Somptueuses et vertigineuses églises d'Éthiopie
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Somptueuses et vertigineuses églises d'Éthiopie

Fanny Arlandis -

L'Éthiopie est l'un des plus vieux pays chrétiens du monde. En dix siècles, des dizaines d'églises spectaculaires ont été construites, perchées sur des roches. Elles sont encore utilisées par les croyants. En novembre, EthiopiaThe Living Churches of an Ancient Kingdom, un ouvrage sur l'histoire et la culture chrétienne en éthiopie, a été édité par The American University in Cairo Press. Mary Anne Fitzgerald, la rédactrice principale du livre, revient pour Slate sur les spécificités de ce christianisme.

Nouvelle église, Debre Damo | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«Pour réaliser ce livre, l'équipe de photographes (Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge) ont travaillé sur soixante-six églises en deux ans, en 2015 et 2016. Toutes se trouvaient dans des terrains accidentés et isolés. Le monastère de Debre Damo se trouve au sommet d'une amba [une montagne à sommet plat]. Vous y arrivez en montant par une corde.»

Église Abuna Yemata | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«L'église d'Abuna Yemata a été excavée dans un pinacle de roche, à 200 mètres au-dessus des plaines. Heureusement, personne n'a souffert de vertige. Il m'a fallu un an pour visiter les églises et faire des recherches sur leurs origines. L'empire éthiopien remonte à 3.000 ans, au roi Salomon et à la reine de Saba; il a une histoire incroyablement riche. Abuna Yemata était l'un des neuf saints. Il a fondé une communauté monastique à Aksoum au VIe siècle, avant d'évangéliser d'autres territoires. Il a choisi l'église de Guh dans le massif du Gheralta, qui s'élève comme un doigt vers le ciel.»

Église Abuna Yemata | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«L'entrée se trouve à droite, au premier tiers du rocher. Sur cette image, un prêtre regarde à travers la seule fenêtre de l'église. Le christianisme éthiopien est orthodoxe plutôt que romain; c'est ce qu'on appelle l'Église orthodoxe Tewahedo. Tewahedo signifie «s'unir» en ge'ez, l'ancienne langue de l'Église. Les chrétiens éthiopiens croient que les deux natures du Christ –divin et humain– se sont unies après l'Incarnation. La manière dont Dieu et l'homme ont existé dans le Christ est la question épineuse qui a déclenché le schisme au Concile de Chalcédoine en 450, lorsque les Églises orientales se sont séparées. Les Éthiopiens sont les plus nombreux de tous les chrétiens orthodoxes.»

L'église d'Arbatu Entsessa, Aksoum | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«La petite église d'Arbatu Entsessa se trouve à côté de l'enceinte de Sainte-Marie-de-Sion. Elle est dédiée aux quatre Bêtes de l'Apocalypse. La vénération des nombreux saints de l'Église joue un grand rôle dans la vie des chrétiens éthiopiens. Tous les saints sont célébrés deux fois par an, les jours de leur naissance et de leur mort. Les plus connus sont les neuf saints, qui seraient venus de la grande Syrie aux Ve et VIe siècles en tant qu'évangélistes. Ils vivaient sur les montagnes pour se rapprocher de Dieu, ce qui explique pourquoi tant d'églises sont difficiles d'accès. Les saints sont représentés de manière stylisée dans des peintures murales, qui représentent une action sacrée. Gebre Manfus a vécu avec des animaux sauvages; il est peint avec un corbeau buvant dans son œil. Samuel de Waldiba a passé douze ans dans le désert en compagnie de deux lionceaux orphelins; l'iconographie le montre à califourchon sur un lion, tandis que l'autre porte ses livres. Saint-Georges, le tueur de dragons, est le saint patron de l'Éthiopie. De nombreuses églises lui sont dédiées.»

Église Sainte-Marie-de-Sion, Aksoum | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«Sainte-Marie-de-Sion, à Aksoum, est reconnue comme la plus sainte de toutes les églises d'Éthiopie. Elle a été détruite et reconstruite au moins deux fois, et représente le cœur spirituel de l'orthodoxie chrétienne éthiopienne. Chaque église célèbre son saint-patron lors d'un jour de fête mensuel. À Sainte-Marie-de-Sion, la procession commence à cinq heures du matin; elle est connue sous le nom de mihila [supplication]. La majorité des habitants d'Aksoum font en sorte d'être présents.»

Un moine près d'un réservoir qui récupère l'eau de pluie | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«L'Éthiopie est l'un des plus anciens pays chrétiens au monde. Le souverain de l'empire d'Aksoum a été converti vers le IVe siècle par Frumentius, un Syrien capturé à bord d'un navire dans la mer Rouge et amené au tribunal. De cette époque aux années 1950, l'Église éthiopienne était présidée par l'Église copte égyptienne. Les églises ont été constamment attaquées au cours des siècles. Elles sont des centaines à avoir été pillées pour leurs trésors en or, puis détruites. Des dizaines de milliers de moines et de membres du clergé ont été massacrés. Avec une foi inébranlable, les Éthiopiens ont reconstruit chaque église détruite, parfois plus d'une fois. Sur cette photo, le moine Mikael, qui tient une croix de pèlerin, se trouve près de deux citernes de roche taillées à la main, qui recueillent assez d'eau pendant les pluies pour l'usage de la communauté pendant l'année entière.»

Moines au monastère Abba Garima | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«Les moines du monastère Abba Garima sortent de l'édifice. Ce monastère, fondé par l'un des neuf saints, Abba Garima, se trouve à environ sept kilomètres à l'est d'Adoua. Il est surtout intéressant pour ses manuscrits enluminés des évangiles du Nouveau Testament en deux volumes. Ces livres ne sont pas seulement les manuscrits les plus anciens d'Éthiopie, ils sont aussi les plus anciens évangiles illustrés du monde. Le monastère fut saccagé et reconstruit quatre fois, dont la dernière fois par la puissance coloniale italienne en 1936. Il fut pillé à la fin du XIXe siècle, mais les moines ont réussi à cacher et sauver les évangiles à chaque invasion.»

Abuna Abraham, Debre Tsion, Massif du Gheralta | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«L'église monastique d'Abuna Abraham, située au sommet du Debre Tsion, se trouve après une montée qui longe une roche étroite. Cet édifice du XVe siècle est un trésor national. Seul l'un des six ripidions a survécu au cours des siècles. Il s'agit d'un livre-parchemin illustré en trente-six parties, avec des portraits de la Vierge et de l'Enfant, des archanges, des apôtres, des prophètes et des saints.»

Enkutatash, nouvel an ethiopien | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«Enkutatash est le premier jour du Nouvel An éthiopien. Il tombe le 11 septembre (1 Meskerem dans le calendrier éthiopien). L'Éthiopie utilise un calendrier de treize mois qui commence à l'Annonciation de Jésus le 25 mars, date fixée suite aux calculs du moine Annianus d'Alexandrie, réalisés vers 400 après J.-C. Enkutatash signifie “don de bijoux”, car pour sa visite au roi Salomon à Jérusalem, la reine de Saba a pris avec elle 4,5 tonnes de cadeaux composés d'or, de pierres précieuses et d'épices. Le service du Nouvel An commence à 12h30. Ceux qui arrivent en retard sont exclus de l'église et doivent rester dehors. De même, ceux qui assistent au service doivent y rester jusqu'à 8h30 le lendemain matin. Le service est donné par des prêtres, aidés de diacres pour la liturgie.»

Bete Medhane Alem (La maison du Sauveur du monde), Lalibela | Nigel Pavitt, Frédéric Courbet et Justus Mulinge / The American University in Cairo Press

 

«Un prêtre tient une croix de sept kilogrammes appelée Afro Aygeba [l'infaillible] en raison de son pouvoir de guérison exceptionnel. C'est l'un des objets religieux les plus vénérés d'Éthiopie. Les visiteurs ont la chance de la voir le dimanche et lors de la fête mensuelle de Medhane Alem. Le christianisme est très vivant aujourd'hui en Éthiopie, après avoir survécu à quinze ans de communisme sous Mengistu Haile Mariam, le dictateur renversé en 1990. Lorsque des taxis communaux passent devant une église à Addis-Abeba, de nombreux passagers s'inclinent et font le signe de croix. Les services pour les fêtes religieuses, qui durent de minuit à huit heures du matin, sont très fréquentés. Près de 45% des Éthiopiens sont membres de l'Église orthodoxe, contre 34% de musulmans.»

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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