De la Palestine aux États-Unis, une histoire de famille
Politique / Monde

De la Palestine aux États-Unis, une histoire de famille

Fanny Arlandis -

Pour l'exposition Gaza to America: Home Away From Home, visible aux rencontres d'Arles jusqu'au 23 septembre, le Palestinien Taysir Batniji a voulu documenter «une partie de [sa] famille qui est partie de Gaza pour les États-Unis, en passant par différents pays des années 1960 à 1980, et raconter leur histoire, leur trajectoire». Le photographe a choisi de vivre au plus près de ses cousins palestiniens immigrés en Amérique, afin de saisir leurs identités recomposées. Son travail fait également l'objet d'un livre.

«À la base de cette exposition, le projet Home Away From Home a été réalisé en Floride et en Californie en 2017 pour la fondation Hermès, en collaboration avec la fondation Aperture. Pour la troisième édition de cette résidence, j’ai proposé un travail qui porterait sur mes cousins, partis de Gaza et vivant maintenant aux États-Unis.»

«J'ai connu ces cousins enfant, quand j’avais 6 ou 7 ans et qu’ils venaient passer les vacances d’été dans la famille. Je les ai ensuite perdus de vue, car ils ne revenaient que rarement à Gaza. Quand j'ai eu 24 ou 25 ans, je me suis installé en Europe. J’avais des nouvelles d’eux, mais pas de vrai contact.»

«En 2014, j’ai été accepté en résidence à New York. Mes cousins m’ont proposé de leur rendre visite, mais la Californie était trop loin, alors j'ai décliné l’invitation. Cette fois-ci, nous sommes en revanche restés en contact. Et j’ai eu envie de travailler sur cette partie de ma famille, leur histoire, leur trajectoire, depuis Gaza jusqu’aux États-Unis. Mais par où commencer? J’ai décidé de commencer par réaliser une série de dessins, pour me connecter à cette partie de la famille et à mon enfance. Ils étaient pour moi la meilleure façon d’entrer dans le sujet, comme s'ils avaient été des photos prises à l’époque. J’ai dessiné au crayon et à l’aquarelle les souvenirs que j'avais de mes cousins, comment je les percevais quand j'étais petit et ce dont je me rappelais des situations vécues enfant avec eux. J’ai aussi imaginé comment ils pouvaient être aujourd’hui, et à quoi ils ressemblaient.»

«Après la Floride, je suis allé en Californie, où vivent quatre autres de mes cousins: Kamal, Sobhi et sa femme Khadra, qui est aussi ma cousine, Samir et Akram. Ils sont tous médecins et ont un style de vie très différent d’Ahmad en Floride. Je les ai également accompagnés au quotidien, sur leurs lieux de travail, et les ai interviewés. J’ai parfois été seul chez eux, pendant qu'ils travaillaient. J’ai passé de longs moments à scruter leurs objets, à m’attarder sur des détails, des choses accrochées au mur ou posées sur des étagères. Ce que je cherchais à faire, c’était de créer un portrait d’eux à travers ces détails qui les entoure, sans qu’ils ne soient présents sur l’image.» 

«J’ai réalisé quelques portraits, même si je ne suis pas portraitiste. Ils sont rarement posés; il s’agit plutôt de situations, de moments spontanés. J’ai également récolté des archives, des documents. Le degré d’interaction n’était pas le même avec tout le monde, car j’ai passé plus de temps avec certains de mes cousins qu’avec d’autres: évidemment, cela est perceptible dans le projet. C’était avec Ahmad que j’avais le plus d’échanges, car j’aime son histoire, différente des autres, sa personnalité et sa manière d’être.»

«Ce travail a donné lieu à une grande série de photos et de vidéos. Dans mes interviews, je questionne mes cousins sur une idée, une pensée, leur histoire ou leur trajectoire. Pour Akram, j'ai par exemple enregistré une conversation dans sa voiture, où il me parle des raisons pour lesquelles il a quitté l’Allemagne pour la Floride puis la Californie. Il explique ainsi qu’il est plus facile d'apprendre l’arabe ou de pratiquer la religion musulmane en Californie qu'en Floride.»

«J’ai enfin trouvé intéressant de voir ce qu’il se passait à Gaza, à travers des photos demandées à ma nièce photographe qui vit toujours là-bas. Je lui ai demandé d’aller dans la maison de Khadra et Ahmad. Cette maison a une belle cour dans laquelle se trouve un grand palmier, sous lequel nous jouions tout le temps quand nous étions petits. C’est un souvenir précieux gardé depuis l’enfance. Aujourd’hui, le palmier n’existe plus: il a été remplacé par un olivier qui a ensuite été coupé et maintenant, il n’y a qu’un carré de sable vide. Ce palmier est très présent dans mes dessins. Il symbolise le lieu où ma famille était réunie et cette enfance qui me semblait heureuse par rapport à la situation actuelle de Gaza. Il symbolise désormais la dispersion de la famille un peu partout dans le monde.» 

«Il y a aussi un deuxième volet à cette exposition dans lequel sont montrés d'autres séries, comme Watchtowers, 2008, GH0809, 2010, Pères, 2006, les vidéos Transit, 2004 et Gaza journal intime, 2001 et enfin Gaza journal intime #3 : des photos réalisées entre 1999 et 2006, à l’occasion de différents séjours à Gaza. Ces photos de situations quotidiennes ont été prises en bord de mer, chez moi, dans la ville et à la frontière. Elles sont le témoignage de moments de retrouvailles, d'attente, de flânerie, de joie et de tristesse, autant de “temps faibles” dont je suis à la fois l’auteur photographe et le sujet. »

Fanny Arlandis

Fanny Arlandis

Journaliste, elle écrit principalement sur la photographie et le Moyen-Orient pour Le Monde, Télérama et Slate.

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