Troubles alimentaires, par Laia Abril
Santé

Troubles alimentaires, par Laia Abril

Fanny Arlandis -

Depuis 2010, la photographe espagnole Laia Abril travaille sur les troubles alimentaires. Après «A bad day» [un mauvais jour] qui raconte l'histoire de Jo, une boulimique de 21 ans, cette photographe s'est ensuite concentrée sur la «thinspiration», la tendance de jeunes filles anorexiques à poster des photos de leur corps sur Internet. Elle clôt aujourd'hui son projet en se penchant sur les répercussions que subit l'entourage des malades. Il y a quelques années, la famille Robinson a perdu Cammy, leur fille boulimique âgée de 26 ans. Par les objets, les endroits ou les souvenirs, Laia Abril reconstruit les élements qui constituaient la vie de la jeune fille. Cette série photographique touche au plus près les questionnements de ces malades et les sentiments de culpabilité et de frustration des familles et des amis. Regroupé dans un livre intitulé The Epilogue, ce dernier chapitre sera publié en septembre chez Dewi Lewis. Elle revient pour Slate sur les trois volets de son travail.

 

Danse | La boulimie est un trouble alimentaire qui implique la personne dans son rapport à la nourriture, à son corps et aux autres. Avant d'être malade, Jo était danseuse ballerine. «Hormis lors de la prise de cette photo, elle ne danse plus. La boumilie lui prend son temps et son argent. Elle sait cependant que son corps a besoin de la danse, mais elle ne supporte plus de le voir dans un miroir.»

Balance | Jo n'est pas obsédée par le fait d'être maigre, mais par celui de ne pas prendre de poids en dépit de l'énorme quantité de nourriture qu'elle ingère. «Jo se pèse avant et après manger, avant et après une crise de boulimie puis après avoir vomi afin d'être sûre que son poids soit le même qu'au début de la journée. Elle pense que son addiction est "dégoûtante", mais elle n'en a jamais parlé à personne.»

Pomme | «Afin d'éviter la boulimie et "de ruiner un autre jour", Jo dévore des pommes. Elle commence toujours par manger de la "nourriture saine" comme des carottes ou des légumes, mais elle finit inéluctablement par se jeter sur de la mauvaise nourriture.»

La «thinspiration» est un language visuel mis en place par de jeunes anorexiques pour lutter tous les jours et de façon obsessionnelle contre leur poids. «Ce second chapitre n'était pas prévu au départ. Je connaissais le phénomène de la thinspiration chez les actrices ou top model mais en faisant des recherches, j'ai compris que des milliers de filles utilisaient aussi leur image depuis des années et publiaient des photos sur des blogs. Entre l'obsession et l'auto-destruction, leur propre identité disparaît. Alors j'ai commencé à re-photographier les images qu'elles postaient sur Internet.»

«Toutes se prennent en photo, partagent leurs images, s'observent entre elles et tentent d'être plus maigres que les autres. Ces photographies leur permettent de contrôler que leur ventre ne grossit pas. Mais elles trichent devant le miroir et retiennent leur respiration. Parfois même, elles partagent des images qui ne sont pas celles de leur corps. Ce n'est pas tant leur maladie qui est au coeur de ce projet que les autres filles regardant les photographies des autres.»

«Sur cette photographie, c'est la même chose. Cette fille contrôle qu'elle ne grossit pas. La photographie lui sert donc de repère personnel tout en lui permettant de se montrer au reste du monde. Alors comme elles le font elles-mêmes, j'ai tenté de les mettre en valeur. L'idée était de travailler sur le fait que l'usage de la photographie peut tout autant aider les gens que les blesser et entretenir un cercle vicieux. Et ce d'autant plus aujourd'hui avec le développement des réseaux sociaux.»

Photographies accrochées dans le salon des Robinson | Cammy Robinson avait 26 ans lorsqu'elle est décédée à la suite de son deuxième arrêt cardiaque, il y a plusieurs années. Originaire de Chattanooga, dans le Tennessee (Etats-Unis), Cammy souffrait de boulimie. 

Wejun, le père de Cammy dans leur cuisine | Depuis le décès de sa fille, Wejun n'est plus capable d'écouter de la musique. «Le silence de leur maison est particulièrement frappant», raconte Laia Abril.

Jan, la mère de Cammy dans leur maison | «Je me suis finalement permise d'accepter que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait avec amour et que je ne l'aurais jamais blessé consciemment, de quelque façon que ce soit, explique Jan, la mère de Cammy. Les gens me disent que "je n'aurais pas agi différemment [si j'avais su ce qui allait arriver]". Mais si, j'aurais agi d'une façon différente.»

Ashley Yates, la meilleure amie de Cammy, sur le balcon de la chambre de son amie | Elle raconte avoir été «rongée par la culpabilité parce que je ne pouvais pas la raisonner. […] Personne ne le peut et pendant longtemps nous nous sommes sentis épuisés par la situation. Finalement, sa famille et moi nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas contrôler Cammy, même si nous l'aimions plus que tout. Elle faisait ses propres choix.»

La vue de la chambre de Cammy, le jour de la fête des pères aux Etats-Unis, le 23 juin 2013 | «Aujourd'hui toutes les fêtes sont toujours difficiles: Thanksgiving, Noël, les anniversaires… Mais la fête des mères et celle des pères sont les plus brutales dans notre famille», raconte Tommy, le frère de Cammy.

Le répondeur de Lowndes, le cousin de Cammy | «Ce répondeur date des années 2000. Je cherchais un job de barman. Cammy m'avait appelé pour me dire qu'elle connaissait des gens qui pouvaient peut-être m'aider. Elle était très soucieuses des autres. […] Je l'écoute de temps en temps, juste pour entendre sa voix encore une fois.»

Des centaines de lettres de condoléances envoyées à la famille Robinson«Se souvenir de Cammy est l'une des plus grandes joies de ma vie», confie Jan, la mère de Cammy.

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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