La lutte pour les droits civiques vue du nord des États-Unis
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La lutte pour les droits civiques vue du nord des États-Unis

Fanny Arlandis -

Les photos les plus connues de la lutte pour les droits civiques sont celles prises au sud des États-Unis. Pour remédier à une histoire absente du récit visuel commun, l'historien Mark Speltz a rassemblé celles du Nord dans un livre intitulé North of Dixie, Civil Rights Photography Beyond The South [Getty Publications]. Son travail se concentre sur les images des militants qui luttaient contre la ségrégation, les brutalités de la plolice et les discriminations à l'embauche, à Chicago, Détroit, Los Angeles ou encore Philadelphie. «De ce fait, les lecteurs peuvent ainsi mieux identifier et comprendre les racines des mouvements populaires, pensés et gérés localement par des Américains ordinaires d’un océan à l’autre», explique l'auteur.

Des membres de la NAACP de San Francisco lors d'une campagne «Don’t Ride» pour demander le boycott des Yellow Cab et arrêter la discrimination à l'embauche pour les chauffeurs, 1955 | Cox Stdio/Library of Congress

 

«J’ai commencé à travailler sur North of Dixie il y a une dizaine d’années lorsque j’étudiais le récit visuel de la lutte pour les droits civils à Milwaukee, dans le Wisconsin. Puis, après avoir étudié les archives des journaux et interviewé les activistes et les photographes, je me suis rapidement rendu compte que l’activisme local qui a pris place dans le nord, l’est et au-delà était totalement absent de la façon dont on caractérise, on enseigne et on souvient de cette époque. L’absence de photos m’a convaincu que l’histoire visuelle du mouvement du nord, même après Dixie, devait être racontées. Le projet de livre lui-même –trouver les photographies, trier le matériel, écrire et corriger le manuscrit– m’a pris près de trois ans.»

Un drapeau à l'extérieur des bureaux de la NAACP, sur la cinquième avenue de New York, annonce qu'un homme a été lynché la veille, 1936 | Library of Congress

 

«Mon nouvel ouvrage prend place dans un corpus de livres sur la photographie de l’ère des droits civiques dont beaucoup sont très importants. North of Dixie se distingue car il met en lumière une imagerie emblématique associée à des lieux bien connus –tels que Little Rock, Birmingham et Selma, ainsi que les leaders charismatiques du mouvement. North of Dixie explore aussi les effets de la grande migration et comment les noirs ont contesté les innombrables formes de discriminations subies par leur communauté d’Oakland et Seattle jusqu’à Détroit et Pittsburgh.»

Une foule crie des obscénités et menace une famille noire qui vient de s'installer dans un quartier «blanc» à Folcroft, en Pennsylvanie. La famille a passé la première nuit dans la cave et après deux ans d'attaques constantes, elle a quitté le quatier. | Library of Congress

 

«Les journaux du Nord enfouissaient souvent les histoires sur les luttes des droits civiques dans les dernières pages ou les ignoraient autant que possible. Je suis tombé quelques fois sur des citations de gouverneurs du Sud et de rédacteurs en chef qui suggéraient aux journaux du Nord de couvrir plus leurs propres histoires plutôt que de toujours pointer du doigt le racisme du Sud. Quand une histoire éclatait ou que des activistes organisaient une confrontation pour attirer l’attention de la presse, la couverture photographique du Nord tendaient à se concentrer sur les mêmes affrontements dramatiques et la violence raciste. Peu d’attention était donnée aux militants et aux questions fondamentales dont ils demandaient la fin. Les médias traditionnels couvraient rarement ces questions avec la même clarté morale ou la même conviction que dans le Sud.»

Une jeune garçon devant uné cole du New Jersey en 1962. De nombreux enfants ont joué un grand rôle dans la lutte pour les droits civiques. | Bob Adelman/Magnum Photos

 

«Le récit standard des droits civiques que les Américains diffusent aujourd'hui à travers les manuels scolaires, les livres et les films populaires est illustré par un ensemble familier d'images emblématiques. Les images accompagnent une histoire réconfortante d'héroïsme et de non-violence qui a surmonté le racisme du Sud, qui découle en partie de la forte concentration des médias nationaux au Sud pendant l'ère des droits civiques. Les images du Sud, avant et aujourd’hui, correspondent à un scénario prévisible. Il était plus facile de déplacer le blâme et de se concentrer sur les questions raciales dans le Sud, en dépit des preuves écrasantes de discrimination raciale dans tout le pays. North of Dixie explique clairement que la plupart des noirs ne voyaient pas le Nord comme une terre promise et illustre comment ils ont défié la nation à la hauteur de ses idéaux.»

Des militants manifestent pour l'égalité dans le logement alors qu'une contre manifestation du parti américain nazi s'installent en arrière plan, près de Los Angeles en 1963 | Charles Brittin

 

«Charles Brittin était un artiste installé à Los Angeles et un photographe actif au sein des mouvements politiques et sociaux. Il a documenté les artistes, Beats, les Black Panthers et le mouvement contre la guerre du Vietnam mais je me suis concentré sur son travail photographique exceptionnel mené sur une organisation pour les droits civiques, le Congress of Racial Equality (Core). L’appareil photo de Brittin est devenu une arme dans la lutte pour les droits civiques. Ses photos étaient utilisées dans les brochures de Core, les dépliants et les documents pour collecter les fonds. Ses photographies convaincantes ont renforcé l’impact visuel de l’image de l’organisation locale et ont poussé d’autres personnes à rejoindre le mouvement ou fournir un soutien financier. Core a utilisé ses images pour les envoyer aux médias et à différentes publications pour sensibiliser et communiquer plus clairement sur les enjeux.»

Une manifestante est traînée sur le sol lors d'une manifestation contre la violence à Selma en mars 1965 à Los Angeles. | Charles Brittin

 

«Les photographies de Brittin sur Core démontrent comment cette organisation combattait les formes de discriminations à Los Angeles de différentes façons. Les images documentent les sit-ins, les grèves de la faim, les shop-ins, les marches, les sessions de formation et toute autre forme d’activisme. Cette collection unique d’images témoigne de trois à quatre années d’actions d’un groupe et constitue une fenêtre par laquelle nous pouvons mieux comprendre comme les groupes locaux levaient les campagnes pour la liberté et l’égalité. Le mouvement des droits civiques n’était pas un mouvement linéaire unique ou une organisation monolithique mais il était de luttes diverses et localisées dans les grandes ou les petites villes. Peut-être tout aussi important, les images dépeignent des citoyens ordinaires qui travaillent à améliorer leurs conditions de vie sans attendre en silence que le changement arrive.»

En 1963, les militants de Core ont effectué un sit-in et une grève de la faim à l'extérieur des bureaux du "board of education" de Los Angeles pour critiquer la ségrégation et les inégalités dans les écoles. | Charles Brittin

 

«Comme le travail d’autres photographes militants, comme Danny Lyon (SNCC), Bob Adelman (Core), les images de Brittin étaient utilisées par les groupes qui luttaient pour les droits civiques afin de renforcer leur message et leur représentation devant des publics spécifiques. Le travail de Brittin a attiré l’attention sur des questions urgentes à Los Angeles, comme la ségrégation scolaire, les brutalités de la police et les discriminations dans les logements. Ses images ont rendu visibles ce que beaucoup refusaient de voir ou de croire et ont forcé les politiciens et les officiels à effectuer des changements. La photographie était une arme importante pour que les campagnes locales dépassent les médias et l’attention qu’ils voulaient bien donner surtout en se concentrant sur le Sud.»

Des manifestants effectuent un sit-in et bloquent la circulation pour protester, à New York, en 1963 | The J Paul Getty Museum/Leonard Freed

 

«Les photographies font écho à des questions contemporaines comme les allégations de mauvaise conduite de la part de police, le manque d’éducation de qualité des quartiers noirs et le besoin de se loger à prix raisonnable et dans des endroits sûrs de la ville. Il n’y a pas de coïncidences, ces problèmes sont bien connus. Ils sont le prolongement d’histoires qui ont besoin d’être comprises comme faisant parties d’une conversation toujours en cours sur la lutte pour la liberté des noirs et des races aux États-Unis aujourd’hui.»

Des membres de la NAACP de Saint Louis (Washington DC) appellent à la fin de la violence raciste, années 1940, Washington, DC. | Library of Congress

 

«North of Dixie démontre que ces griefs et ces protestations contemporaines ne sortent pas de nulle part, elles se construisent depuis des décennies. Les photographies historiques fournissent au lecteur plus de contexte et de preuves des luttes déterminées. Les photos que l’on a de Ferguson, Missouri ou Baltimore, dont l’impact est amplifié par la technologie et les réseaux sociaux, ont joué un rôle important pour attirer l’attention sur ce nouveau mouvement solide contre les brutalités de la police et les discriminations raciales. La photographie est et sera une arme puissante dans la lutte actuelle

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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