«Ma poupée n’a pas encore de nom, mais je vais l’emmener avec moi aux États-Unis»
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«Ma poupée n’a pas encore de nom, mais je vais l’emmener avec moi aux États-Unis»

Laure Andrillon -

Plus de 4.500 migrantes et migrants de la caravane ont déjà trouvé refuge dans un complexe sportif municipal de Tijuana, à quelques mètres du mur couleur rouille qui sépare le Mexique des États-Unis. Depuis leur campement de fortune, tous et toutes espèrent un rendez-vous au poste-frontière pour demander l’asile aux autorités américaines. La municipalité de Tijuana estime que compte tenu de la situation actuelle, il faudra six mois pour aller au bout de la liste d’attente. Le 20 novembre, l’abri, entouré de voitures de police, était plein à craquer. À la tombée de la nuit, des familles tout juste arrivées erraient dans les rues, couvertures sur le dos et semelles fatiguées aux pieds, à la recherche d’un toit.

Les migrantes et migrants ont tenu à être rassemblés dans un même campement lors de leur arrivée à Tijuana. «Sur la route, les gens nous ont beaucoup aidés, raconte Mario, venu du Guatemala. Mais je ne compte pas rester ici. Les gens ne veulent pas de nous.» Le 18 novembre, 500 personnes ont manifesté devant les grilles du complexe sportif pour protester contre l’arrivée de la caravane.

Les autorités américaines ont annoncé traiter entre soixante et cent demandes d’asile par jour au poste-frontière de Tijuana. Plus de 3.000 personnes étaient sur liste d’attente avant même l’arrivée de la caravane.

Sergio est parti seul du Guatemala il y a six semaines, en fauteuil roulant. Des compagnons de route se sont relayés pour le pousser jusqu’à Tijuana, où il attend sur une couverture posée à même le sol depuis maintenant une semaine: «Je reste patient. C’est Dieu qui décide, pas Trump. Et Dieu ne va pas nous claquer la porte au nez».

Marleni voyage depuis deux mois. Elle a quitté le Honduras parce qu’un gang a menacé de tuer ses deux enfants de 18 mois et 10 ans, Ángel et Ángela. Son mari est en route pour les rejoindre avec la suite de la caravane. «Je suis le numéro 1.380 sur la liste, dit-elle avec un sourire amer. On m’a dit que j’aurai peut-être un rendez-vous à la frontière dans trois semaines. Mais je ne sais pas combien de temps on va tenir. Je n’ai plus d’argent. Même pas de quoi acheter des couches et du lait. On m’a aussi piqué ce que j’avais de sous-vêtements, quand je les ai mis à sécher sur un arbre.»

«Une dame qui s’appelle Carmin est venue jouer avec nous. On a fait des coloriages et elle avait aussi des instruments de musique. Elle m’a dit que j’avais été très sage et elle m’a donné une poupée. Je suis contente parce que mes peluches sont restées à la maison. Elle n’a pas encore de nom, mais je vais l’emmener avec moi aux États-Unis.»

En équilibre sur un seau, Chelsea Strautman, une avocate venue d’Oregon, tente d’informer un groupe de personnes rassemblées sur le terrain de baseball. «En l’état actuel des choses, moins de 20% des demandeurs centraméricains obtiennent l’asile, crachote le mégaphone. Ils ont mis des milliers de migrants en prison. Si vous ne vous qualifiez pas pour l’asile, ils risquent de vous enfermer pendant des mois et de vous reconduire à la frontière!»

Le complexe sportif a déjà largement dépassé sa capacité initiale. Des familles se sont entassées jusque sous les gradins, utilisant des sacs poubelle en guise de toits. On circule accroupi pour passer de tente en tente.

«Le mur est juste là, montre Selvi, un adolescent hondurien, pendant qu’il fait la queue pour les douches. On est près du but. La barrière n’est pas si haute que ça, d’ailleurs. Ça donne envie de se ruer dessus. Mais on attend. Ma mère dit qu’on va faire les choses bien.»

Trente-cinq bénévoles mexicains portent assistance aux migrants du parc Benito Juárez. Trente Centraméricaines et Centraméricains, venus eux-mêmes avec la caravane, ont rejoint leur équipe pour aider au nettoyage, à la distribution de nourriture et au recensement.

Selon les chiffres annoncés par le secrétaire du gouvernement municipal de Tijuana le 19 novembre, le campement accueille environ une moitié d’hommes, un quart de femmes et un quart d’enfants.

Laure Andrillon

Laure Andrillon

Laure Andrillon est journaliste indépendante, installée dans la baie de San Francisco depuis 2017. Elle trouve que les petites histoires sont souvent bien plus grandes qu'elles ne le semblent. Elle...

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