sur place dans un stade contenant 6.000 places mais seulement 3.000 personnes étaient venues. La fosse était vide, ce qui inquiétait le candidat en terme d'images. Il a donc eu l'idée de faire venir les gens sur scène pour poser des questions, intéragir. Il a transformé le meeting en séance questions-réponses. Un exercice très libre et très vivant. À la fin, il était complètement rincé.»

 

«De tout ce que j'ai vu pendant la campagne, Emmanuel Macron a une très forte faculté d'adaptation. On l'a vu avec l'épisode Whirlpool. Il ne regarde jamais derrière lui. Comme Teddy Riner, on sent qu'il a toujours un temps d'avance. Quand il se prend un œuf sur la tête au salon de l'agriculture, dix minutes après, c'est terminé. Tout se poursuit comme s'il ne s'était rien passé.»

Emmanuel Macron avant un meeting | © Soazig De La Moissonnière

 

«C'est un des derniers meetings de campagne. Emmanuel Macron se prépare. Il a toujours besoin de se couper un peu du monde, de se recentrer avant. Il repasse son texte dans sa tête.»

 

«Quand on filme ce genre de scènes, on prend quelques plans discrètement puis on ressort. On le laisse tranquille. Il faut savoir agir lentement, ne pas faire trop de bruit. En filmant, j'avais toujours conscience que le champ de vision d'un humain est de 120°. J'essayais donc souvent d'en sortir. C'est pour ça qu'on le voit souvent de profil. Pour certaines scènes, il valait mieux pivoter que bouger.»

Emmanuel Macron avant le meeting de Bercy, le 17 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Pour ses meetings, Emmanuel Macron aime bien avoir un guide pour se rassurer mais après quand il prend la parole, il n'est pas en train de lire ses notes. Pour moi, il était important aussi de montrer qu'une campagne présidentielle, ce n'est pas qu'une suite de rencontres avec les Français. C'est aussi beaucoup de moments de réflexion seuls.»

 

«Pendant toute sa campagne, je ne l'ai jamais vu douter et je ne l'ai jamais vu non plus sûr de lui. C'est quelqu'un de très prudent. Je me rappelle de la séquence de vœux de la nouvelle année avec son équipe. Il leur a dit ne jamais s'emballer, que jusqu'au bout, il pouvait y avoir des coups durs, qu'il fallait tenir le coup, rester confiant. Je ne crois pas que ce soit seulement une posture. Quand il demande dans ses meetings de ne pas siffler ses adversaires, c'est aussi un état d'esprit.»

Emmanuel Macron dans les locaux d'En Marche le 21 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Ce jour-là, Emmanuel Macron est dans la petite salle de réunion qui jouxte son bureau. Il est au téléphone avec Barack Obama. L'ancien président américain lui dit ne pas relâcher ses efforts, qu'il faut faire le forcing jusqu'au bout, que tout peut se jouer dans les derniers jours. Emmanuel Macron lui dit que s'il gagne l'élection, il aimerait bien le rencontrer. Je pense que ça se fera. Et à son habitude, il finit la conversation avec une blague.»

 

«D'un point de vue personnel, j'avais avant de le filmer l'image de quelqu'un de très sérieux, un peu sévère même. En réalité, il n'est pas si dur que ça. Même s'il sait être sérieux quand il le faut bien sûr, c'est aussi quelqu'un de plutôt décontracté.»

Emmanuel Macron au Touquet le 22 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«C'est le jour du premier tour. Il vote au Touquet. Sa femme, Brigitte Macron, avait voté avant lui. C'était pour lui je crois un moment très fort, de voter à une élection à laquelle il se présentait. Après ça, on le sentait plus relax. On retrouvait l'homme qu'on avait suivi ces derniers mois.»

 

«Au départ, on devait se voir avant chez lui, puis il avait changé son programme et on s'était retrouvés directement devant le bureau de vote. Finalement, on est repassé devant après, il était comme au balcon, nous a demandés si on voulait monter, nous a servi les cafés en attendant les premiers chiffres. Il était soulagé.»

Emmanuel Macron au Touquet le 22 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Ça, c'est le quotidien d'un candidat, cette nuée de journalistes. Du coup, dans le documentaire, j'évite de montrer des plans larges des endroits où l'on va. Lui-même parfois ne voit même pas vraiment les endroits où il est tellement il est entouré. C'est un cirque. Comme ce sont souvent les mêmes journalistes qui le suivaient partout, bien sûr, on s'est liés d'amitiés avec certains. Ils essayaient parfois de nous soutirer des infos, mais il fallait faire bien attention de ne pas rentrer dans ce jeu-là.»

 

«Néanmoins, je crois qu'Emmanuel Macron a toujours essayé d'avoir une vraie attention aux personnes qu'il rencontrait. Il n'était pas juste là pour hocher la tête. Quand les journalistes l'interrogeaient, il était capable de répéter tout ce qui lui avait été dit quelques heures plus tôt. On voyait qu'il les avait écoutés.»

Emmanuel Macron le 23 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Les premières estimations lui étaient parvenues quelques minutes avant seulement. Il attendait la confirmation des résultats avec sa famille. C'était un moment très fort pour eux. Sans doute plus que le deuxième tour. On sentait la joie de finir en tête devant Marine Le Pen. Pour eux, qui n'étaient qu'un tout petit mouvement une année plus tôt, c'était un accomplissement incroyable.»

 

«Concernant son allocution du premier tour, je crois qu'Emmanuel Macron peut être un peu excessif de temps en temps. On l'a vu pendant la campagne, sur certaines sorties, il n'est pas toujours dans le ton. Il y a chez lui une forme de lâcher prise. Mais il sait réagir très vite.»

Emmanuel Macron pendant l'entre-deux-tours | © Soazig De La Moissonnière

 

«On voit là sur la table pourquoi il va bientôt être impossible de filmer une campagne présidentielle comme on a pu le faire nous. C'était peut-être la dernière. 2022, ça va être très difficile. Aujourd'hui, de plus en plus d'informations passent par les téléphones. La communication orale est en train de disparaître. Beaucoup de choses se jouent déjà sur WhatsApp ou Telegram. On n'a plus rien à montrer à l'écran.»

 

«Je me souviens du moment où Fillon annule sa visite au salon de l'agriculture pour organiser une conférence de presse et annoncer sa prochaine mise en examen. La rumeur court d'un retour de Juppé. À ce moment-là, Macron est en interview avec des journalistes du Parisien. Il n'y a pas d'autres moyens de lui faire parvenir discrètement l'information qu'il est en train de se passer quelque chose que par texto. On peut juste filmer sa réaction. Beaucoup de la campagne s'est aussi joué sur les réseaux sociaux. Les nouvelles stratégies de communication sont déjà bien en place.»

Emmanuel Macron à Oradour-Sur-Glane, le 28 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Pendant l'entre-deux-tours, Emmanuel Macron a voulu multiplier les visites symboliques. D'une part, par habileté politique, c'était un moyen d'aller où Marine Le Pen n'irait pas. C'était aussi un moyen de rappeler contre qui il se battait et peut-être je ne sais pas s'il en était conscient ou pas de se préparer à la responsabilité qui l'attendait. On l'a senti plus grave pendant l'entre-deux-tours.»

 

«Ce qui m'a marqué pendant ces huit mois, c'est que je n'avais pas idée à quelle point une campagne politique ce n'est pas organisé. Il y a tellement d'imprévus. Rien n'est carré. Il y a beaucoup de ratés, de changement, d'improvisation. Il y a eu tant de moments importants: la défaite de Juppé, le renoncement de Hollande, la défaite de Valls, le renoncement de Bayrou. Ce sont des instants de vie dont j'ai besoin pour mon documentaire.»

Emmanuel Macron au Mémorial de la Shoah le 30 avril 2017 | © Soazig De La Moissonnière

 

«Je crois que ce documentaire, pour lui comme pour nous, était quelque chose d'inattendu. C'était un choix courageux de nous laisser carte blanche. Peut-être faut-il y voir une manière de mettre en application son attachement à la transparence, sa volonté de tenir un discours de vérité. Tout de suite, il nous a dit: “Je ne peux pas prétendre vouloir faire bouger les lignes et ne pas me prêter à un projet qui s'annonce différent.”»

 

«Je mesure surtout la chance que j'ai eu de participer à cette aventure. Si le film a de la valeur aujourd'hui, c'est parce qu'il suit le gagnant. Moi, j'étais juste là au bon endroit au bon moment. Pour la suite, on en a pas du tout parlé, mais l'idée de le suivre une année à l'Élysée m'intéresserait bien sûr. Pour l'instant, je crois qu'il a surtout d'autres choses à faire.»

Boris Bastide

Boris Bastide

Éditeur à Slate.fr

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