«J'échoue généralement à être mère et femme»
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«J'échoue généralement à être mère et femme»

Fanny Arlandis -

«Être mère, c'est faire tout à toute vitesse et manquer de temps pour se régénérer réellement, raconte la photographe polonaise Karolina Ćwik. Mais la maternité, c'est aussi un immense amour, une tendresse inestimable et un soin mutuel irrépressible.» Son travail intitulé Don't look at me («Ne me regarde pas»), s'interroge sur la conjugaison de la féminité et de maternité. Il est programmé en ligne dans le cadre du festival Circulation(s), du 13 mars au 2 mai 2021.

«Je suis mère de deux petits garçons, et ma maternité dure depuis cinq ans. C'est une période magnifique, très intense, mais aussi parfois douloureuse et difficile. Outre le fait d'être mère, je suis aussi photographe, donc l'une des auto-thérapies que j'ai pu me proposer était de raconter ma vie à travers des photos.»

«J'ai pensé que ce serait une belle façon de me distancier de mes expériences, de mes sentiments, de mon anxiété, mais aussi d'essayer de comprendre ce qui se passe autour de moi, et ce qui m'arrive. J'ai également pensé que mon histoire démystifierait peut-être un peu la maternité en tant qu'expérience purement positive.»

«J'ai donc commencé à me photographier moi et ma famille. Les premières photos de ce projet ont été prises à la naissance de mon premier fils, il y a environ cinq ans. Je me souviens m'être photographiée avec mon mari dans notre lit, j'ai intuitivement décidé que ce moment était important dans l'histoire d'une femme-mère ou d'une mère-femme. J'ai alors décidé que j'avais envie de regarder les autres mères et de les photographier. Je voulais savoir comment elles géraient leur maternité. J'ai pris mon enfant sous le bras et je leur ai rendu visite dans leur propre espace, je leur ai demandé comment elles allaient, je les ai regardées et j'ai pris des photos d'elles.»

«Cependant, je me suis vite rendu compte que ce temps était si intense pour moi, et je le vivais avec une telle force, que lorsque je parlerais d'autres femmes, je parlerais aussi de moi. J'ai donc pensé qu'il serait plus simple et plus honnête de pointer la caméra vers moi et ma famille.»

«Pour moi, être mère est un processus interne dans lequel toutes les émotions que nous connaissons sont présentes, de l'amour écrasant pour les enfants à la peur pour eux, la tristesse et le découragement. Je n'ai jamais été surprotectrice envers mes enfants, je me suis même parfois sentie coupable de ne pas l'être assez.»

«J'échoue généralement à être mère et femme. Être mère est une période extrêmement déterminante, c'est un rôle dans lequel la femme entre si fortement qu'il n'y a souvent pas de place pour se développer, prendre soin d'elle-même, non seulement de son corps, mais aussi de sa tête. Mes enfants adorent dessiner et se frotter à tout, souvent à moi: “Maman, est-ce que je peux colorier ton tatouage? Cette fois-ci, je les ai laissé aller plus loin et colorier tout mon corps. C'est aussi une métaphore de mon projet, mon corps est constamment étreint et malmené par les enfants.»

«Je suis mon intuition dans ma maternité, et heureusement, elle ne m'a encore jamais laissé tomber. J'ai confiance en moi-même, en mon mari, en mes enfants. Très vite, mes enfants ont commencé à rendre visite à leurs grands-parents de chaque côté, et eux aussi nous aident beaucoup. Ces courtes pauses m'aident à trouver mon équilibre.»

«Avoir des enfants m'a aussi appris à ne plus être perfectionniste dans le nettoyage de la maison. Il y a constamment quelque chose de sale, de renversé ou d'endommagé. C'est aussi cela, vivre avec eux. Il m'a fallu beaucoup de temps et de travail pour arriver au point où en est mon projet aujourd'hui. Jusqu'à récemment, il avait l'air un peu différent. J'avais pris énormément de photos et ma tâche ces derniers temps a surtout été d'en rejeter beaucoup, aidée par le photographe Rafał Milach

«J'ai appelé mon projet Don't look at me” en pensant aux moments difficiles où je suis avec mes enfants mais où j'aimerais être ailleurs. Ce sont les moments où je pleure en secret et où je n'ai pas la force de sourire. Ils me regardent et me demandent ce qu'il se passe. Ces moments font aussi partie de la maternité et j'aimerais que les gens le sachent. Cette photo, par exemple, a été prise très fatiguée et c'est exactement le moment relatif au titre de mon travail.»

«Ce dessin a été réalisé par ma nièce de 8 ans en me regardant un jour… Être mère, c'est faire tout à toute vitesse et manquer de temps pour se régénérer réellement. La fatigue, en réalité, ne disparaît jamais. La maternité a modifié ma vie et l'a rendue plus consciente et attentive, mais elle m'a aussi permis de me reconstruire, ce qui n'était pas facile. J'ai toujours besoin de mon propre espace et je me bats constamment pour le garder, mais je suis aussi une mère aimante qui pense à ses enfants et prend soin d'eux. Relier ces deux mondes est parfois difficile mais possible!»

«J'ai pris certaines de ces photos pendant la pandémie. Pour moi, cette période d'arrêt total et de coupure a été extrêmement intense dans l'intimité avec ma famille. J'ai eu la chance de pouvoir m'arrêter et de réfléchir à ce qui était important pour moi et comment je voulais continuer ma vie. Il y a eu aussi un tournant dans mon projet.»

«La proximité est aussi un emprisonnement. Mon corps est le corps de mes enfants, c'est beau, mais aussi très fatiguant. Aujourd'hui, je me repose un peu et je garde mes distances avec ce que j'ai fait. Peut-être que la prochaine étape sera un livre autour de ce travail photographique. Quoi qu'il en soit, je suis très heureuse que ce projet ait vu le jour et d'avoir trouvé le courage de le montrer sous une telle forme. C'est aussi très important et satisfaisant pour moi de recevoir beaucoup de messages de mères qui m'écrivent que ce projet leur donne la force et le courage de parler à haute voix, qu'elles ne se sentent pas toujours satisfaites, que parfois elles manquent de force et que cela est également acceptable.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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