Calais, là où les rêves des migrants se brisent
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Calais, là où les rêves des migrants se brisent

Robin Tutenges -

Chaque jour, Calais est le théâtre d'un drame humain à ciel ouvert. Plus de 1.500 exilés sont dispersés dans des camps informels à la lisère de la ville. Ils vivent dans une extrême précarité en attendant de rejoindre l'Angleterre. Une dernière traversée périlleuse, après des années à arpenter les routes pour fuir les atrocités et la misère. Une dernière traversée où leur rêve d'une vie meilleure se heurte à un quotidien insurmontable, rythmé par des expulsions devenues journalières, qui enfoncent toujours plus ces hommes, femmes et enfants dans une vulnérabilité indicible.

La multitude de petits campements autour de la ville, similaires à ceux qui jouxtent l'hôpital, abritent des Soudanais, des Syriens, des Afghans, des Érythréens, des Irakiens et bien d'autres nationalités. Les exilés n'ont parfois en commun que les rêves et les tragédies de leur vie. La plupart ont fui la guerre ou la pauvreté, et se retrouvent ici après deux, trois voire cinq ans de voyage. Ils ont traversé des dizaines de pays, ont subi traumatisme après traumatisme, notamment en Libye, dont certains peinent à parler. Quelques-uns sont allés en Allemagne pendant un temps, où leur demande d'asile a fini par être déboutée.

 

Musa était un champion de boxe dans son Afghanistan natal, qu'il a dû fuir. «Si la France me donne des papiers, je me battrai pour son drapeau», s'exclame-t-il. Bien que la plupart d'entre eux rêvent d'Angleterre, pays anglophone, perçu comme étant plus accueillant et où leur communauté est déjà bien installée, d'autres voudraient s'établir en France. Ils ne cherchent à quitter l'Hexagone que parce qu'ils y sont contraints, poussés par l'impossibilité d'y travailler et d'y vivre sans les précieux documents. 

 

Dans cet environnement difficile, la misère, la fatigue, le froid et la promiscuité entre les communautés favorisent l'émergence de tensions. Un Afghan montre une récente cicatrice située non loin de ses côtes. Elle date d'un coup de couteau reçu quelques jours plus tôt, dont l'auteur serait, selon lui, un migrant d'un camp voisin. Une banale histoire de cigarette qui s'est terminée dans le sang. 

«J'ai traversé plusieurs pays, j'ai failli mourir plein de fois. On me repousse encore ici», regrette un exilé, emmitouflé jusqu'aux oreilles dans un drap et allongé avec plusieurs Afghans sur une bâche. «Si je renonce à mon objectif, si je laisse tomber l'idée de m'installer en l'Angleterre, de m'imaginer une vie meilleure, de croire que je trouverai un travail, une femme, une vie calme, je deviens fou. Si je m'arrête, je meurs», reprend-il.

 

Au milieu de quelques scènes de joie, d'instants suspendus, où un migrant met par exemple en fond sonore une musique afghane trouvée sur TikTok, les regards sont souvent perdus dans le vide. Un vide laissé par des années d'exil, pour finalement rester bloqués ici, à une cinquantaine de kilomètres de leur objectif. «Si l'on reste ici, on a tout perdu. Tout cela n'aura servi à rien», renchérit un autre Afghan, capuche rayée sur la tête et qui dissimule son désarroi.«L'Europe parle de droits de l'homme, mais quel genre d'hommes sommes-nous à leurs yeux?»

 

Robin Tutenges

Robin Tutenges

Photographe français membre de l'agence Hans Lucas. Finaliste du prix de la photo Lucas Dolega-SAIF de Reporter sans frontière (RSF) // Sélectionné au Prix Bayeux-Calvados des Correspondants de...

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