En Bosnie, les migrants tentent le «game» pour accéder à l'Europe
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En Bosnie, les migrants tentent le «game» pour accéder à l'Europe

Guillaume Origoni -

Au moment même où l'actualité mondiale se focalisait sur le drame en cours à la frontière polonaise, nous étions en Bosnie-Herzégovine. La route des Balkans est, depuis 2014, l'un des verrous de l'accès à l'Union européenne. Ils sont des centaines, chaque nuit, à tenter le «game», c'est-à-dire le passage illégal de frontière qui les conduirait vers les États européens via la Croatie.

Ce flux incessant ne se tarit pas, malgré les dispositifs de plus en plus sophistiqués mis au service des «pushbacks» –mot utilisé pour décrire les refoulements en réponse au «game». Et si le «game» est illégal, les «pushbacks» par la police croate ou slovène le sont tout autant. 

Nous avons parcouru les routes, les camps, les jungles du canton d'Una-Sana. Nous y avons rencontré des hommes, des femmes, des familles, des enfants, pour la plupart originaires du Pakistan et de l'Afghanistan. Nous les avons également suivis dans leur tentative du «game» en pleine nuit et dans le froid des forêts bosno-croates. 

Il est des territoires où les hommes se trouvant côte à côte sont pourtant séparés par des abysses sans fond. Lors de ce reportage, nous risquions l'expulsion, et peut-être quelques coups. Ces hommes, femmes et enfants, eux, jouaient leur vie.

Un migrant pakistanais erre sur les routes entre Bihać et Lipa. Il est en Bosnie depuis huit mois et a tenté le «game» plusieurs fois. Tout ce qu'il possède, c'est cette couverture fournie par le gouvernement bosnien et ce qu'il y a dans son sac à dos. Il est exténué, parle peu et tente de rejoindre le camp de Lipa dans lequel il trouvera de quoi manger.

Khan a 25 ans, il vient du Cachemire. Son air pacifique et doux cache une volonté et une résistance sans faille. Il est en Bosnie depuis six mois et a tenté le «game» plus de dix-sept fois. Il regarde le drapeau de son pays dans le squat, qui lui sert, ainsi qu'à ses camarades, d'abri de fortune. Ce squat a été baptisé: «Cashmere House». 

Le camp de Lipa est géré par le gouvernement bosnien et administré par l'Organisation internationale pour les migrations. Situé sur un plateau à 30 kilomètres de Bihać, il est loin de tout. Il a été difficile d'y pénétrer, et la visite se fait sous étroite surveillance des officiers de sécurité et de la police. Le nouveau camp de Lipa a été inauguré il y a quelques jours. Il permettra d'accueillir dignement les migrants de la route des Balkans. 

La ville de Bihać et ses environs sont un amas de jungles plus ou moins étendues. Les micro-campements sauvages se trouvent généralement dans la ville, alors que les plus importants sont en périphérie ou dans les bois. Ces deux hommes se sont installés dans une petite tente partagée à trois en bordure du fleuve Sana, qui traverse Bihać. C'est l'heure du repas, qui est préparé grâce à l'aide des associations locales ou internationales. 

Un groupe d'une vingtaine d'Afghans s'est installé dans les bois en bordure des faubourgs de Bihać. C'est depuis cette jungle qu'ils planifient les tentatives du «game». Ils sont jeunes, solidaires, se protègent mutuellement. L'hygiène reste l'un des problèmes majeurs. Se laver, se raser, se changer fait partie des obsessions. «On fait comme on peut mais on fait tout de même», disent-ils. Le froid n'est pas encore mordant, mais en pleine journée le thermomètre indique 7 degrés. 

De nombreuses associations sont présentes pour venir en aide aux migrants qui peuplent les jungles. Ici les volontaires de No Name Kitchen circulent sur les routes et les chemins tous feux éteints pour échapper à la chasse de la police.

En périphérie de Velika Kladuša se trouve cette jungle baptisée Helicoper Camp. 500 personnes s'y entassent. Ce sont pour la plupart des familles afghanes nouvellement arrivées, qui ont fui les talibans lorsque leur pays s'est effondré. Quand on voit ces personnes, il est difficile de s'imaginer que certaines d'entre elles étaient professeurs d'université, ingénieurs ou producteurs pour la télévision, il y a quelques mois encore. 

Dès que la nuit tombe, les candidats au «game» se mettent en route. On les voit ici au centre de l'image, chargés de leurs multiples sacs à dos et poches de plastique. La frontière avec la Croatie n'étant pas loin, hommes, femmes et enfants en bas âge (parfois des nourrissons) tentent leur chance. Nous les croiserons plus tard, en pleine forêt, à 1 ou 2 kilomètres seulement des portes de l'Union européenne. Ce camp a été entièrement détruit par la police bosnienne le 24 novembre.

Un groupe de trois jeunes hommes afghans a accepté que nous les suivions lors du «game». Nous voilà avec eux, alors qu'ils étudient le chemin à prendre pour tenter de rejoindre l'Europe via la Croatie. Tout ceci a l'air facile, mais la frontière dont on voit la lumière est très étroitement surveillée par la police qui dispose de capteurs, de jumelles à vision nocturne et de véhicules chauffés. L'obscurité est totale, et pourtant les gardes-frontières, aidés par leur matériel, nous font savoir que nous sommes repérés en dirigeant vers nous trois brefs signaux lumineux. Un message qui signifie: «Ne tentez rien». Le «pushback» s'accompagne quasi systématiquement de vols et de tabassages en règle.

Guillaume Origoni

Guillaume Origoni

Doctorant à l'université Paris-X (Nanterre). Prépare une thèse sur les influences internationales sur le terrorisme en Italie à l'époque de la stratégie de la tension et des années de plomb....

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